Champigny : des familles juives menacées de mort

Un courrier représentant une valise et un cercueil a été reçu, en fin de semaine dernière, par des habitants ayant pour seul point commun le judaïsme.

 Au moins cinq familles campinoises de confession juive ont reçu le même courrier, le week-end dernier.
Au moins cinq familles campinoises de confession juive ont reçu le même courrier, le week-end dernier. DR

    Quand ses parents lui ont montré le courrier trouvé dans leur boîte aux lettres, Hélène* a d'abord pensé à une mauvaise blague. Une missive à l'humour tout de même menaçant : la feuille A4 ne contenait rien d'autre que les représentations d'une valise et d'un cercueil.

    Ce n'est qu'après en avoir parlé à la synagogue que la famille s'est interrogée sur le caractère antisémite de la sommation : au moins quatre autres personnes de confession juive avaient reçu un courrier similaire, le week-end dernier. La plupart domiciliées quai Gallieni, à Champigny-sur-Marne, où résident les parents d'Hélène.

    « Ça signifie qu'il y a eu une vraie recherche [sur la religion des habitants du quartier], en déduit-elle. L'antisémitisme se manifeste désormais au plus près du domicile. C'est effroyable. Ça veut quand même dire "Faites vos valises ou mourrez". » La Campinoise a déposé une pré-plainte mardi, faisant fi des réserves de ses parents : « Pour eux ce n'était rien, ils ne voulaient pas faire la demande. Moi, ça m'a angoissée. »

    Champigny-sur-Marne, jeudi. La plupart des destinataires de la menace habitent quai Gallieni. LP/C.L.
    Champigny-sur-Marne, jeudi. La plupart des destinataires de la menace habitent quai Gallieni. LP/C.L. DR

    « L'antisémitisme est partout »

    Dimanche, une plainte a été déposée par une autre destinataire du courrier pour « menace de crime ou délit sur personne de confession juive ». Elle aussi a fait le lien entre sa religion et le papier après discussion à la synagogue. La jeune femme dit « ne pas dormir sur [ses] deux oreilles » depuis la réception : « Je ne m'attendais pas à recevoir ce type de menace. Mais ça ne m'étonne pas trop. L'antisémitisme est partout. »

    « C'est un phénomène rampant, qui se déclare au plus près des victimes », déplore Sammy Ghozlan. Pour le président du Bureau national de vigilance contre l'antisémitisme, qui a alerté la procureur de la République de Créteil, le caractère des menaces est clair : « Ça ne vise que des familles juives ». Afin d'endiguer la « persécution », il incite les personnes touchées à porter plainte, sans se laisser affecter par « syndrome de la victime » : « Il y en a tellement qui préfèrent garder le silence, occulter les choses, pour ne pas créer la panique… »

    Certains à Champigny appellent en effet à la « prudence » sur les visées des menaces, même si les destinataires ont pour seul point commun le judaïsme. « C'est vrai que c'est menaçant, mais je ne vois pas le caractère antisémite, tempère un responsable communautaire de Champigny. Y'a pas marqué "sale juif", ni d'étoile de David ou de croix gammée. Est-ce que ce n'est pas un règlement de compte ou l'acte d'un taré du quartier ? »

    * Le prénom a été modifié

    « LA VALISE OU LE CERCUEIL » : UNE RÉFÉRENCE À LA GUERRE D'ALGÉRIE

    Sur le caractère de la menace reçue par les familles à Champigny, Nicolas Lebourg, historien à l'Université de Montpellier, conseille d'être « très prudent ». Pour ce spécialiste de l'extrême droite, la formule « la valise ou le cercueil » relève plus de « l'imaginaire pied-noir » que de l'antisémitisme : « Elle renvoie à la pression exercée pour chasser les Français d'Algérie censés devoir choisir entre l'un ou l'autre. » Le mot d'ordre, d'abord utilisé dans des tracts des indépendantistes algériens, a ensuite été repris à son compte par l'Organisation de l'armée secrète (OAS), qui ambitionnait de conserver l'Algérie française et de faire tomber le général de Gaulle.

    Elle aussi historienne (Université Paris 8), Marie-Anne Matard-Bonucci confirme que les symboles utilisés ne sont pas « particulièrement répertoriés » au sein l'imagerie antisémite. Pour la professeure, il s'agirait tout de même en l'espèce d'un « acte antisémite » : « C'est difficile de le nier si le seul dénominateur commun des destinataires est l'appartenance au judaïsme. »