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France

Comment les ambassadeurs se reconvertissent dans le business

Une vingtaine de diplomates, parmi lesquels Alain Azouaou, ancien ambassadeur aux Émirats arabes unis ou Jean-David Levitte, ex sherpa de Nicolas Sarkozy, se sont récemment reconvertis dans le très lucratif conseil aux entreprises. Enquête.

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Ancien ambassadeur aux Émirats arabes unis, Alain Azouaou, réalise avec sa société de conseil un chiffre d'affaires de 1,73 millions d'euros.

Challenges

C’est un poids lourd du Quai d’Orsay qui a franchi le Rubicon le 7 janvier. Après quarante et un ans de maison, dont quatre comme ambassadeur au Qatar puis neuf un record en Arabie saoudite, Bertrand Besancenot a pris sa retraite pour mieux se lancer dans le grand bain du privé. Le « diplo » préféré des cheikhs arabes, qui échange sur WhatsApp aussi bien avec l’émir de Doha que le prince héritier saoudien, a décidé de créer sa société de conseil : Palmelys, contraction de palmier et de lys, l’emblème des rois de France.

« A travers mes connaissances et mon réseau au Moyen-Orient, je vais essayer d’aider nos sociétés, notamment en les mettant en relation avec les bonnes personnes », confie-t-il. Des palais de la République aux salons business des hôtels cinq étoiles du Golfe, ce changement de vie est loin d’être un exemple isolé. Challenges a recensé une vingtaine d’ex-ambassadeurs ayant décidé, ces dernières années, de se reconvertir dans le conseil aux entreprises. Un business qui peut s’avérer très lucratif.

Le pantouflage n’est certes pas un phénomène totalement nouveau. Le Quai d’Orsay avait déjà l’habitude de détacher une poignée de diplomates chevronnés dans les grands fleurons de l’industrie tricolore. Marion Paradas a ainsi quitté récemment son poste en Slovénie pour devenir vice-présidente de Thales, tandis que George Serre est parti de Côte d’Ivoire pour rejoindre le géant du transport maritime CMA-CGM. « Il est plus rare qu’ils rejoignent un groupe étranger, le départ de Gérard Errera, ex-ambassadeur à Londres, vers le fonds américain Blackstone avait fait grincer des dents », note un diplomate.

Mais, aujourd’hui, ce sont bien les activités de conseil qui ont le vent en poupe. Un mouvement concomitant à la montée en puissance de la diplomatie économique sous Laurent Fabius, qui a dépoussiéré l’image des ambassadeurs auprès des entreprises. Le phénomène tient aussi à l’embouteillage des carrières pour les cadres supérieurs du Quai. On compte pas moins de 431 hauts fonctionnaires pouvant prétendre diriger l’une de nos 163 ambassades. Nombre de diplomates proches de la retraite n’ont alors d’autres choix que de devenir ambassadeurs thématiques ou régionaux (lire encadré ci-dessous). La troisième voie, plus rentable, mène au privé.

Spécialisation géographique

Certains cabinets se sont fait une spécialité de recruter ces « VRP de la marque France », comme aimait les appeler Laurent Fabius. C’est le cas de l’Adit, leader français de l’intelligence économique (détenu à 34 % par l’Etat), qui a monté une filiale spécialisée, Entreprise et Diplomatie, pilotée par l’une des anciennes gloires du Quai, Bruno Delaye, passé par Madrid et Brasilia. « Nous faisons du «business to government» (B to G), nous assistons les entreprises dans leurs discussions avec les autorités étrangères, notamment pour la résolution de litiges », explique l’ex-conseiller Afrique de François Mitterrand, qui a embauché trois anciens collègues. La société, qui dégage 3 millions d’euros de chiffre d’affaires, fait, par exemple, du lobbying à Bruxelles pour Air France et a aidé le fabricant de satellites Eutelsat pour ses projets en Afrique.

L’un des concurrents de l’Adit, ESL Network, s’est, lui, adjoint les services de Didier Le Bret, ex-ambassadeur à Haïti, et de la star du secteur Jean-David Levitte, qui travaillait déjà pour le cabinet américain Rock Creek. Passé par Washington, celui que l’on surnomme « Diplomator » a été sherpa de deux présidents, Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy, et dispose d’un des plus gros carnets d’adresses de la diplomatie française. Il a mis en relation ESL avec certains chefs d’Etat africains tels que le Guinéen Alpha Condé et plaidé la cause d’un de ses clients, le constructeur naval DCNS, auprès du Pentagone.

