«Pas de noirs, pas de jaunes et pas d’arabes» : deux agents immobiliers coupables de discrimination raciale

Dans l’Essonne, le père et le fils étaient jugés ce mercredi pour avoir refusé de louer des biens à des personnes d’origine étrangère. Ils ont écopé de 2 et 4 mois de prison avec sursis.

 Evry, ce mercredi. Comme trois autres personnes, Arnold s’est constitué partie civile dans ce procès. Il soupçonnait l’un des agents immobiliers d’avoir refusé de lui louer un bien en raison de sa couleur de peau. Des faits pour lesquels l’agent a été relaxé.
Evry, ce mercredi. Comme trois autres personnes, Arnold s’est constitué partie civile dans ce procès. Il soupçonnait l’un des agents immobiliers d’avoir refusé de lui louer un bien en raison de sa couleur de peau. Des faits pour lesquels l’agent a été relaxé. LP/PAULINE DARVEY

    « Nous, citoyens français, qu'est-ce qu'on a fait pour mériter d'être relégués au second rang à cause de notre couleur de peau ? » Sur le banc des parties civiles, ce mercredi, Aissata interpelle d'une voix tremblante les deux prévenus. A la barre, Guy, le père de 71 ans et son fils, David, âgé de 50 ans, lui tournent le dos, le regard dans le vide. « J'aimerais comprendre pourquoi ils ont fait des catégories », implore encore la victime.

    Faire des catégories raciales pour refuser de louer des biens à des personnes d'origine étrangère, ce sont les faits qui sont reprochés à David, le gérant d'une agence immobilière de Palaiseau et son père, désormais retraité. Ils sont respectivement condamnés à 2 et 4 mois de prison avec sursis pour quatre dossiers. Ils devront par ailleurs payer 17 000 euros de dommages et intérêts aux différentes parties civiles. Ils ont été relaxés pour trois autres dossiers.

    « Pas de noirs, pas de jaunes et pas d'arabes »

    Une affaire qui remonte à fin 2005 - début 2006. Comme Aissata, trois autres personnes se sont constituées partie civile. Deux autres victimes ont pu être identifiées. Fin 2005, Aissata cherche à louer un F3 à Palaiseau. Son dossier est accepté. Mais quand elle se rend à l'agence pour signer le bail, on lui indique que ce ne sera finalement plus possible. « La dame avait l'air très gênée, se souvient la plaignante. Je lui ai dit : j'espère que vous ne faites pas de discrimination. »

    Les images de la caméra cachée avaient été diffusées sur France 3./Capture d’écran
    Les images de la caméra cachée avaient été diffusées sur France 3./Capture d’écran LP/PAULINE DARVEY

    Mais Aissata n'a aucune preuve. Arnold, lui, ne se doutait de rien quand on lui a dit que la maison à Villebon qu'il voulait louer était finalement toujours occupée par le locataire. « Je me suis dit que ce n'était pas de chance… »

    C'est l'une des salariées de l'agence qui fera finalement éclater l'affaire. Embauchée en CDD en novembre 2005 après une longue période de chômage, Patricia affirme qu'elle a reçu dès son premier jour reçu des consignes discriminatoires de la part de Guy. « Pas de noirs, pas de jaunes et pas d'arabes », lui aurait ordonné le patron.

    Un testing

    Rapidement, la chargée de clientèle juge cette situation intenable. « Elle avait d'abord contacté le défenseur des droits qui lui avait conseillé de nous contacter pour faire un testing, rappelle Samuel Thomas, vice-président de la Maison des potes qui avait déposé plainte en tant que vice-président de SOS Racisme en février 2006.

    Le militant lui propose alors retourner voir son patron équipée d'une caméra cachée et de lui demander de réitérer ses ordres discriminatoires. Les images, tournées le 12 janvier 2006, sont diffusées quelques semaines plus tard sur France 3.

    « Est-ce que vous reconnaissez ces ordres ? », interroge Samuel Thomas. « Non », réponds sèchement le prévenu, avant que son fils ne vienne à sa rescousse. « C'est une vidéo faite à l'insu de mon père, entre deux portes, alors qu'il devait partir en rendez-vous », s'offusque-t-il.

    Appartement plus disponible

    Dans le même temps, en février 2006, un couple dépose également une plainte par l'intermédiaire de la Licra. En septembre 2005, Issa, ingénieur et sa femme Sylvie visitent un appartement. « On leur dit d'abord que c'est l'assurance qui pose problème, précise leur avocate Caroline Elkouby-Salomon. Puis on leur dit que finalement le propriétaire va louer le bien à son neveu. »

    Pourtant l'annonce est encore en ligne et lorsqu'un couple d'amis à eux appelle, le bien est étrangement disponible. Et le neveu n'a en réalité jamais existé… « En fait, on a favorisé un locataire qui louait déjà un appartement dans notre agence », justifie le fils.

    8 mois de prison avec sursis requis

    Tout au long de l'audience, les deux prévenus nient les faits et tentent d'expliquer. Aissata ? « A priori, Madame avait un revenu de 1 000 €, indique-t-il au tribunal. Est-ce qu'on peut raisonnablement louer un appartement à 800 euros à quelqu'un qui gagne cette somme ? »

    Pour la procureure, Camille Cosquer aucun doute : « Le seul élément qui permet de comprendre pourquoi on a rejeté ces différents dossiers, c'est la couleur de peau de ces personnes. Rien d'autre. » « Un procès essentiel » et « trop rare », pour ce type de faits, selon la magistrate, qui avait requis 8 mois de prison avec sursis.