Comment les partis choisissent leur siège

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Comment les partis choisissent leur siège

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Fini Solférino. Le Premier secrétaire du PS, Olivier Faure, sur le toit du nouveau siège du parti, à Ivry, le 8 janvier 2019.
Fini Solférino. Le Premier secrétaire du PS, Olivier Faure, sur le toit du nouveau siège du parti, à Ivry, le 8 janvier 2019.
© AFP - Stéphane de Sakutin

Le Parti socialiste a organisé son premier point presse vendredi dans ses nouveaux locaux d'Ivry. L'événement marque un tournant dans l'histoire du parti, dont le QG avait toujours été à Paris. Au delà du PS, le choix d'un siège répond souvent à un compromis entre symbole et fonctionnalité.

C'est la première fois qu'un Premier secrétaire du PS présentait ses vœux à la presse en banlieue. "L'événement" a eu lieu ce vendredi matin au 99 de la rue Molière, à Ivry-sur Seine. Après 37 années passés dans leur QG historique de Solférino, les socialistes ont mis le cap sur le Val-de-Marne, contraints par leurs défaites électorales de 2017 et leurs conséquences financières. Au delà du PS, le choix du siège pour une formation politique répond le plus souvent à des considérations symboliques mais aussi pratiques.

Le siège incarne le parti aux yeux des Français

Jacques Chirac, Yves Guéna, Jérôme Monod et Charles Pasqua au journal de 20 heures de TF1 en direct du siège du RPR rue de Lille le 20 janvier 1978.
Jacques Chirac, Yves Guéna, Jérôme Monod et Charles Pasqua au journal de 20 heures de TF1 en direct du siège du RPR rue de Lille le 20 janvier 1978.
© AFP - Georges Bendrihem

Le choix du siège d’un parti est important en France : “Sous la Ve République, les partis sont la cheville ouvrière de la vie politique française. Sans eux, ça ne fonctionne pas”, explique Christophe Bellon, historien et membre correspondant du centre d’histoire de Sciences Po. “Le siège d’un parti est très important aussi car c’est la maison mère, le lieu où se vit la semaine politique : pour les élus nationaux mais aussi pour les élus locaux de passage à Paris, qui viennent assister à des réunions dans leur siège. C’est l’endroit où tout est organisé avant que les décisions ne redescendent dans les fédérations et vers les militants”.

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Mais cette maison centrale est aussi une image : “celle de son chef, qui est en général un parlementaire destiné à de grandes fonctions”, poursuit Christophe Bellon, “ce fut le cas de Mitterrand, de Chirac, de Sarkozy, de Hollande. Le bâtiment est aussi celui qui va incarner le parti politique auprès de l’ensemble de la population. C’est une façon de personnifier la vie politique : on disait ‘Solférino’ pour désigner le PS comme on disait la ‘rue de Lille’ autrefois pour nommer le RPR”. Cet usage de la métonymie (nommer une partie pour désigner le tout) s'appliquant aussi à d'autres lieux de pouvoir : l’Elysée pour la présidence de la République, Beauvau pour le ministère de l’Intérieur, etc. “Donner une adresse à un parti, lui donner un bâtiment, une architecture, permet de l’incarner aux yeux des Français”.

Un siège qui se doit d’être fonctionnel

François Mitterrand au siège du PS, rue de Solférino, le 27 avril 1981.
François Mitterrand au siège du PS, rue de Solférino, le 27 avril 1981.
© AFP - Georges Gobet

Pour autant, le choix de l’adresse répond aussi à des considérations pratiques : “La principale raison est la proximité avec l’Assemblée nationale et le Sénat”, explique Christophe Bellon, “ce qui revient à choisir le 6e ou le 7e arrondissement. Le PS a ainsi eu son premier siège place du palais Bourbon, juste à l’entrée de l’Assemblée. Lorsque le parti s’est installé au 10 rue de Solférino, en 1981, il n’était qu’à une station de métro de l’hémicycle. La raison est simple : lorsqu’un parlementaire vient à Paris, si son siège est à côté du Parlement, il ira. S’il est dans le 19e, il ira moins”.

“Dès lors qu’un parti joue un rôle fort dans la vie politique, il se doit d’être représenté le mieux possible dans le cadre de la semaine politique et donc être proche du Parlement. Sachant que le siège ne sert réellement que trois jours par semaine, à l’occasion des questions au gouvernement notamment. Il est presque vide le reste du temps”.  

A l’intérieur, les locaux doivent aussi être fonctionnels : “Le siège d’un grand parti doit disposer d’une salle comprenant plusieurs centaines de places afin d’organiser ses conventions et réunions politiques pour réunir tous les parlementaires”, détaille Christophe Bellon. Mais ce critère n’est pas toujours rempli : l’UMP, lorsqu’elle était au 55 rue La Boétie (8e arrondissement), de 2002 à 2011, ne disposait pas d’une salle de cette taille dans l’ancien immeuble de banque qu’elle occupait. “La direction était obligée de louer ailleurs, comme à la salle Gaveau, pour organiser des réunions thématiques ou des conventions”.

