Grand Paris Express : vingt tunneliers pour le chantier du siècle

Une armée de tunneliers géants commencent à creuser le sous-sol francilien pour le futur métro du Grand Paris. D’ici à 2020, une vingtaine de ces trains-usines construiront 200 km de galeries souterraines.

 Les tunneliers, montés dans l’usine allemande de Herrenknecht, sont  des trains-usines de 100 m de long et de 10 m de diamètre.
Les tunneliers, montés dans l’usine allemande de Herrenknecht, sont des trains-usines de 100 m de long et de 10 m de diamètre. LP/J.-G.B.

    Ellen, Virginie, Steffie ou Malala. Derrière ces prénoms féminins (une tradition minière) se cachent en réalité… des tunneliers, gigantesques usines souterraines chargées de creuser et d'assembler des kilomètres de tunnel. Ces héroïnes des temps modernes œuvrent, sous nos pieds, parfois jusqu'à 50 m de profondeur. Leur mission : créer 200 kilomètres de galeries nouvelles où circuleront les futurs métros du Grand Paris.

    De 2024 à 2030, si les délais sont respectés, quatre nouvelles lignes seront mises en service en banlieue et autour de Paris pour « désaturer » les transports en commun et les routes qui convergent pour l'instant en étoile vers la capitale. Il s'agit d'un projet urbain gigantesque qui bouleversera le visage de l'Ile-de-France.

    Pour réaliser cette prouesse, les géants du BTP qui se partagent ce chantier pharaonique de 35 milliards d'euros disposent de moyens hors du commun dont ces étonnants et gigantesques tunneliers.

    Combien y en-a-t-il ?

    Beaucoup, plus qu'il n'y en a jamais eu en Ile-de-France. Actuellement, deux tunneliers sont en train de creuser la ligne 15 sud : à Champigny-sur-Marne et entre Noisy-le-Grand et Bry-sur-Marne. Mais d'ici à début 2020, leur nombre va être multiplié par dix! Deux autres sont en effet assemblés et prêts à démarrer dans les prochains jours, à Bagneux, toujours sur la 15, et à Courbevoie (ce dernier pour le prolongement du RER E).

    Puis démarreront progressivement sept autres tunneliers sur la 15 sud, six sur la 16 entre Saint-Denis et Aulnay-sous-Bois, et trois sur la 14 sud de Paris à Orly. Auxquels il faut aussi ajouter un tunnelier pour le prolongement de la ligne 11, des Lilas à Rosny-sous-Bois. Soit vingt et un tunneliers simultanément en action en 2020! Il y en aura une trentaine en tout pour réaliser tout le réseau d'ici à 2030. À titre de comparaison, il en avait fallu 21 pour les 111 km du métro de Doha, au Qatar. Le Grand Paris Express bat tous les records.

    Comment ça marche ?

    Ces perceuses sont en fait des trains-usines de 100 m de long et de 10 m de diamètre, qui, tout en creusant le sol, assemblent en même temps le tunnel derrière elles. « La machine s'appuie sur le tunnel construit derrière elle pour avancer », résume-t-on chez Herrenknecht, l'entreprise allemande leader mondial dans la construction de ces monstres de mécanique.

    Pour s'en rendre compte, il faut avoir la chance d'observer de près un tunnelier en construction, ou, mieux, en pleine action. À l'avant, la roue de coupe, faite de métaux lourds ultrarésistants, attaque le sol. Le tout bardé d'électronique pour mesurer la pression du sol, la nature de la terre creusée… Derrière elle se trouve une cloison étanche où sont ramassés les déblais, remontés sur un tapis d'évacuation grâce à une immense vis sans fin. Il emmène les restes de terre ou de roches concassés jusqu'au puits d'où est parti le tunnelier.

    Autour, œuvre une jupe en métal avec une roue centrale qui positionne, comme un robot, des morceaux de tunnel en béton amenés par un petit train : les voussoirs. Il en faut 7 de 200 kg pour faire 1,80 m de galerie, soit 700 000 pour tout le Grand Paris ! Grâce à des vérins, le tunnelier s'appuie ensuite sur ces morceaux de béton pour avancer dans la terre, à une vitesse moyenne de 10 à 12 m par jour.

