Crise d’angoisse : « C’est comme être poursuivi par Godzilla… Sauf que tout va bien »

« Y a-t-il un pilote dans l’avion ? », de Jim Abrahams, sorti en 1980 avec Robert Hays.

« Y a-t-il un pilote dans l’avion ? », de Jim Abrahams, sorti en 1980 avec Robert Hays. 

Décryptage  Si ça ne vous est jamais arrivé, il est impossible pour vous d’imaginer ce que c’est. Ils vous racontent : leur première crise d’angoisse.

« J’étais persuadée que j’allais mourir », « C’était comme être poursuivi par Godzilla », « J’avais l’impression d’être ivre, sans avoir bu une goutte ». On n’oublie jamais sa première crise d’angoisse. Elle frappe avec violence, sans prévenir. Ceux qui l’ont vécue la décrivent avec une acuité qui suinte le traumatisme.

Pour en donner une définition large, une crise d’angoisse aiguë, attaque de panique, ou encore crise de spasmophilie, est une manifestation brutale d’anxiété qui s’accompagne de symptômes physiques aussi divers que désagréables : palpitations, sueurs, hyperventilation, vertiges, fourmis dans le bout des doigts et autres plaisirs.

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Devant un film, au travail, à l’école ou même dans votre sommeil, ces violentes bouffées vous prennent sans pitié, n’importe où. La première annonce les suivantes, mais c’est bien elle qui est la plus terrible. Parce qu’on ne l’attendait pas. Le livre « Adieu chère angoisse ! » (Editions Payot), d’Adeline Grais-Cernea, commence d’ailleurs ainsi :

« Chère Angoisse, la première fois, tu ne m’as pas épargnée. Tu m’as eue par surprise et en même temps comment t’en vouloir, c’est quand même ton fonds de commerce […]. »

« Je pensais vraiment mourir… »

Imaginez simplement que tout va bien, vous baignez dans la tranquillité. Puis, abruptement, sans réelles causes apparentes, l’angoisse vous réchauffe par vagues successives et finit par vous ensevelir. Ceux qui l’ont déjà vécu n’en ont rien oublié.

Lucas, 34 ans, a fait sa première crise en 2008 :

« Je jouais à un jeu vidéo et, d’un coup, ma vision s’est brouillée. Tout devenait de plus en plus blanc et j’ai eu un énorme flash. Mon cœur s’est mis à battre à une vitesse folle, je suais, je pensais perdre la vue. Je ne voyais plus rien, j’avais des sensations de vertige, mon corps était en alerte, tous mes sens étaient déréglés. Je n’avais qu’une seule envie : sauver ma peau, fuir. Je pensais vraiment mourir… Alors que j’avais une banale migraine ophtalmique. »

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Chez Julie, 25 ans, c’est un pétard qui a déclenché la première crise. Elle avait l’habitude de fumer de manière festive depuis plusieurs mois avec son petit ami. Après une pause estivale de trois semaines, où elle n’a pas consommé de cannabis, elle reprend ses habitudes. Dès le deuxième jour, sa familière soirée bédo-télé-popcorn vire à la crise d’angoisse.

« Avec mon copain et son colloc, on regarde un film un peu oppressant : “Cloverfield” et on fume un pétard. Au bout de trente minutes, je sens des montées de chaleur accompagnées de sueurs froides dans le dos. Je sens mes bras, qui sont derrière ma tête, faire comme un nœud. Je suis convaincue de faire une crise cardiaque. Je n’arrive plus à respirer correctement. Je suis persuadée que je vais mourir. Je suis dans un trou de palpitations, de sueurs, d’incapacité à respirer correctement et de honte. Le lendemain, sans avoir fumé, j’ai refait une crise d’angoisse. Beaucoup moins forte, mais j’ai pleuré, sans raison spécifique, pendant deux heures. »

C’est cette même certitude de se sentir partir que décrit EnjoyPhoenix, YouTubeuse aux millions d’abonnés et ancienne victime de harcèlement scolaire, dans une vidéo en 2017 :

« Il y a six ans, quand j’étais au lycée, j’ai eu ma première crise d’angoisse. Sur le coup, je ne savais pas trop ce que c’était, je savais juste que je n’arrivais plus à respirer. Ça me prenait à la gorge, dans le thorax, j’avais mal à la nuque, à la tête. C’était comme une crise d’asthme, sauf que je n’avais jamais fait d’asthme de ma vie […]. J’avais l’impression que mon cœur… Il allait s’arrêter de battre. »

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En 2015, alors qu’il allait s’acheter à manger lors de sa pause déjeuner, Quentin, assistant social de 33 ans, s’est aussi, « d’un coup, senti mal » : « J’ai eu le soudain sentiment de ne pas marcher droit. J’avais mal à la tête, comme si j’avais reçu un coup puissant. J’étais persuadé que j’allais tomber dans les pommes. J’avais le sentiment d’avoir perdu le contrôle de mon corps. C’était très impressionnant. »

Et même quand on croit la duper, l’angoisse rentre par la fenêtre, raconte Lucie, 26 ans :

« Ma mère était malade et j’étais inquiète. En déplacement professionnel, je m’épuisais pour ne pas y penser. J’imaginais qu’une fois endormie, je ne serais plus sujette à mes pensées déstabilisantes. Pas de chance… J’ai fait une terreur nocturne avec des hallucinations. Assise sur mon lit, j’étais tétanisée, incapable de bouger, mon cœur battait très vite et chacune de mes respirations me semblait bloquée. J’avais l’impression que j’allais mourir. »

« L’angoisse de l’angoisse »

La cause, le lieu, les symptômes et la situation d’une première attaque de panique diffèrent selon les personnes et les crises. Mais ce sentiment diffus d’être en train de mourir est une constante. Paniqué, on s’empresse en toute logique d’appeler les urgences, les pompiers ou le médecin. Parfois dès la première crise.