Ce besoin de suffisamment de places avait incité Philippe Séguin à acheter un siège au 2 Boulevard de la Tour Maubourg (7e arrondissement) pour le RPR (de 2001 à 2002) délaissant le siège historique de la rue de Lille, occupé depuis 1958. Dans d’autres partis, la question du manque de places ne se pose pas : au PC, installé place du colonel Fabien (19e arrondissement) depuis 1971, le sous-sol est équipé de nombreuses salles de réunions dont la salle du conseil national, qui peut accueillir 250 personnes.

Un siège qui ne coûte pas trop cher

Le premier secrétaire du PS Olivier Faure au dessus du buste de Jean Jaurès dans le siège du PS à Ivry le 8 janvier 2019.
Le premier secrétaire du PS Olivier Faure au dessus du buste de Jean Jaurès dans le siège du PS à Ivry le 8 janvier 2019.
© AFP - Stéphane de Sakutin

Mais peu à peu, la question financière s'est également imposée : “Plus on avance dans le temps et moins les partis ont les moyens de financer leur implantation. Leur budget est très inférieur aujourd’hui à ce qu’ils pouvaient être sous la IIIe République”, explique Christophe Bellon. Les règles de financement de plus en plus strictes ont ainsi conduit les partis à revoir leur implantation mais aussi à délaisser la location pour l’achat. Le parti gaulliste (UNR, UDR puis RPR) était locataire de son siège au 123 rue de Lille (7e arrondissement) de 1958 à 2001 avant de devenir propriétaire au Boulevard de la Tour Maubourg puis rue de la Boétie. Mais ce choix ne fonctionne pas très bien puisque l’UMP loue une partie de ses locaux rue de la Boétie avant d’acheter le 238 rue de Vaugirard (15e arrondissement) en 2011. Cet ancien garage Renault a coûté 40 millions d’euros (moitié pour l’achat, moitié pour la rénovation) et en 2018, le président des Républicains Laurent Wauquiez a décidé de le vendre pour en devenir locataire.

Le prix d’un siège se mesure également à son coût d’entretien. Rue de Vaugirard, le QG de l’UMP, devenue LR, s’étend sur 5 500 m² qu’il faut chauffer, éclairer, nettoyer… Rue de Solférino, le PS disposait d’une surface de 3 400 m². Des superficies qui font toutefois pâle figure à côté du PCF et de son siège historique de la place du colonel Fabien, détenu depuis 1971. La surface au sol dépasse les 10 000 m², sans compter les fenêtres de la “façade rideau” incurvée qu’il faut régulièrement changer : “Chaque année, il faut compter 40 à 50 000 euros de dépenses pour remplacer les vitres et les fenêtres abîmés car il s’agit de modèles spéciaux”, explique Jean-Louis Frostin, l’administrateur du siège du PCF. Sous la coupole de la grande salle, le nettoyage et le remplacement des néons a lieu tous les six ou sept ans et nécessite de retirer toutes les ailettes qui pendent du plafond : “L’opération coûte à chaque fois 60 à 70 000 euros”. Pour continuer d’occuper son siège (classé monument historique en 2007), le PC a dû louer les trois premiers étages du bâtiment (qui en compte six). Les lieux accueillent aussi régulièrement des événements culturels ou des tournages de films.

Le siège comme symbole d’un projet

Le siège du Parti communiste français, place du Colonel-Fabien, à Paris le 25 octobre 2018.
Le siège du Parti communiste français, place du Colonel-Fabien, à Paris le 25 octobre 2018.
© Radio France - Maxime Tellier

Le choix du siège peut aussi servir de symbole : lorsque Jacques Chirac prend la tête du parti gaulliste en 1976 - l’UDR vieillissant devient alors le RPR -, il fait le choix de la Tour Montparnasse construite trois ans plus tôt comme un symbole de modernité ; il n’y restera qu’un an. En 1974, François Mitterrand avait aussi installé le QG de sa campagne à l’élection présidentielle dans le gratte ciel parisien. Plus récemment, Emmanuel Macron a choisi le même immeuble pour domicilier les bureaux d’En Marche en 2016, tout comme Benoît Hamon lors de la primaire citoyenne en 2017 et pour son mouvement Génération.s fondé en mars 2018.

Mais en matière de symbole, la palme revient sans doute au PC, installé Place du Colonel Fabien depuis 1971 : le bâtiment, tout de verres, de béton et de courbes, a été dessiné par le prestigieux architecte brésilien Oscar Niemeyer. Le PCF fait la démonstration de sa puissance à une époque où il est au sommet de son influence : “Le parti représentant de la classe ouvrière, du peuple, méritait d’avoir ce qu’il y a de mieux”, explique Jean-Louis Frostin, “le projet avait aussi un but pratique car le parti disposait de plusieurs bureaux éparpillés à l’époque”.

