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Au Pays basque, militants écolos et Gilets jaunes partagent les luttes

Alors que ce samedi 26 janvier se déroule l’« acte 11 » des Gilets et que des marches pour le climat sont organisées ce dimanche, les militants altermondialistes de Bizi ! et les Gilets jaunes locaux se croisent et s’entraident.

  • Bayonne (Pyrénées-Atlantiques), correspondance

« Changeons le système, pas le climat », le slogan de Bizi ! [1] pourrait-il être repris par les Gilets jaunes ? Pour Shawn Lubrano, militant à Bizi ! depuis plus de trois ans et qui a endossé le Gilet jaune dès décembre, la première partie de la phrase — « changeons le système » — permet de faire jonction entre les deux mouvements. « Comme cela a été dit, on ne fait pas d’écologie le ventre vide. Moi, je me suis engagé dans les deux mouvements pour les mêmes raisons. Bizi ! met plus l’accent sur la justice climatique, tandis que les Gilets jaunes vont plus revendiquer la justice sociale, mais tout est lié. » Comme lui, ils sont plusieurs à se départir du tee-shirt vert pour endosser le gilet jaune à l’occasion d’actions. Florence Warembourg est de ceux-là. Pour elle, il n’est pas question de « convergence » : « Quand on est Gilet jaune, on est citoyen, quels que soient nos engagements par ailleurs. » Au sein de cette nouvelle contestation, tout le monde est le bienvenu, à condition de renoncer à porter les symboles de ses appartenances politiques extérieures. Shawn a tout de même préféré dévoiler son militantisme en arrivant sur les opérations de péages gratuits : « On m’en a remercié et je n’ai senti aucune animosité à mon égard », précise-t-il.

Depuis plusieurs semaines, les revendications des Gilets jaunes émergent des cahiers de doléances et des réunions. Parmi celles qui reviennent le plus souvent, le besoin de démocratie, avec notamment le référendum d’initiative citoyenne (RIC) et les questions sociales, visant une meilleure répartition des richesses (hausse des salaires, des pensions, rétablissement de l’ISF, etc.). Les questions écologiques n’apparaissent que rarement. Florence Warembourg prône le respect des sujets : « Je serai la dernière à parler de justice écologique quand on est dans un mouvement de survie. C’est un phénomène complètement nouveau. S’il y a un mouvement qui peut renverser les hommes et les femmes politiques, c’est celui-là. Après, tout sera possible. »

Florence Warembourg : « S’il y a un mouvement qui peut renverser les hommes et les femmes politiques, c’est celui-là. Après, tout sera possible. »

Maxime (prénom modifié), jeune employé payé au Smic et Gilet jaune, s’est investi pour des questions de niveau de vie, mais affirme : « On parle souvent écologie entre nous même si ce n’est pas le premier sujet. Il faut voir la bouffe qu’on nous vend, c’est dégueulasse ! » Et il enchérit : « Ce n’est pas possible qu’on vienne nous embêter avec notre petite voiture alors qu’il y a des usines qui polluent plus. J’habite pas loin de l’usine Maïsica, à Boucau, il y a des jours où on se demande ce que l’on respire. »

« Passez du côté fluo de la force » 

Du côté de nombreux mouvements écologistes de gauche, la question est tranchée : la problématique environnementale est imbriquée à la question sociale. L’une ne pourra se résoudre sans l’autre, et vice-versa.

Au Pays basque, Bizi ! s’inscrit dans cette ligne politique. Pour Txetx Etcheverry, fondateur du mouvement, opposer les questions écologiques et sociales est un non-sens : « Le modèle capitaliste et de recherche de croissance à tout prix a pour conséquence de rendre plus difficile les conditions de vie humaine sur terre. Et ce sont les plus pauvres, les plus exposés, qui vont en payer le prix. D’entrée de jeu, nous avons été en empathie avec les Gilets jaunes, ce sont les mêmes classes populaires que nous, le même sentiment d’injustice. »

La méfiance des Gilets jaunes contre toute tentative de récupération, politique, syndicale, associative, n’empêche pas les rencontres sur le terrain. Au Pays basque, cela s’est vérifié en plusieurs occasions. Ainsi, le 8 décembre, lors de la marche sur le climat, le rendez-vous était commun devant la mairie de Bayonne avant de se séparer en deux cortèges distincts. Le 18 décembre, l’opposition au lancement de la préparation du G7 par le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, a réuni les Gilets jaunes et les militants de différentes organisations de gauche dans les rues de Biarritz. La cité impériale, peu habituée aux mouvements contestataires, a vu ses rues se remplir de gaz lacrymogène et une jeune étudiante de 18 ans a été défigurée par un tir des forces de l’ordre dans sa mâchoire.

