Grand débat : quand Louis XVI demandait à ses «fidèles sujets» leurs doléances

En 1789, Louis XVI convoque des états généraux et invite «ses fidèles sujets» à exposer ses motifs de colère et ses idées pour remédier aux maux du pays. 230 ans plus tard, Emmanuel Macron, face aux Gilets jaunes, ouvre un grand débat national.

 Neuvillalais (Sarthe), le 8 mars 1789. Les habitants viennent faire part de leurs plaintes et doléances.
Neuvillalais (Sarthe), le 8 mars 1789. Les habitants viennent faire part de leurs plaintes et doléances. Archives Nogent-le-Rotrou

    Affaibli par la crise des Gilets jaunes et sa chute dans les sondages, Emmanuel Macron compte sur le grand débat national, lancé pour retisser le lien abîmé avec les Français – à qui il a écrit une lettre en début de semaine – invités jusqu'au 15 mars à livrer leurs contributions, lors de réunions publiques ou sur Internet. « Je tirerai des solutions véritables de ce débat, car je veux en faire un acte II de mon mandat », promet le président, qui a inauguré cette consultation lors de deux rencontres marathon avec des maires dans l'Eure et le Lot. Du déjà-vu? La démarche ressemble en tout cas à celle de Louis XVI qui, à l'aube de la Révolution française, lançait ses états généraux… Retour en arrière.

    « Nous avons besoin du concours de nos fidèles sujets pour nous aider à surmonter toutes les difficultés où nous nous trouvons, relativement à l'état de nos finances… » Bigre ! Il faut vraiment que le roi soit inquiet pour lever à ce point le voile sur les « maux de l'État ». Le climat lugubre qui règne en début 1789 n'aide probablement pas à réchauffer son optimisme. Jamais, depuis le terrible hiver 1709, il n'a fait si froid. La température est descendue à -18 °C à Paris, où la Seine se transforme en lac de glace pendant deux mois !

    À Versailles, les vitres du château, entièrement givrées, n'empêchent pas Louis XVI de contempler le désastre. Les moulins sont à l'arrêt. Le pain, terreux, mais hors de prix, torture les intestins. Les routes se remplissent de hordes de vagabonds. Le chômage explose, au point que dans la capitale, on recense 120 000 « indigents » sur 600 000 habitants !

    L'humidité est telle que dans les cheminées, les bûches fument plus qu'elles ne flambent. Le seul combustible qui vaille, en ce mois de terrible mois de janvier, c'est la colère. En Bretagne, en Provence, partout, on signale des bandes de pillards qui s'attaquent aux greniers à blé ou à d'opulentes abbayes. « Il n'y a plus d'obéissance nulle part, on n'est même pas sûr des troupes », lui a confié Necker, son principal ministre.

    Des états généraux pour calmer le peuple

    Louis est peut-être le roi des indécis, mais il n'est pas aveugle : il lui faut agir vite pour éteindre ce volcan qui gronde sous un pays vitrifié par le froid. Après de longues tergiversations, il s'est décidé à ressusciter les états généraux, vieille tradition qui remonte à Philippe Le Bel, au début du XIIIe siècle. Or les derniers datent de 1614. C'est le signe que l'heure est grave et surtout, qu'il n'a plus de marges de manœuvre : la France est riche, mais son État, en faillite.

    Ses quinze ans de règne ont multiplié la dette publique par trois. Parmi les coupables désignés à la vindicte populaire, une tête dépasse : sa femme Marie-Antoinette. Déjà surnommée « l'Autrichienne », la voilà « Madame Déficit », cible de tous les libelles haineux. Avec cet hiver maudit, les impôts rentreront mal. Quant aux changements de ministres, ils n'ont rien arrangé, alors que faire ?

    Dans la lettre de convocation, rendue publique le 24 janvier, il en appelle directement à « ses peuples » pour « remédier aux maux dont souffre le pays ». Dans ces lignes, on devine l'angoisse qui perce sous le ton paternaliste. « Sa Majesté désire que s'assemblent dans ses villes et villages et dans le plus bref temps les habitants pour conférer tant des remontrances, plaintes et doléances que des moyens et avis qu'ils auront à proposer. » En clair, voici l'équation qu'il soumet aux 26 millions de Français : réduire des déficits tout assurant leur « bonheur », « la prospérité du royaume », ainsi que « le calme et la tranquillité dont nous sommes privés depuis si longtemps » ?

