La centrale nucléaire du Bugey, le 8 avril 2016, près de Saint-Vulbas, dans l'Ain

La centrale nucléaire du Bugey, le 8 avril 2016, près de Saint-Vulbas, dans l'Ain

afp.com/PHILIPPE DESMAZES

La lutte contre le réchauffement climatique est sans nul doute le plus grand défi que l'humanité devra relever ces prochaines années. Et le plus urgent aussi, comme en témoignent toutes les études sur le sujet. L'une des plus récentes, publiée lundi 14 janvier dans PNAS, relate la fonte accélérée des glaces de l'Antarctique ces dernières années qui pourrait aboutir, dans les prochains siècles, "à une hausse du niveau des océans de plusieurs mètres".

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Le rapport du GIEC, publié en octobre 2018, souligne lui aussi la gravité de la situation : "Les années à venir seront les plus déterminantes de notre histoire", car si le mercure continue de grimper au rythme actuel sous l'effet des émissions de gaz à effet de serre, il devrait atteindre +1,5°C entre 2030 et 2052, et +3°C à la fin du siècle. Pire, les scientifiques redoutent le déclenchement de tipping points, [points de bascule], des mécanismes provoqués par le dépassement des seuils critiques de températures au cours desquels les températures s'emballeraient même si l'on suspendait toute pollution.

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Et pourtant, face à ces constats dramatiques, les décideurs tardent à mettre en oeuvre les politiques radicales nécessaires, engendrant une vague de déprime chez les climatologues et de révolte chez les citoyens. Alors comment réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre dans les trente prochaines années, alors que 2017 et 2018 ont vu les émissions mondiales repartir à la hausse ? Selon certains experts, l'énergie nucléaire serait, si ce n'est la seule, du moins la meilleure arme. C'est ce que soutiennent le politologue Joshua S. Goldstein et l'ingénieur en énergie Staffan A. Qvist, dans une longue tribune publiée dans le Wall Street Journal.

L'éolien et le solaire sont insuffisants

"Faire face à ce défi est une question morale, mais aussi un problème mathématique", expliquent-ils. L'équation est simple : "80% de l'énergie mondiale pour produire de l'électricité, chauffer les bâtiments ou alimenter les moteurs des avions et des voitures provient des combustibles fossiles", charbon, pétrole et gaz. Or la consommation d'énergie augmente année après année, à mesure que les pays se développent. Selon les calculs de ces deux experts, décarboner l'économie mondiale nécessiterait de produire l'équivalent de 100 billions [100 000 milliards] de kilowattheures "d'énergie verte" d'ici trente ans, soit 3,3 billions de kW/h par an. Dans ce but, parier sur les énergies solaires et éoliennes serait une erreur, selon eux, car même si tous les États imitaient les efforts de l'Allemagne, le pays en pointe dans ce secteur, il faudrait 150 ans pour produire 100 billions de kW/h "vert".

Sans compter que les méthodes éoliennes et solaires sont loin d'être parfaites. D'abord, leur production d'énergie varie énormément en fonction des conditions : le vent pour l'éolien et la luminosité pour le solaire. Un réseau national a besoin d'une production stable et ne peut donc reposer uniquement sur ces sources-là. Il suffit de constater la situation en Allemagne qui, depuis la sortie du nucléaire, est restée une importante émettrice de pollutions carbonées (charbon, lignite) dans l'atmosphère à cause de ses centrales à charbon. Si le le renouvelable avait remplacé le charbon, ses émissions auraient largement diminué.

Le stockage de l'énergie ne pourrait à lui seul suffire à pallier les variations de la production éolienne et solaire. Aujourd'hui, les stations de transfert d'énergie par pompage sont la première source de stockage d'énergie au monde. Il s'agit de bassins d'eau placés à différentes altitudes, qui fonctionnent comme des batteries, sauf qu'au lieu de les charger, il faut pomper l'eau en hauteur, et la "relâcher" afin de produire, plus tard, de l'électricité. Une technologie pouvant encore se développer à l'international, mais qui ne suffit pas à répondre aux besoins actuels et futurs de stockage. Quant aux batteries géantes lithium ion popularisées par le fabricant américain Tesla, elles, sont encore plus limitées que les bassins d'eau et leur processus de fabrication est très polluant.

