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Politique

Selon Laurent Berger, Macron a "accéléré" la colère sociale

INTERVIEW - Le secrétaire général de la CFDT Laurent Berger, qui prône un pouvoir moins vertical et une politique plus sociale, pointe la "responsabilité" d'Emmanuel Macron dans la crise des Gilets jaunes.

Emmanuelle Souffi , Mis à jour le
Le secrétaire général de la CFDT Laurent Berger.
Le secrétaire général de la CFDT Laurent Berger. © Sipa

Le secrétaire général de la CFDT Laurent Berger estime dans cette interview au Journal du Dimanche que la pratique du pouvoir d'Emmanuel Macron "a accéléré" la colère sociale, dans un pays "en pleine hystérisation". "Si cette sortie [de crise] se fait de façon unilatérale ou personnelle, ce sera très dangereux", assure-t-il, ajoutant que "la CFDT est prête à jouer son rôle" dans le grand débat national notamment. Selon Laurent Berger, "il faut partager le pouvoir et ­associer davantage les corps intermédiaires ainsi que les citoyens".

Avez-vous eu des contacts avec le président de la République depuis le 10 décembre?
Non aucun. Mais ça n’est pas le sujet. Le vrai sujet, c’est ce débat, cette ouverture des fenêtres pour changer les choses, avoir plus de justice sociale et fiscale. Et surtout, son issue. 

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Signifie-t-il un changement de méthode selon vous?
Malgré une lettre dont on peut contester la teneur sur certains points comme la fiscalité qui n’est abordée que sous l’angle du trop-plein de dépenses et d’impôts, et l’absence de référence au pouvoir d’achat, ce débat offre une possibilité d’expression. A nous de nous en saisir sans être comptable de ses résultats.

Emmanuel Macron écoute-t-il davantage?
Ne me demandez pas de commenter le match avant la fin! Le 17 novembre, j’ai appelé à un Pacte social de la conversion écologique. Nous n’avons pas été écoutés. Les violences ont ensuite éclaté. Le 10 décembre, le président annonce des mesures en faveur du pouvoir d’achat et l’organisation d’un grand débat. Il est légitime que le gouvernement lance cette phase, mais cette consultation n’est pas la nôtre. La démocratie politique, représentative ne peut suffire. Il faut aussi écouter davantage les citoyens. Au milieu, il y a la démocratie sociale. Je n’ai pas envie de polariser autour de la personnalité du président de la République. Qui va prendre ses responsabilités pour trouver une issue à cette crise alors que le pays est en pleine hystérisation ? La CFDT est prête à jouer son rôle. Si cette sortie se fait de façon unilatérale ou personnelle, ce sera très dangereux.

 

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Si le gouvernement ne saisit pas cette occasion de construire un pacte social et écologique, il aura une lourde responsabilité dans la montée des extrêmes

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Vous appelez à un Grenelle du pouvoir de vivre. Avez-vous eu une réponse?
Non, mais tant que je n’en ai pas reçu, je ne renonce jamais. Cet appel à un Grenelle est essentiel car cette crise pointe le pouvoir de vivre, de se déplacer, d’accéder à la parole, aux transports, au logement... Si le gouvernement repart dans son coin, on n’aura rien réglé. 

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A plusieurs reprises, vous avez tiré la sonnette d’alarme. Sans être entendu…
En mai 2017, j’avais rédigé une lettre ouverte à Emmanuel Macron où je le mettais en garde contre la tentation de l’isolement. Je lui disais déjà de partager le pouvoir, qu’il ne peut y avoir de réformes acceptées si elles ne sont pas justes, comprises et concertées. Il a fait le contraire et on en paie collectivement le prix. Aujourd’hui s’offre à lui une deuxième chance, celle d’avoir une pratique du pouvoir moins verticale et de mettre en place des politiques sociales plus fortes. Si le gouvernement ne saisit pas cette occasion de construire un pacte social et écologique, il aura une lourde responsabilité dans la montée des extrêmes. Certes, il est légitime à faire des propositions. Mais pas tout seul. 

Cette pratique du pouvoir est-elle à l’origine de la colère sociale actuelle?
Elle l’a accélérée. Ce sentiment que rien n’existe entre le pouvoir et le peuple a provoqué un retour de balle. Le président porte une responsabilité, il y a eu défaillance.

