"Ne pas vivre dans un océan de malheur" : comment l'avocat François Boulo porte la voix des "gilets jaunes"

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"Ne pas vivre dans un océan de malheur" : comment l'avocat François Boulo porte la voix des "gilets jaunes"

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François Boulo
François Boulo
© AFP - CHARLY TRIBALLEAU

Qui est François Boulo, le porte-parole des "gilets jaunes" de Rouen ? Cet avocat de 32 ans jouit d'une popularité croissante et appelle à la grève générale, avec un ton calme et didactique qui séduit aussi bien dans les médias que sur les réseaux sociaux.

Il a la voix posé, le discours calme, il est avocat, issu d'une famille de droite populaire, gaulliste. Il n'a rien d'un homme en colère. 

"Je ne veux pas vivre dans un océan de malheur", explique François Boulo, trentenaire et inscrit au barreau de Rouen, que l'on mettrait facilement dans le camp des "indignés" tels que Stéphane Hessel les concevait il y a quelques années avec son slogan "Indignez-vous". L'injonction d'Hessel date de 2010, Boulo s'insurge depuis 2018 en "gilet jaune".

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François Boulo est sur les ronds-points de la région de Rouen depuis le 17 novembre. "Je ne supporte pas les injustices. Je voudrais qu'on ait une vie meilleure pour demain".

Est-il de gauche ou de droite ? D'extrême-droite ou abstentionniste dépité ? "Au premier tour, je n'ai pas voté Macron, et je ne veux pas vous dire ce que j'ai voté au second tour", souligne-t-il en souriant et en précisant qu'aucun mouvement politique n’épouse complètement ses idées, après s'être intéressé aux idées d'intellectuels ou économistes tels Emmanuel Todd, Frédéric Lordon, Paul Jorion, des Économistes atterrés, (autant de références qui le placent, sur l'échiquier des idées, plutôt du coté de la gauche contestataire).

Il est donc passé de la tradition gaulliste de sa famille au centre, dit-il, "mais du coup, je suis au centre des 99% de Français. Et désormais je sais que des solutions existent pour changer la politique de notre pays".

Porte-parole ou représentant ? 

Le flegme de François Boulo fait son succès dans les médias et provoque des éloges sur les réseaux sociaux. Sa page Facebook compte plus de 30 000 abonnés. Comment son nom a-t-il pu s'imposer dans un mouvement qui ne veut pas de porte-parole ?

"Tout le monde s’est trompé là-dessus", explique-t-il, "Les gens veulent juste ne pas être trahis, ou que leur mouvement soit accaparé. Je ne me suis pas exprimé publiquement tant que mes collègues "gilets jaunes" ne m’ont pas demandé de le faire. Et puis quand je parle, les gens voient que je suis sur le terrain depuis le 17 novembre. J’exprime le mieux que je peux le message ; je reste calme et développe un discours argumenté, précis et clair".

Avec son bagou d'avocat, ses récentes études en autodidacte, il essaie donc de convaincre avec la raison, et de dénoncer, calmement, "la politique injuste menée depuis 40 ans". "C’est pour cela que les gens se reconnaissent dans le discours que je porte".

Bloquer l'économie par la grève 

Le voilà donc gilet jaune/robe noire, auteur d'un appel à la grève générale, mandaté par les "gilets jaunes" de Rouen pour parler en leur nom dans les médias, mais "pas pour négocier" car, prolonge-t-il, _"__tant que le pouvoir n’aura pas de volonté de dialoguer et d’entendre les revendications, il n’est pas utile d’avoir un représentant national"._

"L’idée de la grève était présente dès les premiers jours des rassemblements à Rouen ; ce serait le seul moyen de remporter le rapport de force. Le grand débat national n’est qu’un enfumage ; les revendications portées ont été écartées, comme le RIC, et la remise en cause des dispositifs fiscaux trop favorables aux plus riches. Il faut donc bloquer l’économie par le moyen légal, c'est à dire la grève. Si on avait un pouvoir exécutif démocrate, dans une situation avec 1 000 blessés chez les policiers, 2 000 chez les manifestations, on s’attendrait à des décisions de changement de cap, et un retour aux urnes. Donc le seul moyen de le faire céder et lui faire entendre le peuple, c’est le blocage de l’économie, via la seule voie légale : la grève."

"Je savais que Macron mènerait le pays dans la rue"

François Boulo explique que "le mouvement rassemble très largement, ce ne sont pas que les modestes qui survivent. Vous avez toute la classe moyenne, qui ne comprend pas pourquoi elle supporte tout le poids de l’impôt alors que les services publics essentiels sont en train de s’effondrer. Regardez les suicides dans les hôpitaux et la police, voyez la justice qui se clochardise".

François Boulo, qui n'avait donc pas voté Macron au premier tour de la présidentielle, pensait à l'époque que sa politique "mènerait le pays dans la rue dans les six mois". "Je me suis trompé d'un an. Il n’y a pas plus d’adhésion à la politique menée. Le pouvoir ne tient que par la force et la répression, policière ou judiciaire."

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La réponse du gouvernement par une loi anti casseurs ? Pour François Boulo, "c'est une loi fasciste et très liberticide. Les révélations du Canard Enchaîné sur les gardes à vue et aujourd’hui la tentative de perquisition dans les locaux de Mediapart, c'est hallucinant. _Le pouvoir devient autoritaire pour imposer une politique rejetée par les Français__."_

"Il faut agréger toutes les énergies"

Alors que la CGT appelle à une journée de grève ce mardi, François Boulo craint-il une récupération ? "Non, cela ne brouille pas le message ; le mouvement des 'gilets jaunes' fédère le peuple. Il faut agréger toutes les énergies. Pas question d’être récupéré par qui que ce soit. Mais il s‘agit de venir en renfort."

Pose-t-il des limites politiques au mouvement des "gilets jaunes" ? _"Non ç_a _doit rassembler tous les Français qui contestent la politique du gouvernement. Peu importent les étiquettes, pas de limites".  _L'important pour lui est donc de faire plier le pouvoir exécutif, obtenir une remise en cause de la fiscalité, le retour de l'ISF, bien sûr, avec exonération pour ceux qui investiront dans les PME, et le référendum d'initiative populaire.

Faut-il que les "gilets jaunes" entrent dans une bataille électorale pour les européennes ? "Non, certainement pas" , répond-il du tac au tac, "ce serait une erreur. Le Parlement européen n’a aucun pouvoir ; le mouvement a pour objectif des avancées concrètes et immédiates. Les élections c’est un piège, car au final ça ne servirait qu'à renforcer la majorité contre les partis minoritaires".

Ce mardi après-midi François Boulo sera à Rouen pour manifester.

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