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Dix conseils pour survivre pendant un mouvement de foule

Le festival “Love Parade” de 2010 en Allemagne. Arne Müseler , CC BY-SA

Le 24 juillet 2010, plus d’un million de fêtards s’engouffrent en dansant dans un obscur tunnel de 200 mètres de long. Cette foule de joyeux lurons, lunettes de soleil et perruques fluo sur la tête, se dirige tout droit vers une ancienne gare ferroviaire de la zone industrielle de Duisbourg, dans l’est de l’Allemagne. Ils se rendent à la Love Parade, un des festivals de musique électronique les plus populaires du monde.

En milieu d’après-midi, une importante congestion se forme à la sortie du tunnel. Le souterrain est trop étroit pour accueillir le passage d’une foule aussi massive. Les minutes passent et la densité d’individus augmente dangereusement. Les festivaliers, compressés les uns contre les autres, peinent à bouger les bras puis les mains. Au cœur de la foule, certains n’ont même plus assez d’espace pour respirer. Vers 17 heure, au rythme des beats techno joués par les meilleurs DJ du monde, les premières victimes commencent à suffoquer. Le bilan sera lourd : 21 victimes et 651 blessés. Un survivant témoigne au journal Bild : « Il était impossible de sortir du tunnel. C’était comme s’il y avait un mur de gens devant moi ».

Aperçu du la Love Parade avant l’accident (vidéo amateur).

À peine un mois avant ce drame, je soutenais ma thèse de doctorat dans un amphithéâtre de l’université Paul Sabatier de Toulouse. Mon sujet d’étude portait sur le déplacement des foules. Pendant trois ans, j’avais examiné le mouvement des masses dans tous les endroits imaginables : dans les rues commerçantes, sur les marchés de Noël, et même dans le cadre d’expériences en laboratoire… C’est donc sans surprise qu’à l’annonce de l’accident de la Love Parade dans les médias, tous mes proches se tournèrent vers moi pour me poser une question : que faut-il faire dans cette situation ? Quels sont les bons réflexes à adopter pour survivre lorsqu’on se retrouve piégé dans la foule, comme l’étaient les victimes de la Love Parade ? Voyons cela plus en détails…

Pourquoi la foule tue

Depuis les années 1990, l’intensité des mouvements de foule n’a cessé de croître. En moyenne, environ 380 personnes meurent chaque année ce type d’accidents, dont le plus meurtrier a causé la mort de 2,300 personnes à La Mecque en septembre 2015.

Il existe trois attracteurs qui occasionnent les plus grands rassemblements : la religion, le football et la fête. Un bon résumé de ce qui passionne les êtres humains… À La Mecque, par exemple, le pèlerinage musulman attire tous les ans plus de 3 millions de fidèles. Dans les stades de football, la capacité d’accueil est certes très inférieure – de l’ordre de quelques dizaines de milliers d’individus – mais les célébrations populaires qui suivent une importante victoire peuvent attirer des centaines de milliers de fans dans les rues d’une ville. Rappelez-vous, par exemple, des Champs-Élysées noirs de monde le 15 juillet 2018 après le sacre des bleus en finale de la coupe du monde. Enfin, les festivals de musique et les concerts ne sont pas en reste. Record de la plus grande foule jamais observée : le spectacle son et lumière de Jean‑Michel Jarre à Moscou en septembre 1997 qui a réuni 3,5 millions de personnes.

Timelapse montrant la foule de pèlerins arrivant à La Mecque.

Dans ces conditions extrêmes, le moindre défaut d’organisation peut rapidement virer au cauchemar. Mais que se passe-t-il exactement pendant un mouvement de foule ? Étonnamment, la dynamique de ce phénomène n’a été comprise qu’assez récemment, en 2006, à la suite d’une nouvelle tragédie.

