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"Je n'ai jamais oublié ce que j'ai ressenti" : Diaryatou Bah, victime d'excision devenue militante

Diaryatou Bah, de victime à militante
Diaryatou Bah, présidente d'Excision, parlons-en ! et militante féministe, a fait de son expérience un combat. (Paris, février 2019.) Laura Andrieu

Diaryatou Bah a été excisée à l’âge de 8 ans. Animatrice dans un centre d’insertion sociale, présidente d’Excision, parlons-en ! et militante féministe, elle a fait de son expérience un combat. Pour éradiquer une pratique qu’elle trouve profondément injuste.

"Je n'ai jamais oublié ce jour-là, ce que j'ai ressenti, les cris de douleur que j'ai poussés." Diaryatou Bah avait 8 ans quand elle a été excisée dans son pays natal, la Guinée. Aujourd'hui, la jeune femme a 33 ans. En cette Journée internationale de tolérance zéro à l'égard des mutilations sexuelles féminines, elle fait partie des organisatrices d'un événement spécial à la Maison de crowdfunding, à Paris. Expositions, prises de paroles et débats sont prévus toute la journée autour des mutilations sexuelles.

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Constamment sollicitée, elle se pose quelques minutes pour nous recevoir. Souriante, calme, la voix assurée, elle se plonge dans ses souvenirs qu'elle a déjà contés plusieurs fois. Diaryatou est désormais à l'aise avec son histoire. Issue d'une famille nombreuse - son père a 4 femmes et 32 enfants -, elle est élevée par sa grand-mère jusqu'à ses 10 ans, dans un petit village guinéen. "J'ai toujours vu les femmes travailler plus que les hommes, se remémore-t-elle. Ma grand-mère m'a appris à être forte et courageuse."

"On m'arrachait une partie de moi-même"

Un matin, quatre femmes viennent la chercher, deux lui tiennent les pieds et les deux autres les mains. En échange de sacs de riz, elles s'occuperont de son excision. "Elles m'ont coupée avec un couteau qui avait déjà servi. J'ai eu l'impression qu'on m'arrachait une partie de moi-même." Pourtant, à ce moment-là, elle est "contente" parce qu'elle est "comme toutes les petites filles".

Après son excision, les épreuves continuent. Mariée de force à 13 ans à un homme de 45 ans, elle quitte la Guinée pour suivre son mari. Au début, elle croit "vivre un rêve irréel". S'ensuivent les insultes, les coups, les viols. "J'ai vécu l'enfermement, la clandestinité, la violence. J'avais une tête d'enfant de 14 ans et un corps de femme." Elle perdra trois enfants. Lors de sa deuxième fausse couche, elle est à neuf mois de grossesse. Ces événements douloureux, elle les met sur le compte de la violence de son conjoint, mais aussi de son excision.

Elle quitte son mari le 20 janvier 2004. "C'est difficile d'avoir le déclic, surtout que ma mère me disait qu'il fallait que je supporte tout ça, que j'irais au Paradis." Après un temps à vivre dans la rue, elle s'en sort notamment grâce à l'aide d'associations. Elle a dû détailler son parcours de nombreuses fois avant d'obtenir un titre de séjour en 2005, puis la nationalité française en 2014.

C'est à l'âge de 20 ans qu'elle prend pleinement conscience de son excision, après la publication de son autobiographie. "Les gens venaient me voir en me disant que c'était horrible. J'en ai parlé à des médecins, l'une d'entre elles m'a dit qu'en France peu de femmes étaient excisées. J'étais choquée. Je pensais que tout le monde était comme moi !" Elle entreprend des recherches sur le sujet, réalise qu'elle a subi une mutilation, se demande si c'est lié à la religion avant de comprendre qu'il s'agit d'une coutume : "J'étais révoltée. Pourquoi on continue de faire ça ? Quelle injustice !"

En vidéo, des victimes d'excision racontent leurs parcours en France

Le combat, "c'est ce qui me nourrit tous les jours"

Comme Diaryatou avant sa prise de conscience, de nombreuses femmes ne réalisent pas l'horreur de cette expérience. Ainsi que l'explique Isabelle Gillette-Faye, directrice de la Fédération GAMS et sociologue : "Parfois, des femmes ou des jeunes filles viennent à l'hôpital et ne savent même pas qu'elles sont excisées. Quand les médecins leur expliquent, elles sont souvent en colère. Mais il faut ensuite les aider à comprendre que c'est la pression sociale qui pousse leurs parents à faire ça".

Diaryatou est passée par cette phase d'incompréhension. Elle n'en veut pas à sa famille, avec qui elle est toujours en contact. Elle n'a d'ailleurs plus de "haine". Sinon, selon elle, le "message ne passe pas". Depuis, elle s'est engagée elle aussi pour lutter contre ce fléau. "Je voulais être perçue comme une femme qui a su relever la tête." Depuis presque un an, elle est à la tête de l'association Excision, parlons-en !. Elle partage son temps entre son association, son travail d'animatrice, et sa fille de 3 ans, Aïcha. C'est aussi pour elle qu'elle mène ce combat, pour qu'elle ne subisse pas la même expérience. "Je vais même l'emmener avec moi aux toilettes quand je rentrerai en Guinée", sourit-elle. Surtout, elle y puise sa "motivation" : "C'est ce qui me nourrit tous les jours".

En cette journée spéciale, elle relance d'ailleurs la campagne Alerte Excision pour sensibiliser les adolescentes françaises. Sur le site dédié, les jeunes filles pourront trouver une vidéo pédagogique, des informations sur les mutilations sexuelles et un espace de discussion pour échanger avec des professionnelles. Des interventions dans les écoles sont également prévues, pour alerter les adolescentes des risques si elles voyagent dans le pays d'origine de leurs parents. Diaryatou veut leur donner le droit de choisir. "Pour nous, le mot choix n'existait même pas."

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