Quand les Bretons découvrent Gandhi en 1922

Le 26 février 1922, L’Ouest-Républicain dresse un bilan inquiétant du contexte géopolitique international. Selon l’hebdomadaire breton, « la dernière guerre se répercute en des convulsions qui ne paraissent, hélas ! pas près de se calmer »1. Le Royaume-Uni, à la tête d’un empire colonial sur lequel « le soleil ne se couche jamais », est l’une des principales victimes cette sortie de guerre complexe. Lors de l’hiver 1922, Londres doit ainsi gérer les tensions qui éclatent « en Irlande, où les sinn-feiners intransigeants de M. de Valera ne veulent à aucun prix accepter le traité de Londres ; en Egypte, où les nationalistes continuent leurs menées ; dans l’Inde, où l’agitateur Gandhi n’est plus persona grata auprès de ses coreligionnaires »2. Suivant attentivement l’évolution de ces soulèvements qui pourraient s’étendre aux colonies françaises, la majorité des Bretons découvre alors l’existence de l’une des personnalités les plus célèbres du XXe siècle : le Mahatma Gandhi.

Gandhi prononçant un discours à Poona Woomen's Club (1924). Gallica / Bibliothèque nationale de France: Fonds Agence Rol.

Si le nom du « chef du mouvement révolutionnaire » est régulièrement évoqué depuis le mois de février 1922, sa biographie n’est développée dans la presse régionale qu’un mois plus tard, au moment de son arrestation. Dans son édition du 14 mars, La Dépêche de Brest lui consacre ainsi un long portrait en première page3. Cette biographie, parce qu’elle est très largement relayée dans la presse bretonne, conduit à façonner une image homogène de Gandhi4... Particulièrement bienveillant, le portrait évoque tout d’abord sa formation universitaire en Angleterre avant de s’attarder sur le traumatisme vécu lors de la guerre des Boers. C’est en effet à cette occasion qu’il aurait pris conscience « que l’empire britannique se composait de deux moitiés : l’une libre, l’autre esclave », et qu’il aurait décidé de lutter pour l’émancipation des siens en Inde.

Si, pour des raisons éditoriales, une partie de la presse bretonne se contente d’un portrait bien moins développé, l’ensemble des journalistes s’accorde à dire que Gandhi possède une aura quasi-mystique. La Dépêche de Brest insiste ainsi sur le fait que ses « fervents le considèrent comme un mahatma (demi-dieu) »5. De son côté, L’Ouest-Républicain le qualifie de « Saint hindou » qui « fanatisait les foules par le seul ascendant d’une vie d’ascète à laquelle il s’était astreint »6. Cet aspect de la personnalité de Gandhi parle d’autant plus aux Bretons qu’ils vivent dans une région où la religion tient encore une place importante. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le très catholique hebdomadaire Le Ploërmelais estime qu’en dépit de l’arrestation médiatique de l’instigateur de la désobéissance civile, le gouvernement ne doit pas s’attendre à un apaisement des tensions en Inde. Et pour cause, dans un territoire fortement influencé par la mémoire de la contre-révolution, il est presque naturel d’affirmer qu’il « n’y a rien à faire devant le fanatisme d’un peuple »7.

Gandhi et Miss Slade, sa secrétaire anglaise (1932). Gallica / Bibliothèque nationale de France: Fonds Agence Rol.

A bien des égards, le portrait de Gandhi est indissociable de la représentation que les Européens se font alors du conflit en Inde. La nature de celui-ci s’expliquerait par des motivations exclusivement religieuses.  Dès lors, au milieu d’une information qui manque singulièrement de recul, seul L’Ouest-Eclair offre – pour une fois – une réflexion personnalisée. Le quotidien émet en effet « l’hypothèse » que les

« causes initiales des troubles de l’Inde se rattacheraient beaucoup plus au mouvement social qu’au mouvement religieux. Ce serait un problème d’ordre économique que l’Angleterre aurait à résoudre. Le coupable serait la misère. »9

Qu’importe, la figure de Gandhi est désormais connue du monde entier. Il n’est plus seulement un nom parmi les autres mais bien un acteur de l’actualité. En cette fin de mois de mars 1922, L’Ouest-Eclair n’oublie d’ailleurs pas de préciser que sa prison est en train de devenir « un lieu de pèlerinage », laissant supposer que Gandhi n’a pas fini de faire parler de lui9.

Yves-Marie EVANNO

 

 

1 « La situation générale », L’Ouest-Républicain, 26 février 1922, p. 1.

2 Ibid.

3 « La sédition aux Indes anglaises », La Dépêche de Brest, 14 mars 1922, p. 1.

4 Elle est ainsi reproduite, deux jours plus tard, dans Le Nouvelliste du Morbihan. « L’Angleterre et les Indes », Le Nouvelliste du Morbihan, 16 mars 1922, p. 1.

5 « La sédition aux Indes anglaises », La Dépêche de Brest, 14 mars 1922, p. 1.

6 « La situation générale », L’Ouest-Républicain, 19 mars 1922, p. 1.

7 « Petite chronique », Le Ploërmelais, 19 mars 1922, p. 1. Pour une description du canton au début du XXe siècle, voir SIEGRFRIED, André, Tableau politique de la France de l'Ouest, Paris, A. Colin, 1913, rééd. Paris, Imp. Nat., 1995, p. 177-178, 181.

8 « Les embarras de l’Angleterre », L’Ouest-Eclair, 20 mars 1922, p. 1.

9 « Gandhi dans sa prison », L’Ouest-Eclair, 20 mars 1922, p. 1.