C’est ce qu’a fait Quentin. De retour de sa pause déjeuner avortée en 2015, l’assistant social demande à ses collègues d’appeler un médecin :

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« Il m’a ausculté, m’a posé des questions. Puis, il a dit : “Vous avez fait une crise d’angoisse.” J’ai été tout de suite soulagé de pouvoir mettre un mot sur ce qui venait de m’arriver. »

Pour d’autres, le diagnostic n’est pas aussi libérateur. Dominique, qui a souffert près de dix ans de crises d’angoisse, à chaque fois « pour des raisons amoureuses », a été, certes, « rassuré », mais aussi « inquiet », lorsque le médecin a posé des mots sur ses crises, dont il attribuait l’origine à un trouble ORL :

« Ça m’a rassuré de n’avoir rien à l’oreille, mais ça m’a inquiété de devoir consulter un psychiatre. »

Certains vont jusqu’à consulter de manière frénétique. « J’ai passé des heures et des heures chez le médecin, je débarquais à son cabinet sans prévenir… », raconte Lucas. Dans la comédie française « On connaît la chanson », le personnage de Jean-Pierre Bacri, qui souffre de crises d’angoisse, enchaîne aussi les rendez-vous médicaux et les experts pour tenter de comprendre quel mal le frappe. A chaque fois, il rentre dans leur cabinet la chanson de Gaston Ouvrard, « Je ne suis pas bien portant », aux lèvres.

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Mais tous sont unanimes : ce n’est rien de grave. Hypocondriaque, il insiste : « J’ai mal dans la poitrine, je n’arrive plus à respirer. J’ai pensé à la tuberculose moi… C’est ridicule ? » Réponse du médecin : « Oui, c’est ridicule. » Ce n’est que lorsqu’il croise Camille (Agnès Jaoui), qui souffre des mêmes symptômes que lui, qu’il comprend : « Je ne sais pas si je suis dépressif, angoissé ou spasmophile, mais je suis rassuré. »

« Sueurs froides », « Y a-t-il un pilote dans l’avion ? » – dont est tiré le gif de référence des angoissés de la vie – « Aviator »… Le cinéma illustre à merveille la variété et l’étendue des attaques de panique.

Malheureusement, il ne suffit pas de savoir que « ce n’est rien de grave » pour s’y soustraire. La première crise d’angoisse instaure un précédent traumatique : il faut alors vivre avec la peur de son retour. « C’est l’angoisse de l’angoisse. La peur de la peur », nous confie-t-on.

Lucie, qui a vécu une terreur nocturne en déplacement professionnel, en garde des séquelles :

« Je suis angoissée à l’idée que cela pourrait revenir. Cette frayeur me bloque notamment pour trouver un travail. Je ne postule à aucun poste me demandant de faire des missions de quelques jours loin de ma ville. Cela m’obligerait à retourner seule à l’hôtel… Là où j’ai fait ma première crise. »

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Julie a aussi eu du mal à se remettre de son bad à la marijuana :

« L’année qui a suivi a été très compliquée : je me suis beaucoup renfermée sur moi, j’ai développé de l’agoraphobie et de la claustrophobie. J’ai arrêté de fumer, bien sûr, mais même boire de l’alcool était devenu compliqué, parce que j’avais peur de perdre à nouveau le contrôle. Au bout de huit mois, je me suis fait aider par une psychologue. »

L’angoisse, ta meilleure amie

Beaucoup s’orientent en effet vers un suivi psychologique. A raison, nous explique le psychanalyste et auteur de « Peurs, angoisses, phobies, par ici la sortie ! » (Editions Marie B), Rodolphe Oppenheimer :

« La crise d’angoisse aiguë est le travestissement par l’inconscient d’un problème refoulé. Cette angoisse violente et traumatique a vocation à évacuer le vrai problème, souvent plus pénible encore à affronter qu’une attaque de panique. »

Philosophe, Lucas, surpris par une crise en pleine partie d’un jeu vidéo, a appris à cohabiter avec l’angoisse comme « amie » :

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« Après m’avoir isolé du reste du monde pendant plusieurs années, la crise d’angoisse est devenue une amie. Il faut l’écouter et l’apprivoiser. C’est un outil très précieux quand on sait s’en servir sans tomber dans l’hypervigilance. Par exemple, cela fait une semaine que je fais de nouveau des crises d’angoisse quotidiennement. Je sais pourquoi elles sont là. C’est parce que j’ai des problèmes à gérer au travail. Quand ils seront réglés, elles repartiront d’elles-mêmes. En attendant, je les laisse vivre. Je ne cherche plus à fuir l’endroit où la crise démarre, pour ne pas en faire un lieu phobique. Je me force à vivre normalement. Rester enfermé, dans l’évitement, ne fait qu’aggraver le problème. »

Et si, malgré tout, vous continuez à trembler face à l’angoisse de l’angoisse, sachez que votre vie n’est pas réellement en danger, souligne le psychanalyste Rodolphe Oppenheimer :

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« Vous pensez que vous allez mourir, vous en êtes convaincu, mais ça n’est pas le cas. Dans toute l’histoire de la médecine, personne n’est jamais mort d’angoisse. Personne. »
Certains prénoms ont été modifiés

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