A peine un mois s'est écoulé depuis la prise de fonction de Jair Bolsonaro, le 1er janvier, et le voilà déjà lesté par des affaires familiales. En cause, son fils Flavio, 37 ans, député de l'Etat de Rio depuis 2003 et fraîchement élu sénateur, ainsi que son épouse Michelle. L'aîné du président est soupçonné de corruption et de liens avec une milice mafieuse de Rio de Janeiro.

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Les ennuis du "gamin", comme l'appelle son père, remontent à début décembre, deux mois après son élection au Sénat et huit semaines avant sa prise de fonction.

Fabricio Queiroz, l'ami de la famille

Dans le cadre d'une enquête sur plusieurs députés et attachés parlementaires de l'Etat de Rio, le Conseil de contrôle des activités financières (COAF) a mis au jour des mouvements d'argent "atypiques" sur le compte de Fabricio Queiroz, ancien chauffeur et garde du corps de Flavio Bolsonaro : entre janvier 2016 et janvier 2017, révèle le quotidien Estado de Sao Paulo, il a déposé et retiré de son compte en banque 1,2 million de réais (280 000 euros au taux de change actuel). Une somme incompatible avec son patrimoine et son activité professionnelle, estiment les enquêteurs. Le rapport évoque également un chèque de 24 000 R$ (5600 ¤) adressé par Queiroz à la future première dame Michelle Bolsonaro.

Cet ancien policier militaire est un ami de la famille, avec laquelle il partage des parties de pêche. Sa fille Nathalia a été pendant deux ans attachée parlementaire de l'aîné des fils Bolsonaro.

Quelques semaines plus tard, le journal Globo révèle à son tour l'existence, sur une période de cinq jours en juin et juillet 2017, de 48 dépôts d'un montant de 2000 réais chacun, opérés cette fois-ci sur un compte bancaire de Flavio Bolsonaro.

Emplois fictifs ?

Une observation plus fine de ces curieux virements montre que des employés du bureau parlementaire de Flavio Bolsonaro transféraient des montants parfois équivalents à 99% de leur salaire, complète un autre article de l'Estado de Sao Paulo. Cette manoeuvre ressemble fort à une pratique courante au Brésil : l'emploi d'assesseurs fictifs dont le salaire est en grande partie reversé aux élus, après avoir transité par un intermédiaire.

"Je suis un homme d'affaires. Je fais de l'argent, j'achète des voitures, je les revends", se justifie l'ex-policier militaire interrogé par la télévision SBT. Convoqué à deux reprises par la Justice, Fabricio Queiroz ne se rend pas aux rendez-vous, invoquant une hospitalisation pour le retrait d'une tumeur. Le 30 janvier, ses avocats annoncent qu'il donnera des explications sur sa situation financière par écrit.

L'enquête suspendue par le Tribunal suprême fédéral

L'enquête avait pourtant été suspendue par le Tribunal suprême fédéral le 17 janvier à la demande des avocats de Flavio Bolsonaro. De quoi penser que le futur sénateur espérait que l'affaire change d'attribution à la faveur de sa prise de fonction. En passant de la justice ordinaireau Tribunal suprême, Flavio Bolsonaro obtenait quasiment la garantie d'une belle lenteur judiciaire. Mais son père Jair Bolsonaro doit en partie sa victoire surprise à la dénonciation de la corruption qui gangrène le Brésil, et lui et ses fils ont à maintes reprises dénoncé la justice de privilégiés dont bénéficiaient les élus.

Alors Flavio Bolsonaro choisit, le 20 janvier, de s'exprimer sur la chaîne TV Record, détenue par un prêcheur évangéliste inconditionnel de son père. Les sommes incriminées correspondent à l'achat et la vente d'un appartement, assure-t-il. "Je n'ai rien à cacher", martèle-t-il, s'estimant victime de "persécution politique". Dans la foulée, le président Jair Bolsonaro déclare que son fils devrait "payer le prix" s'il s'avère coupable.

Quelques jours plus tard l'hebdomadaire Veja dévoile à son tour de nouveaux extraits de l'enquête du COAF sur des mouvements financiers atypiques, sur le compte de Flavio Bolsonaro, d'une valeur de 630 000 R$ (148 000 ¤) entre août 2017 et janvier 2018. Des sommes d'un montant incompatible avec les revenus connus de Flavio Bolsonaro, selon le Conseil de contrôle des activités financières. Et ce n'est probablement pas la dernière annonce vu le rythme auquel se succèdent les révélations.

Une milice liée à l'assassinat de Marielle Franco

D'autres nuages s'amoncellent par ailleurs au-dessus de la tête du futur sénateur. Après avoir longtemps piétiné, l'enquête sur le retentissant assassinat de la conseillère municipale Marielle Franco et de son chauffeur, le 14 mars 2018, se débloque. Le 22 janvier, la police arrête plusieurs membres d'une milice paramilitaire. L'élue du parti Socialisme et liberté (PSOL) avait participé en 2008 à une commission parlementaire qui avait osé s'attaquer à ces groupes armés. Créées par d'anciens policiers et soldats il y a une trentaine d'années pour ramener l'ordre dans les favelas en proie à la violence, les milices sont elles-mêmes devenues de véritables mafias. Selon les enquêteurs, l'activiste a été tuée parce qu'elle menaçait leurs intérêts dans des affaires d'usurpations foncières. Le meurtre aurait été perpétré par un escadron du "bureau du crime", milice de la favela Rio das Pedras.

Jair Bolsonaro, qui vient d'assouplir la loi sur le port d'armes et pour qui les droits de l'Homme sont "du fumier pour les vagabonds", n'a jamais caché être un partisan de la loi du Far West. Dès 2003, le député fédéral affirmait, lors d'un débat sur les milices au Parlement à Brasilia que "le crime d'extermination" (les exécutions extrajudiciaires) était "bienvenu", "tant que l'Etat n'aurait pas le courage d'adopter la peine de mort". Dans la lignée paternelle, en 2007, Flavio alors âgé de 25 ans, proposait la légalisation des milices et critiquait la création d'une commission d'enquête sur ces groupes mafieux.

Mais voilà que la famille Bolsonaro se trouve -indirectement- liées au meurtre de l'icône des droits humains au Brésil. Le 18 janvier, le site d'investigation The Intercept révélait que la police soupçonnait un ancien capitaine du Bataillon des Opérations spéciales de Police (BOPE), présumé chef du "Bureau du crime", d'être responsable de l'assassinat de la militante. Quatre jours plus tard, O Globo révélait son nom, Adriano Magalhães da Nóbrega, un homme expulsé de la police militaire en 2014 en raison de sa proximité avec la mafia des machines à sous. Lui et un autre ex-policier militaire, Ronald Paulo Alves Pereira, aujourd'hui soupçonnés d'être des sicaires du "Bureau du crime" ont reçu, il y a dix ans, une médaille à l'Assemblée de Rio sur la proposition de... Flavio Bolsonaro. Coïncidence ? L'épouse et la mère de Magalhães da Nóbrega, en fuite, ont aussi été employées par les bureaux du député de l'Assemblée de Rio.

A ce stade, le fils du président s'abrite derrière son ex-chauffeur: c'est sur sa recommandation que les deux femmes ont été recrutées. Le fusible Fabricio Queiroz suffira-t-il à protéger le président et son fils ?

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