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Pakistan : Les droits des ouvriers du textile sont menacés

Il faut appliquer le code du travail et améliorer les mauvaises conditions dans les usines

(New York, le 23 janvier 2019) – Le gouvernement pakistanais n’applique pas les lois qui pourraient protéger des millions d’ouvriers du textile de graves atteintes aux droits des travailleurs, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd’hui.

Le rapport de 73 pages, intitulé « ‘No Room to Bargain’: Unfair and Abusive Labor Practices in Pakistan » (« Aucune négociation possible : Pratiques de travail inéquitables et abusives au Pakistan »), analyse en détail diverses violations des droits dans les fabriques pakistanaises de vêtements. Parmi ces abus figurent des salaires et pensions d’un montant inférieur au minimum légal, la suppression de syndicats indépendants, l’imposition d’heures supplémentaires, des pauses d’une durée insuffisante, et le fréquent non-respect de la réglementation sur les congés maternité et maladie. Human Rights Watch a également identifié des défaillances du système étatique d’inspection du travail. Les autorités pakistanaises devraient restructurer les services d’inspection du travail et sanctionner systématiquement les entreprises responsables d’abus. Quant aux entreprises nationales et internationales du secteur de l’habillement, elles devraient prendre des mesures plus efficaces pour prévenir et corriger les atteintes aux droits des travailleurs commises dans les usines qui fabriquent les vêtements qu’elles vendent.

 « Le gouvernement pakistanais néglige depuis longtemps son obligation de protéger les droits des travailleurs textiles du pays », a déclaré Brad Adams, directeur de la division Asie à Human Rights Watch. « Le gouvernement du Premier ministre Imran Khan devrait sur le champ faire appliquer le code du travail et adopter de nouvelles politiques protégeant les travailleurs des abus. »

Human Rights Watch a interrogé pour ce rapport plus de 140 personnes, dont 118 ouvriers de 24 usines d’habillement du Pakistan ainsi que des dirigeants syndicaux, des représentants du gouvernement et des défenseurs des droits des travailleurs. Human Rights Watch a effectué la plus grande partie des recherches de terrain nécessaires à ce rapport entre juin 2017 et décembre 2018 au Pakistan.

Ces dernières années, les travailleurs pakistanais de l’habillement ont exprimé d’importantes revendications à travers des grèves et des manifestations. En décembre 2018, des ouvriers textiles ont manifesté dans un institut de formation de Lahore géré par une grande enseigne pakistanaise, qui selon eux détournait un programme public d’incitation. Les travailleurs ont affirmé que l’institut de formation fonctionnait en réalité comme une usine, soutirant des « élèves » un travail gratuit. En mai 2017, des travailleurs ont protesté après que Khaadi, l’une des principales enseignes pakistanaises de l’habillement, a licencié 32 travailleurs parce qu’ils réclamaient le respect de leurs droits inscrits dans la loi nationale.

Des ouvriers du textile confectionnent des chemises dans une usine à Karachi, au Pakistan, en février 2015. © 2015 Rizwan Tabassum/AFP/Getty Images

En septembre 2012, un incendie qui s’est déclenché dans la fabrique de vêtements Ali Enterprises à Karachi avait tué au moins 255 travailleurs et fait plus de 100 blessés. Les enquêtes ont démontré une série d’irrégularités et une absence quasi totale de systèmes anti-incendie et de sécurité. Les rescapés ont rapporté que sur le moment, les responsables de l’usine n’avaient fait aucun effort pour venir à la rescousse des travailleurs, s’efforçant plutôt de sauver leur marchandise.

Certaines des grandes usines du Pakistan, qui font partie du secteur organisé de cette industrie, fournissent des vêtements aux enseignes internationales. Mais la plupart des usines d’habillement répondent à la demande du marché national. Le travail est effectué dans de petits ateliers cachés dans des bâtiments anonymes qui échappent à la surveillance des inspecteurs du travail.

