Musée du quai Branly - Jacques Chirac

L’art du bambou, subtil et créatif

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Le musée du quai Branly – Jacques Chirac accueille actuellement la première exposition française dédiée à l’art de la vannerie japonaise en bambou, de son essor à nos jours. Il présente près de deux cents œuvres, dont certaines ont été spécialement commandées pour l’événement. Des pièces d’exception, qui ont fait de ce végétal omniprésent au pays du Soleil-Levant un véritable médium artistique.
Yamamoto Chikuryōsai, Vannerie pour l’ikebana en forme de bateau
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Yamamoto Chikuryōsai, Vannerie pour l’ikebana en forme de bateau

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Les premières audaces

L’art du bambou remonte à la période Jōmon (14 000–400 av. J.-C.), durant laquelle on trouve les tout premiers objets en lamelles de bambou. Il faut toutefois attendre l’époque Kamakura (1185–1333), puis l’époque Muromachi (1336–1573) pour assister à un développement notable de l’artisanat de la vannerie, en lien direct avec l’art du thé venu de Chine. Une fascination naît alors pour les objets et ustensiles chinois, que l’on collectionne et dont on observe les formes et les techniques pour mieux se les approprier – puis les développer. Cela, jusqu’au XIXe siècle : les artisans affirment alors leur personnalité dans la production d’objets toujours plus fins et audacieux, et se détachent du vocabulaire de formes chinois. Ici, cette vannerie réalisée en 1916 par Yamamoto Chikuryōsai est destinée à accueillir des compositions de fleurs, dites ikebana : le panier, en forme de bateau, témoigne d’une grande virtuosité.

Bambou hōbichiku, rotin, laque et otoshi en cuivre • © musée du quai Branly - Jacques Chirac / photo Tadayuki Minamoto

Iizuka Rōkansai, Vase pour l’ikebana nommé « Clôture de campagne » Hanakago « Magaki »
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Iizuka Rōkansai, Vase pour l’ikebana nommé « Clôture de campagne » Hanakago « Magaki »

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Un homme moderne : Iizuka Rōkansai

L’art du bambou donne ainsi l’occasion aux artisans de réaliser, en plus des corbeilles à fruits et des vanneries murales, de très nombreux paniers destinés à accueillir des ikebana. Certains sont dotés de hautes anses et tressés extrêmement serrés ; d’autres, comme celui-ci, déploient un style singulier, bien plus moderne. Car, si la diversité des techniques et des motifs témoignait jusqu’ici de l’exigence des artisans, qui se transmettent le savoir de père en fils, une figure artistique se détache nettement du lot : celle de Iizuka Rōkansai (1890–1958). Celui-ci s’est d’abord tourné vers la peinture, la poésie et la calligraphie, avant de revenir vers la passion familiale pour la vannerie. Ses travaux n’en sont que plus audacieux et virtuoses, comme l’évoque le commissaire de l’exposition, Stéphane Martin : « Il ouvrit de nombreuses routes que ses contemporains ou ses successeurs étaient condamnés à emprunter. » Il marqua en effet le début d’une ère nouvelle dans l’art de la vannerie : d’artisanat luxueux, elle devint art.

Bambou shinodake et laque • © A+C VVG © musée du quai Branly - Jacques Chirac / photo Tadayuki Minamoto

Yonezawa Jiro, Daruma (Bodhidharma)
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Yonezawa Jiro, Daruma (Bodhidharma), 2018

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La vannerie contemporaine ouvre la voie à la liberté des formes

À la suite de Iizuka Rōkansai, dans la seconde moitié du XXe siècle, les formes se libèrent peu à peu. Au sein de l’exposition, des documentaires vidéo font le portrait des créateurs contemporains. On écoutera notamment celui de Yonezawa Jiro (né en 1956) : l’homme a séjourné pendant dix-huit ans aux États-Unis et s’est intéressé au Fiber Art – qui désigne des œuvres d’art constituées de fibres naturelles ou synthétiques. Ce regard sur l’art contemporain lui a inspiré des créations plus sculpturales, tel ce très impressionnant Daruma (Bodhidharma) commandé par le musée du quai Branly – Jacques Chirac, fait de bambou madake, d’acier et de laque.