Départ de la marche pour le climat et du cortège des Gilets jaunes devant la mairie de Bayonne, le 8 décembre 2018.

Le 14 janvier, les Gilets jaunes ont sollicité les militants de Bizi ! pour qu’ils les accompagnent dans une action contre l’usine Monsanto de Peyrehorade (Landes). Romain Chemin, Gilet jaune de la première heure, qui a participé à Alternatiba, a fait le lien : « Avec l’accord du groupe organisateur, j’ai prévenu les militants de Bizi !, qui se sont joint à nous », il ajoute : « Je fais marcher mon réseau. Il y a une volonté de s’ouvrir à tous types de mouvements mais sans donner lieu à des récupérations. On veut un rassemblement mais on ne veut pas de récupération. »

Les altermondialistes basques ont également décidé d’apporter un soutien « logistique » à ce nouveau mouvement social, Shawn a ainsi ouvert les portes du local de Bizi ! pour des réunions et il a proposé son aide pour la réalisation de banderoles. Quelques Gilets jaunes ont saisi l’occasion et les manifestations sur la côte basque voient désormais défiler un Dark Vador proclamant : « Passez du côté fluo de la force. »

Shawn Lubrano : « Bizi ! met l’accent sur la justice climatique, tandis que les Gilets jaunes vont revendiquer la justice sociale, mais tout est lié. »

C’est sur la formation que l’apport d’autres militants est sans doute le plus attendu. Florence W., a mis à profit son expérience de « peace keeper » (gardien de la paix) dans les actions non violentes pour calmer les esprits lorsqu’ils s’échauffaient sur le péage autoroutier de Biriatou : les Gilets jaunes ont pris l’habitude d’y laisser passer les voitures et de retenir les camions. Elle a aussi rassuré les personnes effrayées après des charges de CRS, « ils frappaient sur leurs boucliers pour intimider », dit-elle.

« Quelqu’un aurait voulu organiser cela, il n’aurait pas réussi ! » 

Maxime s’est inscrit à la formation proposée par Bizi ! début février sur l’action non violente. Elle est habituellement réservée aux adhérents, mais l’association a décidé pour cette fois de l’ouvrir au public, particulièrement à l’intention des Gilets jaunes. Le jeune homme explique sa démarche : « On a bien vu avec l’action à Monsanto qu’on peut être vite désorganisé. Lors des interpellations, il y a eu un beau moment de solidarité, mais cela n’a pas suffi pour tenir le blocage. C’est la première fois que je participe à un mouvement, comme beaucoup. Les militants plus expérimentés peuvent nous apporter leur savoir-faire. »

Pour Florence, le caractère spontané des Gilets jaunes ne fait que rendre le mouvement plus enthousiasmant : « Quelqu’un aurait voulu organiser cela, il n’aurait pas réussi ! » C’est pourtant un fonctionnement inverse de celui de l’association altermondialiste, qui est hyperstructurée, avec une coordination générale, des groupes locaux, des responsables de commission, etc. Txetx Etcheverry l’a aussi constaté : « Nous avons une culture militante très organisée que nous théorisons, eux ont une autre culture et nous voulons respecter leur manière de faire. »

Manifestation à Bayonne le 19 janvier 2019.

Si la plupart des Gilets jaunes souhaitent massifier leurs rassemblements, en s’ouvrant à tous ceux qui acceptent d’endosser leur symbole, pour certains, le mouvement annonce le crépuscule des organisations de « l’ancien monde ». À Bayonne, la manifestation du 19 janvier convergeant pour la première fois avec la CGT a rassemblé 400 personnes, deux fois moins qu’au même moment à Saint-Jean-de-Luz (Pyrénées-Atlantiques) où quelque 1.000 personnes ont défilé uniquement en jaune, pour certains par défiance envers le syndicalisme. Tout en haut de la liste des organisations vouées à disparaître selon ces Gilets jaunes, les partis politiques et les syndicats. Mais les associations politiques comme Bizi ! ne sont pas épargnées par les prédictions d’obsolescence à moyen terme. Sans doute est-ce la contrepartie à l’espoir suscité par les manifestations de ces dernières semaines : ne plus voir l’horizon qu’en jaune. Peut-être ne faudrait-il pas oublier que sur le spectre lumineux, le jaune se situe entre le rouge et le vert.

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