D’autres ex-ambassadeurs ont préféré ne pas se lier à un cabinet ou à une entreprise et se concentrer sur leurs pays de prédilection. Jean-Marc Simon a ainsi monté sa PME, Eurafrique Stratégies, juste après son départ d’Abidjan, plutôt que d’accepter un poste à CMA-CGM « ils me payaient nettement moins », précise-t-il. Outre la Côte d’Ivoire, il est aussi présent au Gabon et au Cameroun, où la stabilité des clans Bongo et Biya assure la pérennité de son carnet d’adresses. Idem pour Jean de Gliniasty. Après avoir quitté son poste à Moscou, il est devenu directeur de recherche à l’Iris sur la Russie et a, dans le même temps, monté sa société de conseil et démarché des patrons du CAC 40. Son créneau : faire le lien entre les entreprises françaises et l’entourage de Vladimir Poutine, avec qui il a gardé de bonnes relations, malgré un contexte diplomatique tendu depuis la crise ukrainienne.

Souplesse déontologique

Ce type d’activité peut générer de confortables revenus, cumulables avec une retraite à taux plein d’ambassadeur, de l’ordre de 5 000 euros. Le recordman en la matière est Alain Azouaou, ex-ambassadeur aux Emirats arabes unis, qui s’est versé 900 000 euros de dividendes en 2017. Installé près de Lyon, il conseille aussi bien des clients français, comme l’Olympique lyonnais ou le fonds d’investissement Ardian que des groupes émiratis désireux de s’implanter dans l’Hexagone.

Mais, en théorie, les anciens ambassadeurs ne peuvent pas tout se permettre. La Commission de déontologie autorise leur pantouflage tant qu’ils n’ont pas de contacts avec les autorités du pays où ils étaient en poste, et ce durant les trois années suivant leur départ. Jusqu’à une période récente, la jurisprudence était tout de même assez flexible. Daniel Parfait, ambassadeur à Mexico, avait ainsi pu prendre la tête de la filiale de Thales au Mexique. Un autre diplomate-consultant, qui a vendu ses services dans le pays de son dernier poste, raconte qu’il s’était interdit de rencontrer des ministres. Mais il ne voyait aucun problème à fréquenter leurs conseillers et les directeurs d’administration.

Aujourd’hui, la Commission se montre plus tatillonne, empêchant aussi certains pantoufleurs d’avoir des relations avec leur successeur à l’ambassade ou avec les services du Quai en charge du pays. « Il ne faut pas introduire de confusion dans les esprits des responsables politiques locaux ni dans ceux des agents de l’ambassade », justifie son président Roland Peylet, qui n’a toutefois pas les moyens humains de vérifier que ses avis sont respectés. « La Commission n’a pas autant de scrupules avec les militaires ou les inspecteurs des finances, peste un diplomate. Ces règles sont hypocrites, elles nuisent aux intérêts des entreprises françaises. » Et surtout à ceux des ambassadeurs businessmen.

 

Des postes pour les diplomates sans ambassade

L’écrivain-diplomate Olivier Poivre d’Arvor les a surnommés les ambassadeurs « fanto-thématiques ». Pour occuper ses ouailles désœuvrées, le Quai d’Orsay a créé des postes sur des sujets transversaux, allant du numérique aux pôles Nord et Sud, en passant par les migrations ou l’action culturelle. Le ministère en a compté jusqu’à 28. Aujourd’hui, il n’en a plus « que » 17 après s’être fait taper sur les doigts par un sénateur lors d’un contrôle budgétaire. Sept de ces postes sont attribués à des ex-ambassadeurs à l’étranger. Depuis 2016, ces derniers peuvent aussi devenir « conseillers diplomatiques auprès des préfets de région ». Une fonction qui peut servir de sas avant de pantoufler dans le privé. Après son départ des Pays-Bas, Pierre Ménat a ainsi officié, un an, en Occitanie avant d’effectuer des missions de conseil pour la PME de Dominique de Villepin et le cabinet de lobbying Lysios.

 

 

David Bensoussan et Antoine Izambard

 

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