Tremblement de foule

Cette année-là, une bousculade de grande ampleur a causé la mort de 362 pèlerins musulmans à La Mecque. Cette fois, l’accident a pu être filmé par une caméra de surveillance dont les images furent expédiées à 5 000 kilomètres de là, au laboratoire du physicien allemand Dirk Helbing. Grâce à cette précieuse vidéo, ce chercheur spécialisé dans le comportement des foules parvint à identifier la clé du mystère : le « tremblement de foule » (ou en anglais, crowd-quake). Il s’agit d’un phénomène collectif qui se met en place spontanément lorsque la densité d’individus atteint un seuil critique situé autour de 6 personnes par mètre carré. À ce niveau d’encombrement, les contacts physiques entre les corps sont si intenses que le moindre mouvement déclenche une vague de bousculade qui se propage à travers la foule. Ce sont ces ondes de chocs, semblables aux secousses sismiques qui surviennent pendant un tremblement de terre, qui font chuter les individus et leur font subir des pressions physiques écrasantes.

Sur cette vidéo d’un concert d’Oasis en 2005, le tremblement de foule et les vagues de bousculade sont clairement visibles.

Depuis cette importante découverte, les tremblements de foule ont été systématiquement identifiés lors des bousculades meurtrières comme celle de la Love Parade. Et même si elles sont de mieux en mieux comprises, aucune solution n’existe à ce jour pour enrayer ce phénomène une fois qu’il est en place.

Guide de survie

Pour en savoir plus sur le comportement des foules, l’auteur vient de publier Fouloscopie, éditions Humensciences. Humensciences, Author provided

Que faire alors lorsque vous êtes prisonnier de la foule, que l’étau se resserre et que les tremblements commencent à se faire ressentir ? Voici quelques conseils de survie élaborés grâce aux recherches que nous conduisons dans les laboratoires de « fouloscopie ».

1. Ouvrez les yeux

Votre premier objectif sera de vous extraire de la masse le plus rapidement possible. Regardez autour de vous : est-il préférable de faire demi-tour ou de continuer à avancer ? Pour le savoir, essayez d’estimer où se trouve l’épicentre de la bousculade, le lieu où l’encombrement est à son maximum, et dirigez vous dans la direction où la densité se réduit progressivement. Pensez aussi à lever les yeux. Vous trouverez peut-être un échappatoire rapide en escaladant une barrière ou en montant sur le comptoir d’un bar.

2. Partez tant qu’il est encore temps

Lorsque la densité augmente autour de vous, l’espace disponible diminue et votre liberté de mouvement se réduit progressivement. Plus vous attendez, plus la fuite sera difficile. Le temps joue en votre défaveur. Par conséquent, n’hésitez pas à quitter la zone de forte congestion dès que vous commencerez à vous sentir mal à l’aise, et tant que vous avez encore assez d’espace pour vous mouvoir.

En vous dégageant du cœur de la foule, vous réduirez par ailleurs le risque d’accident pour les autres, car votre absence aura comme effet d’alléger l’encombrement pour ceux qui restent sur place.

3. Restez debout

S’il est trop tard pour fuir, vous allez devoir vous adapter. La recommandation la plus importante sera alors de garder l’équilibre. Restez sur vos jambes, coûte que coûte, au risque de vous retrouver dans une situation critique. Lors d’un mouvement de foule, la proximité des individus est telle que votre chute entraînerait immédiatement celle de vos voisins par effets domino. Avant d’avoir pu vous relever, le poids des corps vous immobilisera au sol. Alors, restez debout ! Portez par exemple une attention particulière aux sacs à dos et autres objets abandonnés qui pourraient vous déséquilibrer.

4. Économisez votre oxygène

L’oxygène sera votre ressource la plus précieuse, celle qui viendra à manquer si la situation s’aggrave. En effet, la grande majorité des décès sont causés par une asphyxie. Évitez par exemple de crier si ce n’est pas indispensable, et contrôlez votre respiration dans la mesure du possible.

