VIDÉO. Le jour où le maire d'un village "oublié" des Alpes-Maritimes a décidé de se mettre en grève

Jean-Marc Fonseca, maire du village de Rigaud, sur la route de Valberg, a mené une action symbolique pour dénoncer les difficultés vécues par les communes rurales : "Faire avec peu de moyens la même chose que les grandes !" . Il réclame un statut à part pour les petites communes rurales, prises en étau entre les exigences des administrations et les requêtes de leurs administrés.

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Aurore Malval Publié le 06/02/2019 à 08:30, mis à jour le 06/02/2019 à 13:12
Jean-Marc Fonseca a pris ses fonctions de maire en avril 2018, élu avec 6 voix sur 11, après la démission de Jean-Paul Crulli (LR), maire depuis 1983 et poursuivi par la justice pour prise illégale d’intérêts. Photo Aurore Malval

La route grimpe en lacets sur 2 kilomètres jusqu’à la place du village. En dessous, c’est "le Cians, 2mm d’or de bas en haut ! C’est pas du goudron, hein, pour monter à Valberg", dit Jean-Luc Laugier, et le premier adjoint au maire de Rigaud écarte grand les bras.

Il débroussaille, "puisqu’il ne neige pas". "Ici, c’est… du monde" : une branche a craqué au milieu de la phrase, on ne sait pas s’il a voulu dire « le bout » ou « la fin », les deux fonctionnent à Rigaud : ce mardi matin, le maire s’est mis en grève.

"Bien sûr qu’on approuve. Parce que le peu qu’on demande, on ne l’a pas. L’argent, il passe au dessus ou en dessous", grimace Jérémie. Petites lunettes, crâne rasé, 53 ans, il est cantonnier. Le métier a quasi disparu, son emploi aussi : "Dans deux mois et demi, j’ai plus de boulot." Il répète : "ça se termine le 1er avril, parlez d’un poisson". Il n’y a plus assez d’argent dans les caisses de la mairie pour le payer.

Avant, c’était un contrat aidé, ils ont disparu l’été dernier ; la réforme a fait mal aux petites communes : "Vous savez, je connais des villages qui ont même supprimé la secrétaire de mairie", explique Jean-Marc Fonseca en bourrant sa pipe.

La veille, le maire s’est assis devant son ordinateur, il a connecté le téléphone portable qui lui sert de modem quand l’ADSL est trop lent, là-haut sur le plateau de Dina. Facebook. « 

"Créer une publication". Il tape "Basta". Pourquoi cette "grève" symbolique ? "Une accumulation de choses qui sont devenues insupportables."

La goutte d’eau ? Il hausse les sourcils : "On nous demande d’assurer le Grand Débat et peut-être même le dépouillement d’un référendum. Avec quels moyens ? Comment l’animer dans des communes où les habitants ne vivent plus?"

Rigaud compte quelque 200 habitants selon l’Insee, le maire annonce 127 à l’année. Douze maisons sont à vendre au village.

Bandes antidérapantes et car gratuit

 

À 14 h 30, le parking de la place est vide, Jean-Luc jure que le soir "tout est plein, ici c’est un village dortoir".

L’épouse du cantonnier travaille à Nice, à l’hôpital Lenval. Le matin, elle part à 5 heures.

Lui, redoute le chômage : "Quand on vit ici, chercher du travail tous les jours ça coûte très cher."

Un peu plus tard, le maire acquiesce : "Les “gilets jaunes”, c’est parti de la vallée du Var, parce qu’ici le prix de l’essence, ça compte."

Le cahier de doléances est posé sur la banque à l’entrée de la mairie. Quatre personnes ont laissé un message. L’une d’elles demande que le poulailler du voisin soit nettoyé, l’autre réclame des bandes antidérapantes dans le village parce qu’on "tombe quand il pleut". La troisième suggère la gratuité du car scolaire qui amène les 18 enfants de la commune à Touët-sur-Var pour l’école et le collège, la quatrième parle revenu minimum et désert médical. Pour aller chez le médecin, comme pour faire les courses, le plus près c’est Puget-Théniers. "Les pompiers mettent 25 minutes", dit l’édile.

En face du bâtiment de la mairie, qui accueille aussi la bibliothèque et l’agence postale, le bar-restaurant "le Rigaudois" est fermé. Ceux qui l’ont connu ouvert l’appellent "l’auberge".

Le maire soupire : "Les repreneurs arrivent tout feu tout flamme en mai, en novembre, ils se suicident."

Il réfléchit à une gestion en coopérative dans laquelle la mairie serait partie prenante : "Le problème c’est que les charges pour les gens sont les mêmes que s’ils avaient un commerce à Antibes."

Le foyer, qui hébergeait parfois les randonneurs, est fermé faute d’issues de secours aux normes; un pont menace de s’écrouler; "notre réseau secondaire de distribution électrique est dans un état de délabrement honteux, par contre Enedis se bouge pour installer Linky alors que la commune refuse !"

Jean-Marc Fonseca s’interrompt : "Toutes les choses que je dis, je les ai entendues de la part de collègues. Mais la pression est telle : pendant des années, il ne fallait rien dire. La menace c’est “ sinon ils ne montent plus ”."

Dans ce "ils", le maire jette pêle-mêle les "monopoles" des télécoms et de la distribution d’énergie, les collectivités et leurs services techniques. Adossé au mur, un vieux carton inaugural annonce l’arrivée de l’ADSL à Rigaud le 16 octobre 2009. Dix ans plus tard, ça rame encore.

Jean-Marc Fonseca rit jaune quand il entend "dématérialisation de l’administration". Il dit que le village a récemment passé 12 jours sans Internet. Aujourd’hui, c’est la fibre qu’on promet. Un employé missionné par le Sictiam - le syndicat mixte chargé d’informatiser le 06 - est venu « prendre des informations ».

Le maire s’étrangle : "Sans même passer par la mairie. Et pour tous les travaux de la route, on nous met toujours devant le fait accompli."

"On nous demande la même chose qu’en bas"

Rigaud compte 127 habitants à l’année selon le maire de la commune. Photo Aurore Malval.

Fonseca espère encore sauver la gestion de l’eau en régie municipale "au moins jusqu’en 2026". "Sinon quoi ? Je ne serais plus qu’un animateur socioculturel !"

Pour "survivre", il réclame un "statut à part pour les communes rurales de montagne. Le problème c’est qu’on nous demande la même chose qu’en bas".
Il montre le fronton de la mairie: "Regardez". On lève les yeux. "Les drapeaux." À côté de celui de la France et du Comté de Nice, il manque celui de l’Europe. Lorsque la sous-préfète l’a remarqué, elle a froncé les sourcils. "Elle m’a dit “ vous n’avez pas mis le drapeau européen Monsieur le Maire ” j’ai répondu, “ non je ne l’ai pas mis ”."

Celui qui est entré en politique "sans étiquette" mais "attaché à la souveraineté municipale" ne l’a pas hissé depuis.

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