« Aujourd’hui, nous avons besoin de silence, mais cela ne peut pas signifier le mutisme, car se taire confinerait à l’indifférence. » En Pologne, cinq jours après l’attaque au couteau qui a coûté la vie, lundi 14 janvier, au maire libéral de Gdansk, Pawel Adamowicz, l’oraison funèbre prononcée samedi par son épouse Magdalena est venue clôturer une intense série de commémorations, mais aussi peut-être la fragile trêve politique consécutive au drame.
« Aujourd’hui, nous devons tous faire notre examen de conscience. Que faisions-nous lorsqu’à côté de nous se manifestaient le mal, l’injustice, la bassesse ? Pawel et notre famille étions visés par de nombreuses mauvaises paroles, ça nous faisait mal, mais Pawel prenait ça sur lui. Que ne se répète jamais la tragédie qui l’a affecté, lui et notre famille, et a plongé Gdansk dans le deuil », a lancé Magdalena Adamowicz sous les voûtes blanches de l’immense église Sainte-Marie, dans un discours qui a provoqué des larmes parmi l’assistance.
Outre les dizaines de milliers d’habitants de la ville réunis pour un dernier hommage à leur maire, l’église comptait la plupart des hauts responsables politiques du pays, dont le président de la République, Andrzej Duda, et le premier ministre, Mateusz Morawiecki, issus du parti ultraconservateur Droit et justice (PiS).
« Nous ne serons plus indifférents au poison de la haine »
Etait-ce d’abord à eux que s’adressait la veuve de l’édile assassiné ? L’oraison suivante prononcée par Aleksander Hall, ami de longue date du défunt et ancien député conservateur, n’a pas laissé place au doute. Après avoir rappelé le rôle des parents de Pawel Adamowicz dans la formation de sa « foi profonde », son « patriotisme » et sa « connaissance de la véritable histoire de la Pologne » – des valeurs dont le PiS revendique le monopole –, il a affirmé que « la haine qui a tué Pawel a été générée en le disqualifiant moralement. J’appelle ceux qui ont une influence sur notre vie publique, donc avant tout les gouvernants, à abandonner ces pratiques. »
Moins explicite quant aux destinataires de ses reproches, mais plus cinglant encore dans ses propos, le père dominicain Ludwik Wisniewski, figure de l’aile progressiste de l’Eglise polonaise, a été applaudi pour avoir tonné : « Il faut arrêter avec les discours haineux, le mépris, les accusations infondées. Nous ne serons plus indifférents au poison de la haine qui pullule dans les rues, les médias, sur Internet, dans les écoles, au Parlement, mais aussi à l’église. Ceux qui parlent le langage de la haine et font carrière sur le mensonge ne peuvent pas exercer de hautes responsabilités dans notre pays. »
Le meurtre de Pawel Adamowicz marque-t-il un tournant dans la vie politique polonaise ? Au gouvernement, on semble, en tout cas, avoir pris au sérieux les critiques sur le laxisme des forces de l’ordre lorsqu’il s’agit de sanctionner les incitations à la haine. Ces derniers jours, avec un zèle inédit, elles ont arrêté une vingtaine de personnes ayant proféré des menaces contre des hommes politiques ou « s’étant publiquement moqués de la mort tragique du maire de Gdansk ».
Le rôle des médias en question
En revanche, l’utilité d’une nouvelle loi de pénalisation du discours de haine ne fait pas l’unanimité, y compris parmi l’opposition. Le Défenseur des droits, Adam Bodnar, estime ainsi qu’une partie du problème réside dans le cumul des fonctions de ministre de la justice et de procureur général, exercées par « un homme politique qui poursuit des objectifs politiques par l’intermédiaire du parquet et accélère ou ralentit les procédures en fonction de besoins politiques ». Une allusion claire au ministre de la justice, Zbigniew Ziobro, qui exerce un contrôle direct sur le parquet tout en dirigeant un parti satellite de la coalition autour du PiS.
Au cours des funérailles, le frère du maire assassiné, Piotr Adamowicz, a rappelé qu’« il n’y a pas si longtemps, un groupe de nationalistes avait délivré un acte de décès à mon frère et dix autres maires [signataires d’une déclaration favorable à l’accueil de migrants]. L’affaire n’a pas été considérée [elle a été classée sans suite par le parquet]. »
Du côté des médias publics, en particulier la télévision TVP, dont la brutalité et la vulgarité de la propagande suscitent le rejet jusque dans les rangs du PiS, le directeur Jacek Kurski semble, cependant, toujours bénéficier de la protection du tout-puissant président du parti, le député Jaroslaw Kaczynski. Ce dernier s’est d’ailleurs fait remarquer par son absence lors des obsèques officielles et de la minute de silence observée au Parlement.
Au-delà de ces éléments rattachés de façon plus ou moins convaincante au meurtre de Pawel Adamowicz, sa famille et ses amis politiques ont fait valoir son « testament politique » de « mobilisation citoyenne » en « défense de la Constitution et de l’indépendance des tribunaux », quelques mois avant les élections européennes et législatives ainsi que les anniversaires de l’entrée dans l’OTAN (20 ans), l’UE (15 ans), le début de la seconde guerre mondiale (80 ans) et les 30 ans des élections libres de 1989, le 4 juin. Cette date devait, selon Pawel Adamowicz, être l’occasion de célébrer à Gdansk « la naissance de la Pologne libre », quand le PiS y voit le symbole de la compromission entre branche libérale de Solidarnosc et régime communiste.
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