Claude Lanzmann : un corps, une oeuvre (1925-2018)

Claude Lanzmann à Paris le 11 février 2016 ©AFP - Joël Saget / AFP
Claude Lanzmann à Paris le 11 février 2016 ©AFP - Joël Saget / AFP
Claude Lanzmann à Paris le 11 février 2016 ©AFP - Joël Saget / AFP
Publicité

Claude Lanzmann a signé avec Shoah, le plus grand témoignage sur la destruction des juifs d'Europe, une oeuvre monumentale réalisée par un engagement viscéral et une grande détermination, caractéristique de celui qui dirigea Les Temps Modernes pendant plus de trente ans.

Avec
  • Juliette Simont Docteure en philosophie, Maîtresse de recherche au Fonds National de la Recherche de Belgique, co-directrice de la revue Les Temps Modernes
  • Laura Koeppel Animatrice du ciné-club du cinéma Le Vincennes
  • Caroline Champetier Directrice de la photographie
  • Ruth Zylberman Écrivaine et réalisatrice
  • Annette Wieviorka Historienne, directrice de recherche honoraire au CNRS et vice-présidente du Conseil supérieur des Archives
  • Corinna Coulmas Philosophe et autrice

Ce qui caractérise Claude Lanzmann, c’est sa façon d’établir un rapport direct avec les gens. C’est le génie de toute son œuvre. Dans Shoah, on voit à quel point il instaure un rapport de personne à personne qui l’engage totalement, et qui permet à l’autre d’être absolument qui il est. Laura Koeppel

Né en 1925 d’une famille juive émigrée de l’empire russe, résistant pendant la Seconde Guerre Mondiale et proche de Sartre et Beauvoir au sein de l’équipe des Temps modernes Claude Lanzmann est mort en juillet 2018. S’il est formé à la philosophie et journaliste de métier, il reste avant tout le créateur de Shoah, objet filmique inédit sur la mémoire des camps d’extermination nazis. Journaliste fréquentant les milieux intellectuels français, formé à la philosophie et dans la Résistance, il se passionne pour les débats et les combats de son temps, en témoigne sa fidélité à la revue Les Temps modernes qu’il dirige pendant plus de trente ans après la mort de Simone de Beauvoir. 

Publicité

Claude Lanzmann dans Le Bon Plaisir sur France Culture, le 28 septembre 1996

2 min

Mais c’est en Israël, qu’il rencontre un défi à sa mesure. Il y réalise un premier film Pourquoi Israël en 1973 qui lui vaut la commande d’un second film consacré cette fois-ci au génocide des Juifs d’Europe. Il retrouve à cette occasion la Seconde Guerre Mondiale, mais pas celle qu’il a connue, alors adolescent, aux côtés des résistants et des maquisards. S’il trouve en Israël une terre d’identification, il travaille pendant plus de dix ans sur un interstice de cette société en construction où les rescapés de l’extermination ne se racontent pas. 

Shoah a été important dans le micro milieu intellectuel. C’est le premier film à raconter l’histoire de la destruction des juifs d’Europe. Ce film est au cœur de la destruction. Il s’est mis au plus près de la machine de mort, c’est une novation. Il a choisi de ne pas mettre d’images d’archives, il a choisi de mettre en situation les témoins et les lieux. C'est une sidération. On peut comprendre la toute-puissance de Lanzmann, un sentiment de toute puissance par délégation des morts. Annette Wieviorka

Les 350 heures de pellicule imprimée au cours de cette enquête pour l’élaboration de Shoah symbolisent une rupture majeure dans la vie de Claude Lanzmann mais également dans l’histoire de la représentation de l’événement. Le film fait date à sa sortie en 1985, par la force des témoignages qui le constituent mais également par la méthode Lanzmann. C’est bien sa technique d’entretien, jugée nécessaire et salutaire pour certains, obscène pour d’autres, qui imprime la signature de l’auteur.  Si Shoah fait toujours couler beaucoup d’encre sur sa nature, aux frontières du documentaire et de la fiction, c’est qu’il questionne encore aujourd’hui de nombreux champs, du cinéma à la psychanalyse en passant par l’histoire et le journalisme d’investigation.

Pour afficher ce contenu Youtube, vous devez accepter les cookies Publicité.

Ces cookies permettent à nos partenaires de vous proposer des publicités et des contenus personnalisés en fonction de votre navigation, de votre profil et de vos centres d'intérêt.

La profondeur et la durée de l’impact du film sont, par ailleurs, farouchement soutenues par la présence médiatique de son réalisateur. Auréolé de son amitié avec Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir dans un premier temps, ses prises de positions sans concession sur l’irreprésentabilité de la Shoah lui confèrent une voix à part entière sur la scène intellectuelle française.

Claude Lanzmann était à fleur de peau en permanence. Cette idée d’avoir une œuvre aussi importante derrière lui ne le tranquillisait pas du tout. C’était un écorché vif, d'une grande fragilité. Claude était son corps, sa pensée était une émanation de ce corps. Tout passait par sa présence physique. Tout le film Shoah est un corps à corps, de lui avec ceux qu’ils interviewent, et les spectateurs. Il nous prend à la gorge. Et le plus profondément, c’est un corps à corps de lui avec quelque chose d’innommable, qu’il veut capturer, qu’il n’arrive pas à nommer. Pour lui c’était la Chose. Capturer cette chose la traîner jusque devant nous spectateur, au présent. Finalement, c’est une tentative de rendre présent ce qui s’est passé. Juliette Simont

Témoignage d'Abraham, coiffeur, dans le film Shoah, de Claude Lanzmann (1985)

  • Avec Juliette Simont, Maîtresse de recherches au Fonds National de la Recherche scientifique de Belgique, directrice adjointe de la revue Les Temps Modernes, qui a dirigé notamment l'ouvrage Claude Lanzmann, un voyant dans le siècle (Gallimard) ; Corinna Coulmas, collaboratrice de Claude Lanzmann sur le film Shoah ; Caroline Champetier, directrice de la photographie, ancienne assistante de Claude Lanzmann ; Laura Koeppel, assistante à la réalisation (de Claude Lanzmann notamment) ; Annette Wieviorka, historienne et Ruth Zylbermann, cinéaste.

Pour aller plus loin 

Adieu à Claude Lanzmann, par son épouse, Dominique Lanzmann, publiée par La Règle du jeu.

Claude Lanzmann, l’impossible. Lanzmann en Corée du Nord : Philippe Sollers met l’accent sur un épisode singulier de la vie de l’auteur-réalisateur. A lire sur le site PileFace.

Claude Lanzmann, un engagement anticolonialiste et ses limites : article de Vincent Remy paru sur le site Histoire coloniale et post-coloniale.

  • Un documentaire de Anaïs Kien, réalisé par Yvon Croizier. Archives INA : Sophie Henocq.

L'équipe