    « Ceux qui ont le plus de biens paient le moins »

    Sa lettre, lue dans toutes les églises de France, attendrit les cœurs, seul lieu où son règne reste presque absolu. Quatre ans seulement le séparent de l'échafaud, mais en cette fin janvier, les Français n'en ont pas contre leur « bon roi », comme l'attestent les 60 000 cahiers de doléances compilées jusqu'à la fin avril.

    Les privilégiés, en revanche, en prennent pour leurs grades dans ceux du tiers état : « Sire, nous sommes accablés d'impôts de toutes sortes. Ce qui nous fait bien de la peine, c'est que ceux qui ont le plus de biens paient le moins », se plaignent les paysans de Culmont (Haute-Marne). « Le Clergé et la Noblesse jouissent de revenus immenses. Nous sommes jaloux qu'ils ne paient pas le quart des impôts qu'ils devraient payer », proteste le Tiers de Saint-Avit (Lot-et-Garonne), le 9 mars.

    Un cahier de doléances de 1789./Leemage/Bridgeman Images
    Un cahier de doléances de 1789./Leemage/Bridgeman Images Archives Nogent-le-Rotrou

    Dans de nombreux bailliages du royaume, on demande la suppression de la dîme (prélevée par l'église sur les récoltes), de la gabelle (sel), des corvées ou des droits seigneuriaux « qui sont autant de plaies vives par où la vie des sujets du roi s'écoule douloureusement », consigne le Tiers de Mirecourt (Vosges). « La nécessité d'abolir la féodalité est pressante », appuie celui de Rennes. La question de la fiscalité est omniprésente dans ces cahiers du tiers état. À Evreux, elle revient 118 fois !

    Dans les villages, on se plaint aussi beaucoup de la misère, devenue accablante : « Nos campagnes inondent de mendiants de tout âge », s'alarment les « chefs de feu » (foyer) de la Caure (Marne), qui s'attristent de n'avoir « pas de quoi nourrir » leurs propres enfants. Les paysans réclament aussi des droits plus nourriciers, comme de chasser le lapin ou le pigeon. Alors qu'ailleurs, les magistrats ou avocats qui finissent par tenir la plume des cahiers, insistent sur les nécessaires transformations politiques : plus de libertés, une constitution à la France, l'unité des lois…

    Dans les cahiers du clergé, les curés de campagne s'agacent de la tutelle de Rome ou l'incompétence de leurs évêques, souvent beaucoup plus jeunes qu'eux. La noblesse, qui se laisse séduire par les idées libérales, veut plus de pouvoir au détriment du roi. À Paris, où le bouillonnement politique est intense, le cahier du tiers se fait l'écho de l'orage qui gronde en ce début de printemps : « Une grande révolution se prépare ».

    LE MOT : états généraux

    Ouverture des états généraux, à Versailles, le 5 mai 1789, peint en 1839./Auguste Couder
    Ouverture des états généraux, à Versailles, le 5 mai 1789, peint en 1839./Auguste Couder Archives Nogent-le-Rotrou

    Les états généraux, que le roi a convoqués à Versailles, s'ouvrent le 5 mai 1789 en présence de 1 154 députés. Ce ne sont pas des représentants du peuple, mais des mandataires choisis dans chacun des 400 bailliages (ou sénéchaussées dans le sud) du royaume. Dans ces territoires électoraux, chacun des trois ordres (noblesse, clergé, et le tiers état) s'est réuni en assemblées entre février et avril. C'est forcément plus compliqué pour le tiers état, 98 % de la population, où les consultations se font par villages, paroisses, quartiers ou corps de métiers.

    Ces assemblées ont deux fonctions : désigner des délégués, qui se retrouvent ensuite dans des assemblées intermédiaires qui élisent à leur tour les députés (deux fois plus pour le tiers état) qui iront à Versailles, et compiler les griefs et demandes des participants, ensuite synthétisés dans des cahiers de doléances. Environ un tiers des Français concernés (à de rares exceptions près : les hommes imposables de plus de 25 ans) auraient contribué, de près ou de loin, à leur élaboration.