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Femmes

Pourquoi les métiers du digital ne séduisent pas les femmes

INTERVIEW - A la veille de la journée organisée par le collectif Ensemble contre le sexisme, où elle intervient pour parler du sexisme dans le digital, Soumia Malinbaum (Keyrus) décrypte les raisons pour lesquelles les femmes se sont détournées de ce secteur et explique comment les y faire revenir.

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Soumia Malinbaum, directrice associée chez Keyrus

Directrice associée chez Keyrus, Soumia Malinbaum est membre du conseil d'administration du Syntec Numérique et fondatrice de l'Association française des managers de la diversité.

Soumia Malinbaum

Le sexisme dans le numérique est l’un des trois thèmes dont débattront les participants à la 2ème journée nationale Ensemble contre le sexisme, qui se tient jeudi 24 janvier à Paris. Soumia Malinbaum, directrice associée chez Keyrus, leader international de la Data et du digital, membre du conseil d’administration du Syntec Numérique et du Medef Paris, interviendra sur ce sujet. Pour Challenges, elle livre ses réflexions sur la place des femmes dans ce secteur stratégique et la façon dont il faudrait la faire progresser.  

Challenges - En quoi la situation des femmes dans le numérique est-elle différente de ce qu’elle est dans d’autres secteurs d’activité ?

Soumia Malinbaum - La situation des femmes dans l’industrie numérique est mauvaise, et ce constat se fait plus fort d’année en année : 30 % des informaticiens étaient des femmes il y a 30 ans, contre 15 % en 2018. De même, les filières de formation au numérique sont composées d’hommes à 90 %. Ainsi, non seulement la filière souffre globalement d’un manque de talents, mais elle se prive de 50 % de la population.

Chez Keyrus, vous avez exercé la fonction de DRH et mis en place la politique de diversité du groupe. Avez-vous fait ce constat sur le terrain et quel est votre diagnostic ?

J’ai observé cette réalité depuis le début de ma carrière, dans les directions informatiques comme au sein des équipes. En effet, à la sortie des écoles d’ingénieurs, rares sont les femmes qui intègrent le monde de l’informatique, et seuls 9 % des créateurs de start-up dans le numérique sont des femmes. Le potentiel de croissance est pourtant très important, mais il ne pourra être atteint en faisant l’impasse sur la moitié des talents. Il est essentiel que les femmes jouent un rôle actif dans la construction des services numériques, particulièrement avec l’arrivée de l’intelligence artificielle. Ces nouveaux paradigmes gagneront à se nourrir de toutes les diversités.

Comment expliquer cette absence des femmes ?

Ce phénomène s’explique par des stéréotypes profondément ancrés. Einstein disait qu’il est plus difficile de détruire un préjugé qu’un atome, et c’est bien de cela dont il est question. Les individus sont confrontés à des biais inconscients pernicieux, avec par exemple la figure du geek très présente dans l’inconscient collectif : un technicien scotché devant son écran, coupé de toute relation humaine dans son activité quotidienne. Cette image fantaisiste témoigne d’une méconnaissance du grand public, et donc des femmes elles-mêmes, de la réalité des métiers du numérique.

Quelles méthodes adopter pour se rapprocher d’un équilibre hommes/femmes dans ce secteur d’activité ?

Cela nécessite la mobilisation de tous. Avec Keyrus, nous soutenons la fondation Femmes@numérique (https://femmes-numerique.fr/) qui a été lancée en juin 2018, en présence de quatre ministres et de Brigitte Macron. Cet organisme s’attache à présenter une vision réaliste du secteur, à soutenir et financer des actions d’intérêt général en faveur de la féminisation des métiers du numérique, et à sensibiliser les femmes pour combattre leur autocensure. Elle est portée par diverses organisations professionnelles comme le Cigref, Syntec numérique, la Conférence des Grandes écoles, Talents du numérique, Social Builder et l’Association française des managers de la diversité (AFMD), dont je suis cofondatrice.

Quelle est la vocation de ce collectif ?

Ce projet, qui rassemble 42 entreprises et 40 associations, toutes engagées sur cinq ans, s’adresse à trois cibles majeures : le grand public, l’éducation et l’entreprise. Pour le grand public, l’idée est d’organiser des campagnes de communication dans différents médias en s’appuyant sur des role models. Une base de données des « 10.000 femmes du numérique » est en train d’être constituée et toutes les femmes évoluant dans l’univers digital sont appelées à se manifester. Dans l’éducation, il existe des initiatives, mais elles doivent être démultipliées. À la manière des langues étrangères ou des mathématiques, le numérique doit devenir une matière à part entière dans tous les cursus de formation, dès l’école primaire. Le troisième volet d’intervention est celui de l’entreprise, où les bonnes pratiques doivent être partagées. La formation professionnelle doit également être adaptée pour que les femmes qui le souhaitent puissent réorienter leur carrière vers les métiers du numérique.

Chez Keyrus, quelles sont les « bonnes pratiques » que vous pourriez faire partager ?

Nous renforçons la formation des managers à la diversité et aux particularités d’une équipe mixte via des programmes de gestion de carrière dédiés aux femmes. Nous développons des modules de formation dédiés au sein de notre plateforme Keyrus Learning Experience. Nous profitons également chaque année de la Journée internationale des droits des femmes pour organiser des débats entre nos collaborateurs, avec la participation de la direction, afin d’échanger tous ensemble sur la place des femmes dans la société et au sein de notre groupe. Et nous soutenons diverses associations, dont Social Builder, pour laquelle nous organisons, plusieurs fois par an, des sessions de formation permettant à des femmes de se réorienter professionnellement et de se former aux métiers du numérique. Nous sommes fiers aujourd’hui de pouvoir compter 43% de femmes parmi nos effectifs, soit bien plus que la moyenne du secteur. Ce travail de fond passe également par la sensibilisation de nos clients à ces problématiques.

Quel est l’enjeu de cette mobilisation pour les femmes dans le numérique ?

Le principal enjeu est l'augmentation des emplois dans le numérique qui va se poursuivre. En 2022, 170.000 à 212.000 postes seront à pourvoir en France, et avec la fondation Femmes@numérique, nous espérons qu’une part significative sera pourvue par des femmes !

Activité majoritairement masculine, le numérique est-il un des secteurs les plus exposés au sexisme ?

Le sexisme dans le numérique est bien réel, il est la conséquence directe du manque de mixité dans les formations aux métiers du numérique que l'on retrouve ensuite dans l'entreprise. Non seulement il est difficile d’attirer des femmes vers le numérique, mais il est encore plus compliqué de les fidéliser. Pour lutter contre cela, nous devons agir sur plusieurs leviers en même temps. Il faut favoriser et garantir la mixité dans nos entreprises, déconstruire les biais sexistes et mettre en place un environnement inclusif. Un challenge à relever dont chaque acteur de la chaîne partage la responsabilité.

 

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