En général, les conditions de travail dans ces fabriques plus petites sont pires que dans les grandes usines, qui ont plus de chances d’être inspectées, a constaté Human Rights Watch. Les propriétaires refusent souvent de payer le salaire minimum légal et embauchent des travailleurs sur la base de contrats verbaux à court terme. Cependant, Human Rights Watch a constaté que les violations des droits des travailleurs – notamment les longs temps de travail et l’emploi temporaire prolongé, sans sécurité de l’emploi ni avantages – existaient même dans les grandes usines pakistanaises, y compris celles qui fournissent des vêtements aux magasins et enseignes de stature internationale.

Les ouvriers – dont beaucoup d’ouvrières – ont également déclaré qu’ils subissaient des agressions verbales, qu’on faisait pression sur eux pour qu’ils ne fassent pas de pauses pour aller aux toilettes et qu’ils n’avaient même pas accès à l’eau potable. Ceux qui réclament le respect de leurs droits risquent d’être menacés ou renvoyés. Dans deux usines, Human Rights Watch a décrit des cas où des travailleurs ont été frappés par les responsables.

« Je sais que la paye est en dessous du salaire minimum fixé par l’État, mais qui entendra notre plainte ? », a déclaré une ouvrière qui après huit ans ne gagne que 90 USD par mois environ. « Si je proteste auprès du chef, je serai virée sur le champ. »

Certaines usines d’habillement qui produisent pour des enseignes nationales utilisent, pour des commandes spéciales ou saisonnières, des personnes travaillant à domicile. Les femmes qui travaillent chez elles se voient souvent refuser toute protection découlant du code du travail. Elles ne peuvent pas adhérer aux syndicats ouvriers ni s’organiser en syndicat autonome. Leur travail, non réglementé, reste à la merci des intermédiaires, qui refusent souvent de verser le salaire minimum.

Les défenseurs des droits des travailleurs ont décrit des pratiques de démantèlement des syndicats par beaucoup de grandes usines. Les directeurs d’usine maintiennent souvent les ouvriers dans des contrats de courte durée afin de les décourager de participer aux activités syndicales. Selon les travailleurs, les propriétaires d’entreprises manipulent également le code du travail pour créer des obstacles à l’enregistrement des syndicats. Plusieurs usines enregistrent ainsi des syndicats factices ou « jaunes », composé d’employés choisis, voire fictifs, ce qui fait qu’il est impossible pour les travailleurs d’enregistrer leurs vrais syndicats.

Le Pakistan devrait amender son code du travail pour qu’il se conforme aux normes internationales et notamment aux conventions de l’Organisation internationale du travail (OIT). Mais en attendant, le seul fait d’appliquer strictement les lois existantes ferait beaucoup pour la protection des droits des travailleurs, a déclaré Human Rights Watch. Les autorités, notamment l’inspection du travail, sont souvent débordées, parfois complices, et laissent les abus se perpétuer.

Les propriétaires d’usines doivent eux aussi s’engager à des réformes, a déclaré Human Rights Watch. Les associations d’industriels APTMA (All Pakistan Textile Mills Association) et PRGMEA (Pakistan Readymade Garments Manufacturers & Exporters Association) devraient veiller au respect des dispositions protégeant les travailleurs et sanctionner les entreprises qui y portent atteinte.

D’après les Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme des Nations Unies, les entreprises nationales et internationales du secteur de l’habillement, ainsi que les usines qui les fournissent, ont la responsabilité de prévenir et d’atténuer les atteintes aux droits humains dans les usines, et devraient prendre des mesures correctives si de tels abus sont commis. Ces Principes exigent que toutes les entreprises, indépendamment de leur taille ou de leur lieu d’implantation, « évitent davoir des incidences négatives sur les droits de lhomme ou dy contribuer par leurs propres activités, et qu’elles remédient à ces incidences lorsqu’elles se produisent ».

« Le gouvernement pakistanais doit veiller à ce que les entreprises dhabillement cessent dutiliser des stratégies, comme le démantèlement des syndicats, qui empêchent les travailleurs de sorganiser et de revendiquer collectivement leurs droits », a conclu Brad Adams. « Les enseignes nationales et internationales devraient comprendre que le respect du droit des travailleurs donne des entreprises plus compétitives. »

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