Un sans-abri assis à un carrefour parisien le 24 décembre 2017

Un sans-abri assis à un carrefour parisien le 24 décembre 2017.

afp.com/STEPHANE DE SAKUTIN

Deux de ses camarades d'infortune ont retrouvé son corps inanimé. Dans la nuit de samedi à dimanche, un homme de 35 ans est mort à Valence (Drôme), probablement de froid, selon les premières constatations. Ce sans-abri, bien connu des riverains qui le voyaient régulièrement dormir sous le porche d'une église, a rejoint ce lundi la longue liste du collectif Les morts de la rue (CMDR).

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Ce lundi, le corps d'un autre sans-abri de 53 ans a été découvert dans un champ à Grésy-sur-Aix (Savoie).

Alors que des élus franciliens s'apprêtent à passer la nuit de mercredi dehors, pour sensibiliser l'opinion publique aux conditions de vie des SDF, et qu'une vague de froid déferle sur l'Hexagone, le CMDR poursuit la collecte de ses données. Chaque année, il comptabilise le nombre de décès de sans domicile fixe en France, à partir des signalements qui lui sont faits. Obtenir des statistiques fiables reste cependant très compliqué.

Mourir à l'hôpital, dans un squat ou dans la rue

Entre le 1er janvier et le 14 février 2018, au moins 48 personnes SDF sont décédées en France. Depuis 2014, les chiffres sont stables, avec près de 500 morts par an, selon le CMDR qui tient des registres où ils sont répertoriés par nom, âge et lieu et date du décès. Ces chiffres ne sont cependant qu'une estimation basse de la réalité. Leur nombre pourrait être multiplié par six, selon un calcul réalisé par les statisticiens mandatés par le collectif*.

VIDÉO >> Près de 3000 sans-abri ont été recensés à Paris

"Nos chiffres prennent en compte les personnes sans domicile fixe, mais aussi celles qui vivent dans les bidonvilles", explique le président de l'association. "Notre définition est différente de celles d'autres instituts car nous comptabilisons les décès sur la voie publique -comme la préfecture- mais aussi ceux dans les hôpitaux et les hébergements temporaires." Parmi ces personnes dont les noms remplissent tristement les tableaux du CMDR, près d'un tiers ont rendu leur dernier souffle dans des lieux non prévus pour l'habitation, que ce soit dans la rue, dans un abri de fortune ou dans un squat.

Si le nombre réel de décès est difficile à évaluer, l'âge moyen des morts des rues n'a que très peu fluctué au cours des quatre dernières années. Il oscille autour de 49 ans, lorsque l'espérance de vie moyenne est de 79 ans pour les hommes et de 85 ans pour les femmes.

Le froid cause moins de 1% des décès

Le froid fait-il grimper les chiffres ? "C'est une cause de mort très marginale", affirme Nicolas Clément. "Moins de 1% des morts de la rue sont causés par des hypothermies. Mais ce chiffre serait beaucoup plus important s'il n'y avait pas de mise à l'abri d'urgence pendant les périodes de grands froids." Les statistiques le montrent: l'hiver n'est pas une saison plus mortifère que l'été.

Dans la rue, les gens meurent toute l'année, "même s'il y a des pics en octobre, janvier et durant l'été". "Nous avons encore du mal à l'expliquer, mais nous observons une corrélation entre ces augmentations et les changements de saison". Comme lorsque les centres d'hébergement ferment lors du passage à l'été, suggère le président du CMDR.

Contrairement aux idées reçues, les suicides ne constituent pas non plus une cause de mort importante. Si des études montrent plus d'intentions de suicide exprimées, ils sont même presque deux fois moins nombreux chez les SDF que dans la population générale (5% des décès, contre 9% dans la population générale). Autre cliché à qui Nicolas Clément souhaite tordre le cou, celui de l'alcoolisme des sans-abri, "également moins important que dans la population générale". "Les SDF qui boivent leur bière sur les quais des métros ou dans la rue sont surtout plus visibles que les gens qui boivent chez eux, mais leur consommation n'est pas plus importante", assure-t-il.

Compter et reloger

Près de la moitié des SDF dont la cause de la mort est connue décèdent néanmoins de manière violente. Accident, agression, suicide: ces morts violentes font baisser l'âge moyen des morts dans la rue, comme chez les migrants du Pas-de-Calais, régulièrement renversés sur la route lorsqu'ils tentent d'embarquer à bord de véhicules allant en Angleterre. "Nous devons encore voir si l'évacuation de la jungle de Calais a eu des incidences sur le nombre de morts dans la région. Nous savons déjà que des jeunes sont décédés dans les Alpes [à la frontière franco-italienne qu'ils traversent à pied]", développe Nicolas Clément.

L'autre moitié des SDF meurt en revanche de pathologies semblables à la population générale, comme des cancers, du diabète, des problèmes cardiaques. Une différence majeure néanmoins: leur décès arrive de manière très prématurément "à cause du manque de soins, de l'usure et de l'insécurité, qui créé du stress, déclenche et amplifie les maladies".

Avant leur décès, les personnes SDF ont passé en moyenne 10,3 ans à la rue. Mais les trajectoires sont très diverses, d'où l'importance du recensement, selon Nicolas Clément, également bénévole au Secours catholique. "Comment mettre en place des politiques publiques si nous ne connaissons pas les profils des concernés? Comment, aussi, connaître l'ampleur du fléau?", s'interroge-t-il. "Aujourd'hui, nous n'avons pas d'idée précise du nombre de personnes sans-abri. Les gens le pensent plus élevé qu'il ne l'est. Si nous pouvions le quantifier, trouver des solutions nous paraîtrait plus surmontable."

Ceux qui trouvent un toit ne sont pas pour autant tirés d'affaire. "A cause du phénomène de décompensation, beaucoup décèdent la première année d'hébergement", déplore Nicolas Clément. Les autres atteignent en moyenne l'âge de 62 ans. Soit 13 ans de plus que leurs camarades restés dehors.

*Appariement réalisé par le CepiDc, à partir des chiffres de l'Inserm de 2008-2010 et du CMDR pour estimer le nombre de décès total de personnes SDF. Exemple : en 2016, 615 décès ont été transmis au CMDR, mais le nombre réel de décès pourrait être 2838, avec un large intervalle de confiance compris entre 1489 et 4258.

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