    « C'est une grosse foreuse qui avance comme un train sur des rails. Derrière, il peut y avoir 5 km de tapis qui évacue les déblais. Cela paraît gigantesque, comme une grosse chenille », résume Jack Royer, chef de projet pour la ligne 15 sud du Grand Paris Express. En tout, les tunneliers du Grand Paris recracheront 43 millions de tonnes de déblais, soit le poids de huit pyramides de Gizeh !

    Où passeront-ils ?

    Profond, très profond. Là où le métro parisien passe entre 7 et 15 m sous terre (à l'exception de stations sous une colline, comme Abbesses, la plus profonde, à 36 m), là où le RER s'enfonce à 30 m maximum, les tunneliers du Grand Paris plongeront entre 15 et… 55 m sous terre !

    En cause, un sous-sol francilien déjà encombré et une géologie complexe. « En positionnant les gares à grande profondeur, on a évité les fondations des immeubles, les réseaux existants… Mais la géologie, elle, reste toujours complexe, même en profondeur. Il y a les sables de Beauchamp, les argiles vertes, les carrières de gypse… On peut avoir des mauvaises surprises », explique Thierry Dallard, président de la Société du Grand Paris (SGP) chargée de construire le métro.

    Qui peut les piloter ?

    Ils sont peu nombreux à pouvoir s'aventurer dans ces mastodontes immergés dans les profondeurs du Bassin parisien. Outre des compétences techniques spécialisées, il faut aussi accepter de travailler confinés dans de petits espaces, coupé de la lumière, dans la poussière et le vacarme. « Il faut être un peu maso », reconnaît Maxime Ramond, qui a piloté des tunneliers en région parisienne, sur la ligne 12 du métro ou pour le tramway T6, mais aussi au tunnel du Pertuis, à la frontière franco-italienne, ou à Hong Kong. Il est aujourd'hui formateur chez Bouygues pour ce métier si spécifique.

    Dans la cabine du premier tunnelier, à Champigny, en avril 2018./LP/Laure Parny
    Dans la cabine du premier tunnelier, à Champigny, en avril 2018./LP/Laure Parny LP/J.-G.B.

    À l'intérieur du tunnelier en action, seules une quinzaine de personnes peuvent travailler. Ces engins disposent d'un vrai poste de pilotage, qui jauge en temps réel la nature des sols traversés. « Plus la terre est dure, plus il faut de pression pour avancer, explique Jack Royer. Le tunnelier est télécommandé depuis l'intérieur. » Mais parfois, il doit faire une pause et il faut même sortir à l'avant. Des plongeurs formés pour travailler dans des cabines à haute pression viennent alors à la rescousse. « Dans la roue de coupe, il est prévu le passage d'un homme, avec une porte, comme pour les sous-marins », poursuit Jack Royer. Sur chaque chantier, une statue de sainte Barbe, la patronne des mineurs, veille…

    Qui les fabrique ?

    Ce chantier d'exception ne pouvait pas échapper au leader mondial du secteur. Les 21 tunneliers à l'œuvre d'ici à 2020 sont tous, sans exception, produits en Allemagne, chez Herrenknecht. L'entreprise de Schwanau, à quelques kilomètres de Strasbourg, conçoit et assemble chacun de ces engins, à 20 millions d'euros pièce, dans son usine. Avant de les démonter, les acheminer et les remonter, pièce par pièce, dans les puits où ils creuseront.

    « Entre la commande et la livraison, il faut un an, précise Jack Royer. Herrenknecht tient tout à fait ses délais. Ils sont très très forts. » La société ajoute même parfois une touche artistique à ses colosses souterrains. L'un des tunneliers de la ligne 14 a en effet été décoré, sur sa roue de coupe, par des artistes mondiaux du graffiti, Lek & Sowat. Leur œuvre éphémère, « Subway Art », sera bientôt dévorée par les sous-sols parisiens.