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"Le monde a besoin d'une source d'électricité ne produisant pas de CO², pouvant être rapidement construite en masse pour fournir énormément de puissance, de manière fiable, 24h/24 quelles que soient les conditions météorologiques, résument les deux auteurs. Et seule l'énergie nucléaire répond à toutes ces exigences". Selon les chiffres de l'Ademe, l'agence française de l'énergie, le nucléaire serait, au global, aussi peu polluant que les énergies renouvelables.

Elle est, de surcroît, aussi peu mortelle que les énergies renouvelables. Comme le rappelle le Wall Street Journal, l'accident de Three Mile Island, en 1979 aux États-Unis, n'a fait aucun mort. Celui de Tchernobyl, en 1986 en URSS, a tué 60 personnes sur le coup et probablement quelques centaines ou milliers par la suite à cause des radiations. La catastrophe de Fukushima, au Japon en 2011, provoquée par le quatrième plus gros tremblement de Terre de l'histoire - et le tsunami qu'il a engendré - n'a fait qu'un seul mort (lié à la radioactivité) selon le gouvernement japonais.

Le nucléaire, un moindre mal ?

La rupture d'un barrage hydroélectrique en Chine en 1975 a engendré des dizaines de milliers de morts. La fuite de gaz en 1984 à Bhopal, en Inde, en a fait au moins 4 000. Ces industries ne sont pourtant pas autant décriées que le nucléaire. Et que dire des centrales à charbon, qui entraînent 23 000 morts prématurées en Europe chaque année, dont 1 200 en France, à cause des centrales des pays voisins - Allemagne, Pologne Royaume-Uni et Espagne ?

Reste la question des déchets radioactifs, problématiques à long terme. Mais le charbon, le pétrole et le gaz le sont à très court terme. Le nucléaire, s'il n'est pas parfait, reste donc une arme efficace pour lutter contre le réchauffement climatique, un danger autrement plus pressant, résument Joshua S. Goldstein et Staffan A. Qvist

Nucléaire est sûr

Mort provoqués en Europe (par térawattheure) en fonction des différentes énergies non-renouvelables, selon l'étude "Electricity generation and health", publiée en 2007 dans The Lancet.

© / The Lancet/Environnemental Progress/Ans

Les deux auteurs omettent néanmoins plusieurs critiques. D'abord, investir uniquement dans le nucléaire aurait aussi un effet négatif, celui de freiner l'investissement dans de nouvelles technologies d'avenir - biomasse, amélioration du stockage, etc. Ensuite, le nucléaire n'est pas une énergie renouvelable. Selon un rapport de l'OCDE, les réserves actuelles d'uranium, ressource utilisée pour alimenter les réacteurs nucléaires, sont suffisantes pour plus de 100 ans de fonctionnement, à condition que la consommation n'augmente pas.

Les réacteurs de quatrième génération - encore expérimentaux - promettent d'utiliser 100% de l'uranium extrait des mines - là où les réacteurs actuels consomment uniquement l'uranium 235, soit 0,7% du minerai de base - ce qui permettrait au nucléaire de devenir une source d'énergie quasi illimitée, sans compter que ces nouveaux réacteurs consommeraient aussi du plutonium, le principal déchet de nos centrales actuelles.

Mais même dans cette perspective idéale, la quatrième génération risque d'être 30% plus chère que l'actuelle. Si l'on ajoute les dépenses liées au démantèlement des centrales, le coût du nucléaire dans la lutte contre le réchauffement climatique pourrait devenir stratosphérique.

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