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Interview

Aide humanitaire au Venezuela : «Quoi qu’il décide, le régime Maduro perd la face»

Eric Farnsworth, vice-président du Conseil des Amériques, revient sur le conflit politique autour de l'aide humanitaire au Venezuela.
par Frédéric Autran
publié le 7 février 2019 à 15h10

Ancien diplomate et conseiller à la Maison Blanche pendant la présidence Clinton, Eric Farnsworth est vice-président du Conseil des Amériques (AS/COA), un think tank libéral basé à New York. Il analyse le bras de fer engagé par l'opposant Juan Guaidó sur l'entrée de l'aide humanitaire internationale au Venezuela.

Le président autoproclamé, Juan Guaidó, semble décidé à défier Nicolás Maduro et l’armée sur la question de l’aide humanitaire. Que pensez-vous de cette stratégie ?

Je crois que sa préoccupation est de fournir une assistance humanitaire au peuple vénézuélien, qui souffre, et non pas de lancer un défi aux forces de sécurité de Maduro. Mais comme Guaidó ne dispose d’aucun contrôle sur les forces de l’ordre, quelles qu’elles soient, sa seule option est de faire entrer de l’aide depuis l’extérieur, ce qui implique que l’armée laisse faire. Cela étant, insister sur le fait que Maduro doit ouvrir la frontière du Venezuela pour laisser entrer l’aide humanitaire internationale est une manière claire de défier politiquement le régime. Cela démolit la rhétorique chaviste, qui consiste à marteler que le Venezuela va bien, et cela force le régime à choisir entre rejeter l’aide ou la laisser entrer, sous la pression de Guaidó. Quoi qu’il décide, le régime Maduro perd la face. La livraison d’aide humanitaire étrangère représenterait une importante victoire politique pour Guaidó mais, plus important encore, elle offrirait une aide à une population qui en a désespérément besoin.

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Plusieurs pays, dont les Etats-Unis et le Canada, ainsi que l’Union européenne, ont annoncé un renforcement de leur aide humanitaire vers le Venezuela. Quels sont les obstacles à surmonter pour qu’elle puisse parvenir à ceux qui ont en besoin ?

Les obstacles sont nombreux : logistique, distribution, corruption, sécurité. C’est une tâche monumentale, compte tenu de la taille, de la diversité géographique du Venezuela et de l’insécurité qui frappe une grande partie du pays, sans oublier bien entendu la résistance du régime. Par ailleurs, il est essentiel que l’assistance humanitaire soit remise directement à la population, sans passer par le régime Maduro, pour que Maduro et ses partisans ne puissent pas voler ou détourner l’aide, ou s’attribuer le mérite de sa distribution. Idéalement, il faudrait que le régime soit totalement écarté du processus, ce qu’il n’acceptera jamais, évidemment. En attendant, la population vénézuélienne continue de souffrir.

Quel rôle peuvent jouer l’ONU et ses agences humanitaires ?

Le rôle des Nations unies devrait être crucial, notamment pour offrir un mandat en faveur d’une action humanitaire internationale. Il faut être lucide : compte tenu de la position de la Russie et de la Chine au Conseil de sécurité, il sera sans doute difficile de faire plus qu’offrir une assistance humanitaire frontalière aux Vénézuéliens qui ont déjà fui, mais c’est un début. En outre, établir des camps de réfugiés du côté colombien et brésilien de la frontière avec le Venezuela, et éventuellement en Guyane et dans des îles caribéennes, serait un rappel constant et symbolique de l’échec du régime Maduro à répondre aux besoins de sa propre population.

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