5. Repliez les bras

J’ai découvert cette technique en lisant les rapports de Paul Wertheimer, un homme d’affaire à la tête de Crowdsafe, une entreprise de conseil en gestion de foules. Et c’est effectivement une bonne idée. Lorsque la pression devient trop intense, repliez les bras devant vous, comme un boxeur. Dans cette position, vous pourrez protéger votre cage thoracique et préserver quelques centimètres d’espace autour de vos côtes et de vos poumons.

6. Laissez vous porter par la vague

Le réflexe naturel lorsque l’on se fait bousculer est de résister à la pression en poussant dans la direction opposée. Dans le cas d’un mouvement de foule, c’est une mauvaise idée. Vous ne pourrez en effet pas contrecarrer une onde de choc par la seule force de vos bras. La pression exercée par la foule vous emportera quoique vous fassiez. Résister serait donc une vaine utilisation de votre précieuse énergie. De plus, cela risquerait d’amplifier les tensions physiques, rendant les prochaines vagues encore plus intenses. Au contraire, laissez-vous plutôt porter par le flot en tachant simplement de garder l’équilibre.

7. Eloignez-vous des parois

Le seul endroit où le conseil précédent ne peut s’appliquer est au voisinage d’un mur, d’un grillage ou de n’importe quel autre objet solide. Les études de cas montrent en effet que la proximité d’un obstacle est une importante source de danger. Les premières victimes d’une bousculade sont souvent écrasées contre une paroi comme ce fut le cas lors du mouvement de panique de Turin en 2017 ou lors des tragédies du Heysel et de Hillsborough dans les années 1980. Nos simulations numériques montrent que les pressions les plus intenses sont exercées au voisinage d’un obstacle solide. Dans la mesure du possible, éloignez-vous donc des murs, des poteaux et des grillages.

Zones de fortes pressions (en rouge) lors d’un mouvement de foule. Auteur, Author provided

8. Sachez interpréter les signaux de densité

Pour prendre les bonnes décisions, il est important que vous puissiez évaluer la gravité de la situation. Mais comment faire sans instrument de mesure, lorsque vous êtes vous-même immergé dans la masse ? Voici quelques règles simples pour estimer la densité autour de vous :

  • Si vous n’avez aucun contact physique avec vos voisins, vous êtes probablement encore en dessous de 3 pers/m2, il n’y a pas de risque.

  • Si vous touchez involontairement un ou deux de vos voisins en même temps, la densité doit se situer entre 4 et 5 pers/m2. Il n’y a pas de danger immédiat, mais il serait préférable de commencer à vous éloigner tranquillement du cœur de la congestion.

  • Si les mouvements de vos bras sont entravés au point que vous ayez du mal à approcher votre main de votre visage. Il y a trop de monde. Partez !

9. En cas de panique

La panique est un cas particulier dans lequel la foule se rue dans une même direction pour fuir d’un danger réel ou suspecté. Depuis quelques années, la menace terroriste a causé une forte augmentation de ce type de mouvement collectif, comme sur la place de la République à Paris en novembre 2015, sur la place San Carlo de Turin en juin 2017, ou sur le cours Saleya à Nice en juillet 2018.

Mouvement de panique sur la place de la République, le 15 novembre 2015.

Gardez bien en tête dans ces situations que le mouvement de foule peut s’avérer plus dangereux que la menace que vous fuyez. Par conséquent, accordez-vous un court instant pour évaluer la nature du danger et éloignez-vous calmement en restant le plus loin possible de la cohue.

10. L’entraide

Si la situation est grave pour vous, elle l’est tout autant pour les personnes qui vous entourent. Les études du psychologue John Drury de l’université du Sussex en Angleterre ont montré à de nombreuses reprises que l’altruisme et l’entraide sont d’importants ingrédients pour éviter un drame. Une foule solidaire a plus de chance de survie qu’une foule d’individualistes. Alors, restez humain et bienveillant envers les autres en proposant votre aide quand vous le pouvez, en évitant de causer la chute de vos voisins et en veillant sur les plus faibles. Tout le monde en profitera, y compris vous-même.

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