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Récit

Au Venezuela, les militaires monnayent leur soutien à Maduro

L’armée, qui a dénoncé jeudi «un coup d’Etat» du député Guaidó, reste fidèle au président élu, qui lui assure un contrôle d’une partie des richesses du pays. Mais un blocus pourrait changer la donne.
par Benjamin Delille, correspondant à Caracas
publié le 25 janvier 2019 à 21h06

Jeudi, au lendemain de la tentative de prise de pouvoir du député et président de l’Assemblée, Juan Guaidó, des doutes pesaient sur le soutien indéfectible de l’armée au président Nicolás Maduro. Même si le ministre de la Défense, le général Vladimir Padrino, avait réitéré mercredi son soutien au chef de l’Etat, et condamné - par un simple tweet - l’autoproclamation de Guaidó. Aucune image, aucun son.

Jeudi, le militaire a coupé court aux rumeurs. Il est apparu à la télévision publique, arborant son plus bel uniforme, entouré de tout le haut commandement de l'armée vénézuélienne, pour dénoncer «un coup d'Etat». «Nous serions indignes de porter l'uniforme si nous ne défendions pas la Constitution, notre indépendance et notre souveraineté. Nous avons promis de mourir pour la patrie et nous allons le faire», a-t-il déclaré. Pour Padrino, le «président légitime», c'est toujours Maduro, n'en déplaise à Juan Guaidó, dont le général dénonce la tentative «d'instaurer un gouvernement de facto au Venezuela».

Loyauté

Dans la crise que traverse le pays, l'armée est considérée à même de faire basculer le pouvoir d'un côté ou de l'autre. Avec ses 315 000 soldats, elle a non seulement le pouvoir de la force, mais aussi celui de l'argent. Ce sont des militaires qui dirigent les principales entreprises publiques du pays. Ce sont eux qui contrôlent les principales sources de revenus, notamment celles du pétrole, des minerais ou encore de l'importation de nourriture. «Ils ont aussi la mainmise sur l'économie informelle parce qu'ils contrôlent les frontières», explique Rocío San Miguel, spécialiste des questions de défense au Venezuela. Le business du narcotrafic et de la contrebande, ce sont encore les militaires qui en profitent. «Je ne vous dis pas que Vladimir Padrino est un narcotrafiquant, mais il a une responsabilité par omission de ce qui se fait dans ces zones frontalières.» Pour cette spécialiste, dire que le soutien de l'armée est indéfectible, comme on peut l'entendre ici ou là, est un peu rapide. «Réagir à l'autoproclamation de Guaidó par un simple tweet, attendre le lendemain pour s'exprimer face caméra, cela montre que les forces armées sont tiraillées, qu'elles restent dans une position attentiste», estime Rocío San Miguel. Pour elle, mercredi, l'armée n'a certes pas soutenu Juan Guaidó, mais elle n'a pas non plus soutenu Nicolás Maduro avec la loyauté de ces dernières années.

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La première raison, c'est la pression de la base. Selon Sebastiana Barráez, journaliste vénézuélienne spécialiste des questions militaires, beaucoup de soldats ont refusé de réprimer les manifestations d'opposition mercredi. «Cela signifie que le ministère de la Défense n'arrive plus à faire pression sur eux, explique-t-elle. Il y a une fracture interne dans l'institution, qui grandit, entre le haut commandement d'un côté et les troupes de l'autre.» Il y a certes eu une répression, notamment dans les quartiers populaires, mais pour Rocío San Miguel, les troupes déployées étaient des troupes d'élite qui dépendent directement des hauts gradés. Cette armée, dont les soldats sont tout aussi touchés par la crise économique que les citoyens, serait donc traversée d'un doute sur la position à adopter. «Les militaires ne sont pas des idéalistes, ce sont des pragmatiques», juge la spécialiste.

Blocus

Dans cette crise, la plus forte que vit le chavisme depuis son arrivée au pouvoir en 1999, les militaires prennent le temps de calculer ce qui est le plus rentable pour eux. «Avant, les militaires occupaient la moitié des postes gouvernementaux, aujourd'hui seulement un quart, explique Rocío San Miguel. Pourquoi ? Parce que l'administration n'a plus d'argent et que les militaires vont là où l'argent se trouve.» Jusqu'ici, le contrôle des principales richesses du pays, permis par Nicolas Maduro, leur était hyperprofitable, mais si les sanctions internationales se transforment en véritable blocus économique, ce ne sera plus forcément le cas.

Pour l'instant, les sanctions se concentrent sur certaines personnalités du régime, dont des militaires, mais les Etats-Unis ont été très clairs : il peut y avoir un blocus. «Tout dépend en fait des corps intermédiaires de l'armée, ce sont eux qui contrôlent les troupes et donc les ressources», conclut Rocío San Miguel. Les deux camps, celui de Juan Guaidó et celui de Nicolás Maduro, vont donc peser de tout leur poids avec leurs moyens de pression. L'opposition utilisant la loi d'amnistie décrétée par l'Assemblée nationale pour les militaires qui la rejoindraient, mais aussi le soutien populaire et international. De l'autre, les autorités disposent de deux outils. D'abord l'appareil d'Etat et les services de renseignement menaçant les traîtres d'arrestation, «avec un contrôle effectif qui vient de Cuba», estime Rocío San Miguel. Ensuite, et c'est peut-être le plus important, la promesse de leur céder toutes les ressources économiques du pays tant qu'ils les maintiennent au pouvoir.

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