Témoignage des jeunes femmes qui ont échappé à Boko Haram

Deux jeunes femmes nigérianes, anciennes otages de Boko Haram, témoignent pour sortir les autres filles kidnappées par le groupe terroristes de l'horreur.

De Alexandra E. Petri
Photographies de Stéphanie Sinclair
Ya Kaka est photographiée ici avec ses sœurs Yagana, 21 ans (à gauche), et Falimata, 14 ...
Ya Kaka est photographiée ici avec ses sœurs Yagana, 21 ans (à gauche), et Falimata, 14 ans (à droite). Toutes trois ont été enlevées et retenues en captivité par Boko Haram. Le petit frère et la plus jeune sœur de Ya Kaka, âgés respectivement de 6 et 5 ans, ont également été enlevés, mais on ignore où ils se trouvent.
PHOTOGRAPHIE DE Stéphanie Sinclair

Se tenant debout sur la place de Times Square, à New York, Ya Kaka et Hauwa rient d'une caricature réalisée par un artiste de rue. Leurs vêtements colorés dépassent de leurs manteaux d'hiver surdimensionnés, mais les adolescentes se fondent harmonieusement dans la foule, profitant d'un moment d'anonymat rare depuis qu'elles ont échappé au groupe terroriste Boko Haram, qui fait régner la terreur au Nigéria depuis plusieurs années.

« Nous n'avons jamais pensé que nous pourrions nous échapper et [nous retrouver ici un jour] », murmure Ya Kaka en parlant de son voyage en Amérique. « Je n'ai jamais pensé que je survivrais ».

Ya Kaka et Hauwa - identifiées seulement par leurs prénoms pour assurer leur sécurité - ne se connaissaient pas avant de connaître l'horreur, mais les épreuves communes les poussent à s'unir pour défendre les autres survivantes et appeler à la libération de celles toujours détenues par Boko Haram. Ce voyage les a amenées de Maiduguri, au nord-est du Nigéria, à Manhattan et Washington. En collaboration avec l'ONG Too Young to Wed (Trop jeunes pour être mariées en français), les jeunes filles ont rencontré les responsables des Nations Unies pour les sensibiliser à la menace que Boko Haram fait planer sur toute une région.

« Je sais que j'ai laissé des milliers de personnes à leur merci dans la brousse et dans la forêt, que j'en ai laissé des milliers dans les rues de Maiduguri », dit Ya Kaka. « La meilleure chose que je puisse faire pour les aider est de porter cette parole [au monde entier] ».

 

DEUX SUR DES MILLIERS

Boko Haram s'est fait connaître sur la scène internationale en 2014, lorsque le groupe terroriste a revendiqué l'enlèvement de 276 filles dans leur école à Chibok, au Nigéria. L'enlèvement en question avait déclenché une campagne mondiale et le hashtag #BringBackOurGirls

Hauwa raconte son histoire à 17 membres de la Chambre des représentants des États-Unis lors d'un événement organisé par la députée de Floride Frederica Wilson.
PHOTOGRAPHIE DE Stéphanie Sinclair

Mais c'est depuis 2009 que le groupe mène une campagne brutale dans le nord-est du Nigéria, forçant 2,5 millions de personnes à fuir leurs maisons, tuant plus de 20 000 personnes et kidnappant des milliers de femmes et d'adolescentes, les forçant à devenir des esclaves sexuelles, futures mères d'enfants qui viendront grossir les rangs de Boko Haram.

En février 2018, un autre enlèvement majeur a été organisé par Boko Haram : celui de 110 écolières dans la ville de Dapchi.

Ya Kaka n'avait que 15 ans lorsque des soldats de Boko Haram l'ont enlevée dans son village de Bama en 2014. Son petit frère de 6 ans et sa soeur de 5 ans avaient eux aussi été enlevés. À l'heure actuelle, personne ne sait ce qu'ils sont devenus.

Hauwa, identifiée uniquement par son prénom pour assurer sa sécurité, monte les marches du Russell Senate Office Building avec Shehu Abubakar, directeur du programme Too Young to Wed au Nigéria. Les insurgés de Boko Haram ont kidnappé Hauwa alors qu'elle n'avait que 14 ans. Elle travaille maintenant avec l'association en faveur des autres survivantes et des femmes toujours retenues par le groupe terroriste.
PHOTOGRAPHIE DE Stéphanie Sinclair

Hauwa avait 14 ans lorsque les soldats ont pris d'assaut sa maison pour capturer son frère aîné. N'arrivant pas à le trouver, ils ont demandé à son père de leur céder Hauwa. Quand son père a refusé, les insurgés l'ont tué, avant de tuer son épouse et de s'emparer de Hauwa.

Hauwa et Ya Kaka ont ensuite été conduites dans des camps dissimulés dans la forêt dense de Sambisa au Nigéria, où elles ont été forcées d'épouser des insurgés. Là, elles étaient violées plusieurs fois par jour, par leurs époux et d'autres hommes du camp pour qui elles n'étaient que des esclaves.

Ni Ya Kaka ni Hauwa - maintenant âgées respectivement de 19 et 18 ans - ne savent pas exactement combien de temps elles ont été retenues en captivité. Ya Kaka pense qu'elle a été détenue pendant plus d'un an tandis que Hauwa estime qu'elle a été en captivité depuis au moins neuf mois. Pendant ces mois d'horreur, elles se raccrochaient à des espoirs simples, ceux de revoir un jour les membres de leur famille et de goûter à nouveau un bon plat.

