La ville de Marseille, le 10 janvier 2018

La ville de Marseille, le 10 janvier 2018.

afp.com/ANNE-CHRISTINE POUJOULAT

C'était le 19 novembre 2010, à la cité du Clos-la-Rose, dans les quartiers Nord de Marseille. Des rafales de kalachnikov tirées depuis une bagnole font deux victimes. Jean-Michel, dit Michou, 16 ans et des yeux verts à chambarder les filles. Un chouf, c'est-à-dire un guetteur au service des dealers. Et Lenny, 11 ans, footeux prometteur et joyeux. De temps en temps, il ramène des casse-dalle aux fourgueurs de came. Michou meurt, Lenny, criblé de cinq balles blindées, survit. Il ne tapera plus dans un ballon. Des règlements de comptes au fusil d'assaut, il y en a déjà eu, mais c'est la première fois que des mômes se font trouer la peau. Des petits gars partis de rien, arrivés nulle part, racolés par les réseaux de narcos. Comme il en existe tant. Trop. Romain Capdepon retourne sur les traces de ce fait divers sanglant et dresse le tableau accablant d'une enfance jetée aux orties, happée par des caïds phocéens dont le business rapporterait entre 120 et 180 millions d'euros par an.

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L'effroyable règle du jeu

Ses Minots ont les accents bouillonnants, vivants, d'un livre de Roberto Saviano, statistiques stupéfiantes incluses. Le fruit d'une enquête minutieuse sur place. Auprès des flics, des membres de la Protection judiciaire de la jeunesse, des résidents, d'une mère en guerre contre les réseaux, des pioupious des barons de la drogue et de Lenny, le miraculé parti en vrille. Capdepon est reporter et chef de rubrique police-justice au journal La Provence, ça aide : "J'avais déjà les contacts qui, en confiance, m'ont dirigé vers d'autres personnes. Dans certaines cités, c'est compliqué, on ne peut pas y aller comme un mariole et poser des questions. Il faut être coopté et frapper aux bonnes portes d'emblée."

Omerta des habitants, déni des élus et représailles en sous-sol. Les gosses employés par les trafiquants savent qu'ils risquent des sévices, au sécateur, à la batte de baseball, s'ils filoutent le boss. Ou une bastos dans la tête. Ils considèrent que c'est la règle du jeu. "L'un d'eux m'a raconté, froidement, avoir séquestré un 'collègue' pendant deux ou trois jours dans une cave. Ils ont intégré la violence à un niveau qu'on n'imagine pas. Ils ont vu des morts, du sang, des armes. C'est presque banal pour eux."

De la chair à canon

L'auteur en a rencontré de toutes les sortes, de ces mouflets. Des fainéants appâtés par le fric, des charismatiques qui se voient comme des commerçants, et d'autres qui tentent d'échapper à l'engrenage. "Il n'y a pas de bouquin sur eux. Je voulais zoomer sur les petites mains du narcobanditisme, qui sont, au fond, de la chair à canon." On pourrait les toucher du doigt, les minots emplis d'ombres, les adultes harassés, tant Romain Capdepon a su les incarner. De l'âme et des faits : la marque du grand journalisme.

Les Minots. Une enquête à Marseille

par Romain Capdepon. JC Lattès, 176 p., 17 ¤.

La note de L'express : 17/20

Les minots, de Romain Capdepon, éd JCLattès, 250p. 17 euros

Les minots, de Romain Capdepon, éd JCLattès, 250p. 17 euros

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