Il ne faut pas sous-estimer la bêtise

La guerre à l'intelligence, le triomphe de la bêtise ©Getty - Fanatic studio
La guerre à l'intelligence, le triomphe de la bêtise ©Getty - Fanatic studio
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L'hégémonie tendancielle de la bêtise se matérialise notamment par la parution de plus en plus régulière d’ouvrages consacrés à ce sujet, signe qu'il y a urgence à mesurer sa puissance morale et politique.

Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai l’impression, et même la sensation solide, que c’est le moment de  parler de la bêtise, de nommer la bêtise, non seulement son existence, mais aussi sa tendancielle hégémonie. En témoigne la parution de plus en plus régulière d’ouvrages consacrés à ce sujet. Machinalement, au fil des années, j’avais rangé tous ces livres au même endroit, il y avait donc dans un coin de mon bureau une pile « bêtise », mais je n’en avais pas vraiment conscience jusqu’au jour, tout récent, où la pile en question fut si haute qu’elle s’est effondrée. Me penchant alors sur chacun de ces textes qui prétendent affronter la stupidité de l’époque, j’ai touché du doigt leur solidarité souterraine et leur commune vulnérabilité.

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Que faire des cons ?

Sans pouvoir faire justice à leur contenu respectif, je voudrais au moins mentionner quelques titres emblématiques de cette galaxie textuelle. Il y a, pêle-mêle, L’Imbécilité est une chose sérieuse, de Maurizio Ferraris (PUF), Bréviaire de la bêtise, d’Alain Roger (Gallimard), La bêtise s’améliore, de Belinda Cannone (Stock), Le Triomphe de la bêtise, d’Armand Farrachi (Actes Sud), Psychologie de la connerie, sous la direction de Jean-François Marmion (Éditions Sciences humaines) ou encore, en cette rentrée de janvier, une réflexion proposée par le philosophe Maxime Rovere, chez Flammarion, titre : Que faire des cons ? Sous-titre : Pour ne pas en rester un soi-même, en enfin une BD signée par la jeune Tiphaine Rivière, au Seuil, qui raconte L’Invasion des imbéciles (c’est le titre de la BD).

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La guerre à l'intelligence

Voilà, je pense quand même que cette accumulation fait sens, il y a aujourd’hui urgence, il faut prendre la bêtise au sérieux, se garder de la sous-estimer, mesurer au contraire sa puissance morale et politique. Car la bêtise est une force spirituelle. Elle n'a guère à voir avec l'ignorance : certains de ses fidèles les plus zélés sont d’ailleurs des puits d'érudition. La bêtise relève plutôt d'une perversion de la conscience : un mélange de désinvolture morale et de dégoût vigilant, qui conduit à haïr la liberté, et la mémoire aussi, souvent. Sans cesse les imbéciles se défilent, partout ils refusent de faire face. Une chose et une seule suscite leur mobilisation : la guerre à l'intelligence. Quand il s'agit d'en finir avec l'esprit critique, la bêtise devient légion métaphysique et matérielle, appuyée par d'innombrables soldats, vieux briscards ou jeunes loups... Alors, je ne veux pas avoir l’air de radoter bêtement, si j’ose dire, en citant une nouvelle fois Georges Bernanos, mais on ne peut pas aborder cette question sans rappeler ces lignes fameuses, tracées en 1938 et qui résonnent si fort aujourd’hui : « Votre profonde erreur est de croire que la bêtise est inoffensive (...) La bêtise n’a pas plus de force vive qu’une caronade de 36, mais une fois en mouvement, elle défonce tout ».

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