Le Génie des lieux
30 min

L’emplacement, éloigné des deux chambres du Parlement, n’est pas non plus anodin. “La composition sociologique du quartier, très populaire dans les années 70, est mise en avant par le PC”, explique Christophe Bellon, “et c’est une première car jusqu’à présent, ce critère sociologique n’avait pas été très respecté par les autres partis”

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Aujourd’hui, cette concordance entre les valeurs portées par un parti et le quartier dans lequel il s’installe fait l’objet de plus d’attention et de précaution. Le meilleur exemple étant le Parti socialiste : rue de Solférino, le PS était propriétaire d’un hôtel particulier dans l’un des quartiers les plus chics de Paris (le 7e arrondissement) de 1981 à 2018. Une fois l'immeuble vendu pour 45 millions d’euros, le parti a jeté son dévolu sur une ancienne fabrique d’Ivry-sur-Seine : un bâtiment issu du monde du travail installé dans un fief communiste de l’ancienne banlieue rouge. D’un point de vue pratique, le nouveau siège reste toutefois relativement proche du Sénat et de l’Assemblée, à 20 minutes en RER C.

Visite du nouveau siège du PS avec son Premier secrétaire Olivier Faure. Reportage de Laurence Peuron

1 min

Un choix de plus en plus scruté

“Aujourd’hui, il est devenu plus choquant de voir un parti incarné par un siège dans un quartier bourgeois”, explique Christophe Bellon, “les dirigeants font plus attention afin de mieux représenter la société française. Mais c’est difficile, Paris étant ce qu’elle est, une ville très chère”.

“Jusqu’à la fin des années 90, l’élément déterminant était l’aspect utile du siège, on y mettait le prix, dans de beaux bâtiments pour que l’image du parti soit bonne mais la situation a changé depuis le début des années 2000, en raison notamment des sièges de campagne électorale, qui s’installent dans des quartiers plus symboliques, qui représentent quelque chose sur le plan social”.

En 2002, Jacques Chirac inaugure un tournant en installant son siège de campagne dans le 10e arrondissement, quartier plutôt considéré comme populaire à l’époque. Sarkozy fait le même choix en 2007, quelques rues plus loin même s’il revient dans le 15e en 2012. Mais cette dernière adresse n’est pas non plus implantée dans les quartiers chics. “S’il y a un choix symbolique, social, sociologique, on le trouve plutôt dans les sièges des partis en campagne que dans les sièges des partis tout court. Mais cette évolution influe aussi sur les sièges principaux”, continue Christophe Bellon. En 2010, Xavier Bertrand choisit d’installer le siège de l’UMP rue de Vaugirard dans le 15e (décision qui sera effective en 2011), “un quartier qui n’est ni bourgeois, ni populaire, à proximité de la ligne 12, en liaison directe avec l’Assemblée”.

Aujourd’hui, le siège le plus “bourgeois” est sans doute celui du Modem, rue de l’université, à deux pas de l’Assemblée et conservé contre vents et marées par François Bayrou.

Le siège de La République en Marche en 2018 au 63 rue Sainte-Anne à Paris (2e arrondissement)
Le siège de La République en Marche en 2018 au 63 rue Sainte-Anne à Paris (2e arrondissement)
- Google Street View

La République en Marche a fait le choix du 2e arrondissement, rue Sainte-Anne, dans un hôtel particulier de 1 000 m² : “une décision qui correspond à la sociologie du parti, plutôt bien insérée. C’est un choix intermédiaire, dans un quartier central, facilement accessible de l’Assemblée mais il s’agit d’un juste milieu : ça n’est pas clinquant ou bling bling”.

La France insoumise était installée dans un premier temps à Massy, la première commune d’élection de Jean-Luc Mélenchon dans les années 80. Un choix symbolique : en banlieue, dans la grande couronne et dans une commune de gauche. Le parti dispose aujourd’hui d’une adresse rue de Dunkerque dans le 10e arrondissement de la capitale.

Quant au Front national, devenu Rassemblement national, le parti s’est d’abord installé à Saint-Cloud, dans son "Paquebot". “C’était un choix de son fondateur Jean-Marie Le Pen', précise Christophe Bellon, "il ne voulait pas trop s’éloigner de la propriété familiale de Montretout”.

Le "Paquebot", siège historique du Front national, à Saint-Cloud. Imposant bâtiment de 5 000 m2, il était le symbole des années de succès électoraux du FN. Photo du 30 avril 2002
Le "Paquebot", siège historique du Front national, à Saint-Cloud. Imposant bâtiment de 5 000 m2, il était le symbole des années de succès électoraux du FN. Photo du 30 avril 2002
© AFP - Philippe Desmazes

Le FN, qui n’a jamais eu beaucoup d’élus au Parlement (35 au maximum en 1986), est ensuite parti à Nanterre, en 2008. Baptisé "le Carré", le bâtiment serait détesté par Marine Le Pen et jugé sinistre et trop éloigné des transports par ses cadres. Il était question d'un retour à Saint-Cloud en septembre 2017 mais l'opération n'a pas abouti. Le parti est ainsi toujours resté en banlieue.