« Mon père a été tué devant mes yeux, et ma belle-mère aussi », dit Hauwa. « [Je me demandais souvent] Où est ma mère ? Qui va lui raconter cette histoire ? Que va-t-elle éprouver quand elle saura ? »

C'est d'ailleurs le fait de tomber enceintes qui a stimulé leurs évasions miraculeuses.

Lorsque les femmes accouchent dans le village natal de Ya Kaka, elles sont exemptées de nombreuses responsabilités quotidiennes. Mais ce n'était pas le cas dans le camp de Boko Haram où elle dit avoir été maltraitée et n'avoir été que très peu nourrie. Après avoir accouché, Ya Kaka savait qu'il lui fallait trouver un moyen de s'enfuir. Trois femmes retenues prisonnières l'ont approché avec un plan de fuite très simple : le moment opportun, courir, le plus vite possible, sans jamais se retourner. Et c'est ce qu'elles ont fait.

Hauwa, à la même période, a décidé de fuir alors que sa grossesse se terminait. Donner naissance à un enfant dans ce camp était au-dessus de ses forces. Personne ne pouvait l'y aider. « Si je restais, je mourrais. Je savais que je devais partir » se souvient-elle.

 

UNE DEUXIÈME TRAGÉDIE

Les deux jeunes filles ont marché pendant des semaines pour se réfugier dans un endroit sûr ; leurs bébés n'ont pas survécu au long voyage. 

Hauwa était sur le point d'accoucher lorsqu'elle a pris la décision de s'échapper du camp Boko Haram dans lequel elle était retenue prisonnière. "Si je restais là-bas, je mourrais", dit Hauwa. Elle a accouché pendant sa fuite vers la ville de Maiduguri. Son enfant n'a pas survécu au voyage.
PHOTOGRAPHIE DE Stéphanie Sinclair

En cours de route, Ya Kaka et Hauwa ont appris que survivre n'était pas forcément synonyme de liberté. Beaucoup de filles qui échappent à Boko Haram sont incapables de rejoindre leurs parents ou sont livrées à elles-mêmes, sans argent et sans-abri, leurs corps seulement protégés par des vêtements en lambeaux. Les experts en géo-politique appellent ce phénomène la « deuxième tragédie de la stigmatisation », une réalité qui a frappé Hauwa quand elle a finalement atteint les portes de la ville de Maiduguri.

Elle raconte que ses vêtements négligés ont entraîné sa discrimination dans les rues de la ville, incitant ceux et celles qu'elle rencontrait à la narguer, à la renvoyer au statut de « femme Boko Haram ». Les citadins ont aussi tendance à éviter les anciens captifs, les soupçonnant d'être des kamikazes. Ya Kaka a fait face à une stigmatisation similaire.

Toutes deux expliquent que Too Young To Wed les a aidées à revenir à une vie « normale », leur offrant de l'aide, leur fournissant des vêtements et les envoyant à l'école.

« J'ai pendant des années été choyée par mes parents. Puis j'ai été réduite à l'état d'esclave » frissonne Ya Kaka. « Aujourd'hui... j'apprends à grandir ».

 

APPEL À L'AIDE

Ces dernières années, Ya Kaka et Hauwa sont passées du statut de survivantes à celui de militantes. Elles sont persuadées que si elles partagent leurs expériences, cela pourra motiver les gens à agir et à apporter l'aide dont ont tant besoin les jeunes filles qui ont connu le même sort. Selon Hauwa, personne n'écoute leurs histoires au Nigéria, mais aux États-Unis, les choses sont différentes. Les jeunes femmes expliquent avoir été reçues chaleureusement par les personnes qu'elles ont rencontrées, qui ont montré leur sympathie et ont loué leur courage.

Des femmes et des enfants marchent dans les rues de Maiduguri, au Nigéria.
PHOTOGRAPHIE DE Stéphanie Sinclair

Pour les deux jeunes femmes, le message est simple : de simples vêtements propres peuvent améliorer l'accueil d'une survivante dans une communauté. Le soutien éducatif est également important. Si les survivantes ont accès aux bancs des écoles « elles trouveront le moyen de se nourrir », dit Ya KaKa. Too Young to Wed finance l'éducation de Ya Kaka et de Hauwa. Les jeunes femmes espèrent pouvoir devenir avocates.

Mais pour le moment, le dernier enlèvement à Dapchi rappelle que la tâche est immense. De tels événements ne représentent qu'une partie de la guerre qui déchire le Nigéria et les pays limitrophes.

« De nombreuses personnes sont prises au piège, » rappelle Hauwa. « Certaines n'ont sortiront pas vivantes. »

Pendant leur séjour aux États-Unis, les jeunes femmes ont été qualifiées d'inspirations, de courageux exemples. Des mots qui mettent en exergue leur nouvelle forme de pouvoir sur la scène internationale.

« Entendre ces mots nous rend plus fortes, » dit Hauwa. « Cela nous encourage à parler. »

« Nous avons ce courage parce que nous croyons que le monde peut nous venir en aide » ajoute Ya Kaka.

 

Stephanie Sinclair a fondé l'association Too Young to Wed dans le but de défendre les droits des jeunes filles et de mettre fin aux mariages d'enfants. Elle a photographié Ya Kaka et Hauwa pendant leur voyage aux États-Unis.
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