Depuis la fin du mois de décembre, plusieurs dizaines de personnes présumées homosexuelles auraient été arrêtées en Tchétchénie. Deux y auraient perdu la vie après avoir été torturées pendant plusieurs jours. L’association russe LGBT Network dénonce l’inaction du Kremlin.
« Ils ne nous ont pas nourris. Parfois ils nous ont donné un peu d’eau mais c’était de l’eau croupie. On avait juste un peu d’eau claire pour prier. » Ce témoignage rapporté par l’ONG Russian LGBT Network est celui d’un homosexuel tchétchène arrêté et emprisonné par les autorités de son pays. Organisée par le président Ramzan Kadyrov, la vague de répression de la communauté LGBT démarrée en avril 2017 ne faiblit toujours pas. Elle est même encore plus violente. Dans un communiqué publié lundi 21 janvier, l’organisation de défense des droits LGBT+ en Russie révèle que de nouvelles arrestations arbitraires ont démarré au début du mois de décembre 2018. Le réseau a toutefois réussi à exfiltrer quelques survivants. Cette fois-ci, les femmes ne semblent pas épargnées, elles seraient même parfois violées à coups de bâtons à électrochocs. Un porte-parole du Russian LGBT Network, qui souhaite garder l’anonymat pour des raisons de sécurité, nous détaille les contours de cette répression.
Une nouvelle vague de persécutions sévit depuis le début du mois de décembre 2018 : à combien estimez-vous le nombre de personnes arrêtées ?
Russian LGBT Network – Il est impossible de dire pour le moment combien de personnes ont été victimes de cette vague d’arrestations arbitraires. Afin de comprendre combien de personnes souffrent de ces persécutions, de ces détentions, tortures, et parfois décès, il faudrait une enquête indépendante et transparente sur les exactions du gouvernement tchétchène. Malheureusement, les autorités russes ne remplissent pas du tout leur devoir à ce niveau là. Toutefois, depuis le début du mois d’avril 2017, nous avons évacué environ 150 personnes de la région. Et dans quelques semaines nous serons en mesure de déterminer combien de personnes nous avons pu sauver cette fois-ci.
Que vous ont raconté les personnes que vous avez réussi à exfiltrer ?
Les victimes confirment toutes les informations que nous possédions jusqu’ici : qu’il y a un nouvelle persécution orchestrée des homosexuels avec des détentions massives. Elles témoignent également de tortures encore plus cruelles et violentes qu’auparavant.
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Des femmes ont aussi été arrêtées. Est-ce plus difficile encore que les hommes de les exfiltrer du fait de l’existence d’un patriarcat radicalisé en Tchétchénie ?
C’est en effet l’une des caractéristiques de cette nouvelle vague. Les femmes avaient déjà été visées auparavant, mais nous savons que désormais elles sont détenues avec des hommes et également torturées. Et en effet, en Tchétchénie il est très difficile pour les femmes de quitter la région. Un homme peut par exemple se rendre à Moscou pour le travail contrairement à une femme qui ne peut pas sortir seule du territoire.
Une différence par rapport à avant c’est que certains sont détenus dans des commissariats à Grozny ?
Nous savons que des personnes sont détenues dans des centres de police situés à Grozny. Mais nous ne savons pas exactement combien il en existe au total.
Combien de morts recensez-vous depuis le début des révélations en avril 2017 ?
Nous ne sommes pas en mesure de répondre à cette question. Deux décès récents nous ont été rapportés mais le Russian LGBT Network est une petite ONG et nous manquons de moyens. Afin de déterminer le nombre de morts depuis le début, il faudrait lancer une investigation.
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Qu’attendez-vous de la Russie et la communauté internationale ?
Les autorités russes sont dans le déni concernant la persécution de la communauté LGBT tchétchène et tout simplement vis-à-vis de l’existence même des LGBT dans la région. Le Kremlin n’a même pas commenté la publication du rapport de l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, ndlr) publié à la fin du mois de décembre 2018 qui révélait l’existence manifeste d’une persécution des homosexuels en Tchétchénie. C’est pourquoi nous avons besoin du soutien de la communauté internationale au plus vite : à la fois pour mettre un terme à ces arrestations arbitraires et pour que les responsables soient traduits en justice.
Propos recueillis par Fanny Marlier