[L'industrie c'est fou] L'IA de Huawei termine une symphonie inachevée de Schubert

C'est un pari audacieux qu'a pris Huawei, en confiant à l'intelligence artificielle le soin de terminer la symphonie inachevée de Schubert (la numéro 8 en si mineur). Le résultat était présenté au public pour une première mondiale lundi 4 février à Londres. Outre l'intérêt esthétique de la symphonie, l'opération offre une réflexion stimulante sur les possibilités de collaboration homme machines dans la création. Et pose une question éthique qui renvoie aux limites de notre humanité.

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[L'industrie c'est fou] L'IA de Huawei termine une symphonie inachevée de Schubert
La 8e symphonie de Schubert parfois connue sous le nom de l'inachevée ne l'est plus.

C'est sûrement l'oeuvre musicale la plus longue à composer. Près de deux siècles - 197 années exactement - auront été nécessaires entre les premières notes écrites sur du papier et éclairées à la bougie par Schubert et la représentation londonienne lundi 4 février de la 8e symphonie en si mineur du même Schubert. Les mélomanes et les amateurs de mystères artistiques connaissent ce morceau qui fait partie de ces oeuvres d'art jamais terminées par leurs auteurs. Depuis sa découverte après la mort de Schubert, des essais d'achèvement de la symphonie ont déjà été tentés, mais c'est la première fois que les moyens de l'intelligence artificielle ont été mobilisés pour cela.

Dans ta Google ?

Et c'est le géant de la tech chinois Huawei qui s'en est chargé. Comme si le message subliminal de cette opération était : "si l'IA de Google peut gagner au jeu de GO, celle de Huawei peut bien achever le morceau d'un géant de la musique classique européenne". Comme par hasard, la première mondiale avait lieu à Londres... où se trouve le futur siège social de 100 000 mètres carrés de Google et où se trouvent certaines des équipes travaillant sur l'IA de Google.

Et Huawei  n'avait pas lésiné sur les moyens pour la première représentation mondiale de ce morceau composé par un génie de la musique et terminé par un compositeur assisté d'un smartphone. En effet, la représentation a eu lieu dans le Cadogan Hall, une salle de 900 places en plein Chelsea, où se produit régulièrement le Royal Philarmonic Orchestra. Pour l'occasion, c'est l'English session orchestra qui a interprété l'intégralité de la symphonie, les deux premiers mouvements signés de Schubert, le troisième (pour lequel on possède quelques indications du musicien allemand) et un quatrième complètement nouveau. 

Une symbiose homme machine 

Malgré cette démonstration de force, les responsables de Huawei présents la jouaient plutôt profil bas, expliquant qu'il y avait beaucoup à attendre de la collaboration de l'intelligence artificielle et de l'Homme. A l'image du dirigeant de Huawei Europe de l'ouest (consumer group), Walter Ji qui a conclu sa présentation d'un "L'intelligence artificielle peut faire davantage pour l'Humanité. Ce n'est que le début". Une déclaration très à l'image du discours de la marque chinoise. 

 

En conséquence,  il est très difficile de savoir qui de l'homme ou de l'algorithme avait la main pour cet essai, l'humanité étant représentée en l'espèce par la personne de Lucas Cantor. Il s'agit d'un musicien connu aux Etats-Unis, où il a composé la musique de blockbusters, de séries ou encore l'habillage sonore d'une chaîne de télévision ... On lui doit aussi la musique d'ambiance  pour un magasin new yorkais de Kenzo. De quoi le discréditer pour les plus sectaires du monde de la musique classique, car, oui, oui, il paraît qu'il y en a. 

Un musicien hors sérail

Cette opération qui aurait pris six mois selon les porte-paroles de Huawei - l'idée de terminer la symphonie inachevée datant de l'été dernier - a consisté à utiliser l'intelligence artificielle du dernier smartphone haut de gamme maison : le Mate 20 Pro. C'est avec cet appareil que le musicien a travaillé. Préalablement, l'IA de Huawei a été nourrie : on lui a appris ce qu'était une symphonie, on lui a fait écouter tout ce que Schubert avait écrit avant de laisser tomber la composition de sa 8e, mais aussi les morceaux qu'il aimait, pour donner à la machine une idée de l'esthétique schubertienne. L'IA a alors proposé des extraits que le compositeur, Lucas Cantor a ou non retenu selon ce qu'il imaginait être ou non imaginable pour du Schubert. Il renvoyait alors les extraits aux ingénieurs et informaticiens de Huawei qui lui ont fait de nouvelles propositions. Il a ensuite indiqué qu'il avait aménagé de façon cohérente les différentes phases pour composer les deux mouvements. Il s'est aussi et surtout chargé de l'orchestration. 

Car une symphonie, c'est certes des airs, mais ensuite le travail consiste à l'écriture des partitions des différentes parties de l'orchestre : le violon et les autres cordes, les cuivres, les partitions. Selon l'orchestration retenue, l'ambiance rendue peut être très différente. A l'image du travail d'un tireur sur papier argentique en photographie qui insistera plus ou moins sur le noir ou les contrastes. Il y a donc un vrai travail d'exécution au-delà de l'aide de l'IA. 

Question éthique

C'est sûrement la raison pour laquelle l'oeuvre entendue avait des accents qui évoquaient la musique de films spectaculaires. Mais, n'étant pas un mélomane aguerri, ne boudons pas le plaisir d'avoir entendu un morceau plutôt agréable, sans être pour autant certains qu'il s'agit d'une oeuvre de Schubert, tel que l'aurait voulue le compositeur autrichien.

Alors que les questions éthiques s'invitent de plus en plus dans les utilisations d'intelligence artificielle, on peut s'interroger sur la nécessité de terminer une oeuvre laissé inachevé par son auteur, quelles qu'en soient les raisons. Rectifier le travail d'un artiste - ce qu'ont déjà fait en l'occurrence de précédents musiciens sans l'aide de l'IA - ne vient-il pas remettre en cause la liberté de chacun de nous ? Qu'en sera-t-il de nos vies le jour où une IA pourra venir décider de terminer nos inachèvements plusieurs siècles après notre mort ?  

Christophe Bys  envoyé spécial à Londres

 

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