À la barre

Affaire Baupin : «Les filles après nous sauront qu’elles ne sont pas obligées de subir ça»

L'ancienne patronne des écolos est venue témoigner et soutenir les femmes qui accusent Denis Baupin de violences sexuelles lors de leur procès en diffamation au TGI de Paris.
par Rachid Laïreche et Anaïs Moran, photo Marc Chaumeil pour Libération
publié le 7 février 2019 à 13h03

Elle avait promis de témoigner à la barre en soutien pour Sandrine Rousseau : «Je m'y étais engagée auprès d'elle, je lui ai dit que si elle portait plainte, je dirais tout ce que je sais à la justice en tant qu'ancienne secrétaire nationale, mais aussi en tant qu'individu victime des agissements de Denis Baupin.» Jeudi matin, Cécile Duflot, ex-ministre du Logement, actuelle présidente d'Oxfam, est la première à se présenter devant la 17echambre du tribunal de grande instance (TGI) de Paris, où se déroule depuis lundi le procès en diffamation de l'affaire Baupin. Après l'avoir raconté aux policiers, elle raconte ce congrès mondial des Verts à São Paulo et ce soir de mai 2008. Denis Baupin qui lui demande par SMS son numéro de chambre d'hôtel «car il doit [la] voir», qui débarque devant sa porte quelques instants plus tard, qui lui caresse la nuque en lui disant : «Je suis sûr que tu en as autant envie que moi, laisse-toi faire.» Puis elle qui parvient à le repousser, à lui donner un coup de pied dans le tibia, avant de s'enfermer dans sa chambre.

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«Je voulais me taire pour l’intérêt général»

La voix de Cécile Duflot tremble. A l'époque des faits, elle a un bébé de deux mois qu'elle a laissé en France pour le congrès. «Lorsque j'ai vu son regard en ouvrant la porte, j'ai paniqué instantanément. J'étais d'une vulnérabilité totale, je ne sais même pas comment j'ai réussi à refermer la porte de ma chambre», relate Cécile Duflot. Un épisode que la secrétaire nationale des Verts de l'époque refoulera pendant des années, sans jamais en parler au sein de son parti. «Je me suis menti à moi-même. C'est une agression sexuelle, simplement moi j'avais nié, dit-elle aujourd'hui. Jamais ça ne m'avait traversé l'esprit que cet évènement pouvait relever d'une plainte. J'étais une femme solide, très solide, avec une grosse capacité à encaisser. A cette époque, il y avait une différence entre la réalité et la manière dont j'avais vécu ces faits.»

En 2016, lorsque les journalistes de Mediapart et de France Inter qui enquêtent sur le comportement de Denis Baupin la sollicitent, elle refuse de raconter l'épisode : «Je me prépare à être candidate à la présidentielle, c'est bientôt les primaires, je ne veux pas leur parler. J'ai un grand sens du collectif, je pensais au parti, je voulais me taire pour l'intérêt général.» Puis, très émue : «Je regrette de ne pas m'être engagée, je m'en veux beaucoup. C'est une abdication en rase campagne et je n'en avais pas conscience. Aujourd'hui, je remercie sincèrement les journalistes. Sans cette enquête, Denis Baupin aurait continué. Car dans notre parti, sous couvert de comportement libertaire, de parité et tout ça, nous étions finalement très complaisants avec la violence [sexuelle].» Elle n'a aucun doute sur le fait que les femmes qui accusent Denis Baupin, et qui se retrouvent aujourd'hui sur le banc des prévenus, disent la vérité.

«Soulagée»

Et malgré tout ce que ce procès réveille et charrie pour sa famille politique, Cécile Duflot juge que cela vaut le coup : «Maintenant que c'est dit, les filles après nous, non seulement elles auront des responsabilités [politiques] mais, en plus, elles sauront qu'elles ne sont pas obligées de subir ça.» Me Emmanuel Pierrat, avocat de Denis Baupin, interroge Cécile Duflot sur les ramifications politiques au sein des Verts puis sa proximité avec Emmanuelle Cosse. Compagne de Denis Baupin, elle était entrée au gouvernement en 2016, deux ans après le départ de Cécile Duflot et de Pascal Canfin qui contestaient la ligne politique de Manuel Valls, nouveau Premier ministre. Duflot et Cosse, c'était «une immense amitié», qui s'est terminée en 2016. Ce jeudi après-midi, c'est Emmanuelle Cosse qui sera à la barre, pour prendre la défense de son compagnon.

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Après son témoignage, Cécile Duflot récupère sa pièce d'identité. Elle quitte la salle. Elle marche la tête baissée. Certains de ses proches se lèvent pour la suivre. Dans le hall, elle craque. L'ancienne ministre du Logement tombe dans les bras de Elen Debost, l'une des six femmes aujourd'hui accusées de diffamation par Denis Baupin, puis de Marine Tondelier et Julien Bayou. Ils se regardent. Aucun mot. Des regards seulement. Cécile Duflot nous glisse : «C'était dur, j'angoissais depuis des jours mais ça fait du bien, je me sens beaucoup mieux. Aujourd'hui, je suis une femme soulagée.»

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