Mounir Baatour : « Les homosexuels sont des citoyens sans droits en Tunisie »

ENTRETIEN. Candidat à la présidentielle tunisienne, l'avocat et président de Shams, association de défense des droits LGBT, milite pour la dépénalisation de l'homosexualité.

Propos recueillis par notre correspondant à Tunis,

Mounir Baatour : « Les homosexuels sont des citoyens sans droits en Tunisie »
Mounir Baatour : « Les homosexuels sont des citoyens sans droits en Tunisie » © Fethi Belaid / AFP

Temps de lecture : 7 min

Nous sommes en janvier 2019. Dans son petit bureau aux volets fermés, l'avocat Mounir Baatour ne cache pas sa colère. Une froide colère, étayée par les nombreux cas de Tunisiens arrêtés et condamnés car supposés homosexuels. Mi-décembre, un homme a été violemment tabassé dans le gouvernorat de Monastir. Une fois en justice, lorsque le juge a appris que l'homme était homosexuel, il a relaxé l'un des agresseurs. Et condamné au sursis l'autre. La victime, 50 points de suture, a ensuite subi un sermon mélange de conservatisme et de religion.

Plus tôt, c'est un infirmier victime d'un viol. Il porte plainte à la police. Il est condamné, son agresseur innocenté. Et il perd son travail. Mounir Baatour reçoit « chaque semaine des témoignages de gens rackettés, tabassés, torturés à cause de leur orientation sexuelle ». Et il « leur conseille de ne pas porter plainte, sinon ils vont être condamnés ». L'article 230 du Code pénal tunisien condamne l'homosexualité à « trois ans d'emprisonnement », un article qui date de 1913.

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Le Point Afrique : Pourquoi les arrestations se multiplient-elles ?

Mounir Baatour : C'est nouveau. J'ai l'impression que la médiatisation des arrestations d'homosexuels les dérange beaucoup, car les médias étrangers en parlent beaucoup. Ce n'est pas bon pour l'image. Parfois, au lieu de les arrêter, on donne carte blanche à la police pour leur casser la gueule. J'ai l'impression qu'il y a des consignes du ministère de l'Intérieur pour « nettoyer » le centre-ville de Tunis. Chaque personne qui a l'air trop efféminé – piercing, jean serré, sourcils épilés, autant de signes jugés ostentatoires d'une homosexualité – en subit les conséquences.

Et, comme vous n'êtes pas un citoyen comme les autres, vous ne pouvez pas porter plainte contre les violences policières. Nous sommes des citoyens sans droits. Criminaliserquelqu'un pour son identité sexuelle, cela relève du Moyen Âge. La loi tunisienne ne condamne pas les homosexuels à trois ans d'emprisonnement, mais à perpétuité. Quand un homosexuel passe trois ans en prison, quand il sort, est-ce qu'il devient hétéro ? Il reste homo, car ce n'est pas la prison qui va changer son orientation sexuelle. Il va revenir en prison pour trois ans et ainsi de suite toute sa vie.

De quand l'article 230 du Code pénal qui criminalise l'homosexualité date-t-il  ?

Il a été instauré par la France en 1913. L'article n'a jamais été remis en question. Il punit l'homosexualité masculine et féminine. Il punit tout rapport « non reproductif ». Une fellation, c'est de la sodomie. L'interprétation est très large. Ce n'est pas seulement la pénétration anale. La justice tunisienne englobe toutes les formes d'homosexualité. Six jeunes ont été arrêtés à Kairouan parce qu'on a trouvé des vêtements féminins chez eux. Ils ont été condamnés sur la base de vidéos homos trouvées dans leurs PC. Moi, je les connais tous, ils sont homosexuels passifs.

Le médecin légiste qui a pratiqué sur eux le test anal par la force, menottés, obligés à se prosterner par deux policiers, affirme qu'il a trouvé des « traces de pédérastie chronique » car il a constaté « une dilatation de l'anus ». La personne n'est pas propriétaire de son corps en Tunisie, l'Etat lui dit ce qu'elle peut ou ne peut pas faire de son corps. Les principes du respect de l'intégrité physique, de l'inviolabilité de la personne humaine, de son domicile, de ses données personnelles, principes consacrés par la nouvelle Constitution, tous ces principes sont bafoués quotidiennement en Tunisie. Après, les dirigeants vont parler de démocratie naissante dans les médias étrangers ! Quelle démocratie ? C'est une vitrine que le gouvernement utilise. Aucun droit consacré par la Constitution de 2014 n'est respecté en pratique.

Que dit la Constitution ?

D'un côté, elle dit que l'État protège le sacré, interdit de traiter quelqu'un d'impie, protège la liberté de culte mais aussi la liberté de conscience. Dans son article 1, la religion de l'État est l'islam, ce que je ne comprends pas, je n'ai jamais vu un État qui fait la prière, jeûne pendant le ramadan ou effectue le pèlerinage. Un État est une personne morale qui ne peut pas avoir de religion. L'article 2 explique que c'est un État civil. Quand on dit qu'il faut appliquer la loi écrite par les hommes, par un parlement, ils nous répondent : « C'est aussi un État musulman, il faut appliquer la loi de Dieu. » Quand on parle de l'article 6, la liberté de conscience, ils disent que « l'Etat doit protéger le sacré ». C'est un texte fourre-tout, un compromis bâtard entre islamistes et progressistes.

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