Bambou madake, acier et laque • © musée du quai Branly - Jacques Chirac / photo Claude Germain

Jin Morigami, Ōunabara (Grand océan)
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Jin Morigami, Ōunabara (Grand océan), 2017

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Des créations aussi légères que des plumes

Morigami Jin (né en 1955) est un prodige : arrivé à 24 ans dans une école professionnelle en ayant déjà de bonnes bases de tressage (il a grandi dans une famille de vanniers), l’homme s’est rapidement fait remarquer en remportant de façon précoce le concours des beaux-arts Nitten. Quitte à provoquer quelques jalousies… Mais peu importe. Il a forgé son style en regardant vers l’extérieur du Japon, puisque des commandes venues des États-Unis l’ont poussé à expérimenter, à réfléchir à des œuvres plus sculpturales. Il s’est approprié un style de tressage hexagonal éloigné des traditions, qui rend ses travaux reconnaissables entre mille. Ce Grand Océan aux parois vibrantes est exemplaire de son style très organique, fin et si délicat qu’on pourrait passer des heures à en scruter les courbes et les lignes.

Bambou madake et laque • © musée du quai Branly - Jacques Chirac / photo Tadayuki Minamoto

Tanabe Chikuunsai IV, dit aussi Shōchiku III, Conception et design : Sawako Kaijima, Disappear V (Disparaître V)
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Tanabe Chikuunsai IV, dit aussi Shōchiku III, Conception et design : Sawako Kaijima, Disappear V (Disparaître V), 2018

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Quand le bambou rencontre la technologie

Art ancestral, la vannerie japonaise sait s’engager sur des pistes formelles inédites, en s’alliant avec les technologies les plus novatrices. Tanabe Chikuunsai IV (né en 1973) n’hésite pas à entrer franchement dans l’ère contemporaine en s’aidant de la technologie pour donner naissance à des formes ultra-aériennes : l’œuvre Disappear V a été réalisée en collaboration avec Sawako Kaijima, professeur à l’université de Harvard et à l’institut Radcliffe dont les recherches sur la conception informatique de l’architecture et de l’ingénierie ont aidé l’artiste à concevoir une œuvre à la finesse surnaturelle, grâce à un moule en résine imprimé en 3D. Le bambou 2.0 est arrivé !

Bambou madake et rotin d’après un moule en résine imprimé en 3D • 62 × 30 × 25 cm • © musée du quai Branly - Jacques Chirac / photo Tadayuki Minamoto

Uematsu Chikuyū, Air
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Uematsu Chikuyū, Air, 2018

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L’envol

À regarder la captation filmée du ballet des mains qui lissent, tressent et tordent les tiges de bambou, on comprend aisément le plaisir des créateurs, fous d’expérimentations. Uematsu Chikuyū (né en 1947) fait partie des plus intéressants : il vit totalement isolé et emploie tout son temps à la production très lente de pièces non-fonctionnelles (quelques-unes par an seulement). Il tient notamment à préparer longuement son bambou avant le tressage et à s’appliquer sur la couche finale de laque. Selon lui, c’est moins le résultat final que le processus qui importe. Pour la commande que lui a passée le musée du quai Branly – Jacques Chirac, il réalise ce poème de bambou kurochiku et de laque nommé Air. En observant l’épure de ces lignes aux fortes courbes, tous les objets de l’exposition sont à nouveau convoqués, illustrant parfaitement ce mélange entre techniques traditionnelles et hardiesses contemporaines qui s’opère dans les mains et les esprits des vanniers.

Bambou kurochiku et laque • © musée du quai Branly - Jacques Chirac / Photo Tadayuki Minamoto

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Fendre l'air. Art du bambou au Japon

Du 27 novembre 2018 au 7 avril 2019

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