 

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Arrêtons de dénigrer les corps intermédiaires! Notre démocratie, il faut la faire respirer

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Les syndicats se sont aussi coupés de la population…
La défiance touche toutes les institutions, y compris la presse! Il y aura un 'après Gilets jaunes' car cette crise bouscule tout le monde quant à sa relation aux citoyens et à l’exercice de sa propre responsabilité. Cependant nous n’avons pas attendu les gilets jaunes pour agir au service des travailleurs. Nous devons rendre plus visible ce que l’on obtient et revoir nos pratiques syndicales. Tous les jours dans les entreprises, des accords salariaux, de couverture santé, sont signés. Au travail comme dans la société, l’attente est la même : une meilleure répartition des richesses et un partage du pouvoir. Imaginez un pays sans corps intermédiaires ni associations, il irait beaucoup plus mal. Alors, oui on peut nous dire que la participation est en baisse aux élections professionnelles, que le taux de syndicalisation est faible même si la CFDT a 623000 adhérents. … Et les politiques alors? Nicolas Sarkozy a échoué au deuxième tour de l’élection présidentielle de 2012, François Hollande ne s’est pas représenté en 2017, Emmanuel Macron est contesté au bout d’un an et demi. A quoi riment ces petites comparaisons mesquines? Arrêtons de dénigrer les corps intermédiaires! Notre démocratie, il faut la faire respirer.

Que rôle compte jouer la CFDT dans le Grand débat?
Nous nous y inscrivons de plusieurs manières, avec des ateliers participatifs, des cafés débat. Dans les entreprises, des sections CFDT ont ouvert des espaces d’expression. Nous allons nous aussi recueillir la parole des citoyens et élaborer des réponses afin d’alimenter la synthèse qui sera faite. Nous travaillons également avec d’autres syndicats comme l’Unsa, la CFTC et la Fage, mais aussi avec une vingtaine d’associations (la Fondation Abbé Pierre, ATD Quart Monde…) pour présenter des propositions communes. Un séminaire de travail aura lieu mi-février entre nous tous. Il y a trois bombes à retardement : climatique, démocratique et celle liée aux inégalités. Sur ce point, le premier rempart, ce sont des services publics accessibles à tous. Nous réclamons un moratoire sur les fermetures et un bouclier de services publics, mais aussi une contribution plus forte des plus riches.

 

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Nous subissons une profonde crise de la responsabilité. Des personnalités politiques sont capables de dire tout et n’importe quoi

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Comment sortir de la crise? 
Il faut partager le pouvoir et associer davantage les corps intermédiaires ainsi que les citoyens. Il y a donc une question de méthode et de priorités : justice fiscale, transition écologique, répartition des richesses, démocratie participative. Je ne fais pas de l’ISF un totem, mais d’une manière ou d’une autre il faut que les plus hauts revenus soient davantage mis à contribution. Nous devons éteindre collectivement l’incendie. On ne peut pas vivre dans une société hystérisée, portons des discours responsables. J’assume d’avoir dit que l’extrême droite manipulait les Gilets jaunes, qu’imposer le port d’un Gilet était totalitaire. Chacun doit arrêter de jouer sa partition. Si le gouvernement est capable d’entendre, tant mieux. Sinon la crise s’aggravera.

C’est à rebours de ce qui a été fait?
Le président de la République n’a plus le choix. Il faut une inflexion avec des politiques sociales qui réduisent les inégalités, redonnent du pouvoir d’intervention aux citoyens. Je ne veux pas que la France ressemble à l’Italie ou la Hongrie. Et il y a un risque. On ne peut plus se parler sans s’agresser. La première chose que je ferai quand je ne serai plus secrétaire général, c’est de quitter Twitter ! Quand la nuance disparait l’intelligence recule, la violence essaime et devient légitime. J’en appelle à l’apaisement. Je ne serai pas de ceux qui prône le durcissement pour mieux se parer dans des certitudes. Je veux participer à ce que notre pays soit plus juste et fraternel. 

Que pensez-vous des appels à la démission d’Emmanuel Macron lancés par certains Gilets jaunes?
Il y a des règles dans la Ve République, c’est absurde! Tout comme dire que l’on vit dans une dictature. Nous subissons une profonde crise de la responsabilité. Des personnalités politiques sont capables de dire tout et n’importe quoi.

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