Laurent Boyet est un homme affable, tout en retenue, qui abrite son sourire derrière une fine moustache. Pourtant, il y a quelques années, le même homme a pris la plume pour pousser, sur le papier, un cri de rage qui a envoyé balader des années d’enfer et, au-delà, permis de lever un coin du voile sur l’ampleur des violences sexuelles commises sur les enfants.

« Pendant trois jours, je n’ai pas arrêté d’écrire, raconte-t-il. C’était comme si je me vidais de tout ce que j’avais subi. J’en étais physiquement malade mais je continuais encore et encore à raconter. J’ai écrit ce livre d’une traite et il a été publié quasiment tel quel, à la virgule près, deux ans plus tard », se souvient-il.

Un secret vénéneux

Jusque-là, son histoire était entachée par le poids d’un secret vénéneux. Pendant des années, en effet, son frère aîné l’a violé sans que le petit garçon d’alors ose le dénoncer. Faute de comprendre tout à fait ce qui lui arrivait. Faute de pouvoir briser le piédestal sur lequel il avait installé son frère, « qui était mon héros ». Faute aussi de pouvoir briser le sceau du secret dans lequel l’aîné était parvenu à l’enfermer.

En grandissant, Laurent Boyet paie un lourd tribut à ce silence « qui m’a renvoyé de moi-même une image monstrueuse ». Il décroche, devient presque clochard. Il remonte néanmoins la pente jusqu’à devenir capitaine de police, marié, père de famille. Il lui faudra néanmoins trente-sept ans avant d’oser avouer, à sa femme, ce qui lui est arrivé. Une parole salvatrice. « Pour la première fois, quelqu’un m’aidait à porter ce fardeau qui m’avait si souvent fait mettre un genou à terre ». Elle lui donne aussi ce précieux conseil : écrire un livre.

Les mots ont porté loin

De là, il se jette à l’eau, plonge dans un bain de mots qui le sauveront. « Ce cri sur ce papier a complètement changé ma vie », explique-t-il. Les mots ont, en effet, porté loin, bien au-delà de sa propre histoire. Ils ont contribué à faire émerger la question des violences sexuelles faites aux enfants sur un plan politique.

En effet, Après la publication de son ouvrage, Laurent Boyet est reçu par le cabinet de la ministre des familles de l’époque, Laurence Rossignol, puis est entendu dans le cadre de l’élaboration du premier plan de lutte contre les violences faites aux enfants. Ensuite, pendant la campagne présidentielle, il est reçu par les principales équipes et rencontre alors Marlène Schiappa, « marcheuse » du candidat Macron. Elle le recontacte après l’élection et dépose, dans la foulée, la loi sur les violences sexistes et sexuelles qui prolonge notamment la période pendant laquelle une victime mineure peut porter plainte.

Aider les hommes victimes

Depuis, Laurent Boyet ne s’est plus jamais tu. « J’ai désormais une parole publique, admet-il. Je ne refuse jamais de m’exprimer quand on me le demande, car je sais à quel point la libération de la parole est salutaire. » Pourtant, les hommes victimes sont encore trop peu nombreux à briser le silence. « Ils ont des difficultés à s’exprimer notamment parce que les groupes de parole restent très majoritairement mixtes. Ils sont mis en présence de femmes, elles aussi victimes, qui ne peuvent pas s’empêcher de voir les hommes comme de potentiels bourreaux. Dans ces conditions, il est très difficile d’être pleinement entendu. » C’est pour eux, qu’il a donc créé une association d’entraide (1), pour qu’ils trouvent enfin un lieu où parler.

(1) « SurvivantS, masculin pluriel », contact : laurent.boyet@yahoo.fr