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80 km/h : ces incohérences qui décrédibilisent le gouvernement

Voulu indépendant, le comité d'experts formé pour évaluer l'efficacité des 80 km/h soulève des incohérences graves dans la communication du gouvernement. Après la bataille des chiffres, celle des méthodes statistiques. 

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Panneau de limitation de vitesse à 80 km/h, près de Englos, dans le Nord de la France (janvier 2019).

Selon le Comité indépendant d'évaluation des 80 km/h, le gouvernement se décrédibilise du fait des incohérences exprimées dans son interprétation des chiffres de la mortalité routière.

Image © Philippe Huguen / AFP

Le premier Ministre Édouard Philippe l’a affirmé le 28 janvier, chiffres à l’appui : abaisser la limitation de vitesse sauve effectivement des vies. Ce n’est plus une affirmation en l’air, puisque des données officielles viennent étayer cette conviction. 

Certains automobilistes attendaient des preuves pour le croire ; d’autres n’en avaient jamais douté. Après tout, rouler moins vite est la garantie de freiner plus court (à conditions d’adhérences et à voiture égales). Et lorsque le choc s’avère inévitable, ses conséquences s'en trouvent amoindries. Imparable.

D’ailleurs, depuis que la délégation à la Sécurité routière a fait savoir que l’abaissement de la limitation de vitesse à 80 km/h avait officiellement épargné cent seize vies en six mois (de juillet à décembre), les opposants à cette mesure trouvent chez leurs proches une oreille moins attentive à leurs récriminations. Fermez le ban ? 

Selon le CIE, le gouvernement se décrédibilise avec son interprétation des chiffres de la mortalité routière 

Ce serait aller un peu vite en besogne, à en croire le président du “Comité indépendant d’Évaluation des 80 km/h” (CIE), dont les membres se rassemblèrent pour la première fois en septembre 2018. Jean-Luc Michaud ne conteste pas l’existence de ce chiffre. C’est son interprétation qui le chagrine, nuance.  

“Nous touchons là au cœur du message que souhaite faire passer le CIE”, explique ce haut fonctionnaire en retraite. “La délégation à la Sécurité routière (DSR) prétend pouvoir affirmer “avec précision” qu’une baisse de 116 tués a été enregistrée, alors qu’elle ne dispose que des “remontées provisoires” des baromètres mensuels tenus par l’Observatoire national interministériel de la sécurité routière. Au moment de cette déclaration, faite le 28 janvier, le décompte ne pouvait être que partiel, au mieux, car il doit s’écouler 30 jours après la fin du mois considéré pour obtenir le baromètre mensuel de l’ONSIR.” 

Le CIE reproche par conséquent à la délégation à la Sécurité routière d’avoir conclu un peu vite à l’efficacité des 80 km/h, sans attendre de connaître le décompte des victimes de la route pour le mois de décembre 2018.  

En temps ordinaire, l'absence de cette donnée ne pèserait pas bien lourd dans le bilan annuel, même si, ainsi que le fait remarquer Pierre Chasseray, délégué général de 40 Millions d’Automobilistes, “c’est traditionnellement en décembre et durant les deux mois d’été que l’on déplore le plus de morts sur les routes”. Sauf que l’année 2018 sort de l’ordinaire, à deux égards. Non seulement, les 80 km/h sont entrés en vigueur au 1er juillet ; mais les radars sont tombés victimes d’une vague de destructions sans précédent. Les chiffres de la mortalité en décembre sont donc essentiels pour confirmer ou pour infirmer l’influence sur la mortalité de l’augmentation constatée des dépassements de vitesse.  

Les causes de tous les accidents en 2018 ne sont pas encore connues 

Là n’est pas le seul reproche que formule le CIE à l'encontre de la DSR. Non seulement cette dernière ne dispose pas du baromètre de l’ONSIR pour le mois de décembre mais elle ne peut consulter le fichier des Bulletins d’accidents corporels de la circulation (BAAC). Or, ces documents remplis par les forces de l’ordre chaque fois qu’elles constatent un accident corporel sont indispensables pour examiner la mortalité sur la partie du réseau concerné par la limitation à 80 km/h.  

“La base de données des BAAC est administrée par l’ONISR. Elle se compose de quatre fichiers, correspondant aux caractéristiques des accidents, aux lieux, aux véhicules et aux usagers”, précise Aurélie Trégouet, chargée d’études pour l’association 40 Millions d’Automobilistes qui milite pour le retour aux 90 km/h et soutient le CIE — au risque d’alimenter les doutes quant à l'impartialité de ses membres. “Ces fichiers BAAC sont consultables en ligne, sur le portail du Ministère de l’Intérieur. Or, les délais de l’enquête retardent leur divulgation de ces fichiers.” Voilà pourquoi, à l’heure où nous écrivons, les fichiers BAAC de l’année 2018 ne sont pas encore disponibles sur le site internet data.gouv.fr.  

Le CIE voit là un motif de douter de l’interprétation des chiffres que fait la DSR. “Le CIE voit mal comment la délégation à la Sécurité routière a pu affirmer le 28 janvier que 116 personnes en moins ont trouvé la mort au cours du second semestre 2018 par rapport à l’année 2017, puisque personne — pas même le Ministère de l’Intérieur — ne connaît à ce jour le nombre de tués enregistrés au deuxième semestre sur les routes limitées à 80 km/h maxi”, martèle Jean-Luc Michaud.  

L’économie de vies ne fait pas de doute, au contraire de son décompte précis 

Le CIE relève d’autres incohérences dans le bilan d’étape présenté le 28 janvier par les pouvoirs publics. Son président Jean-Luc Michaud s’étonne ainsi de constater que le périmètre de l’étude ne s’est pas circonscrit aux seules routes passées sous l’empire de la règle des 80 km/h. Plus grave, le chiffre de 116 vies épargnées est obtenu en comparant la mortalité du second semestre 2018 aux douze mois des cinq années précédentes, et non pas au second semestre seulement. Voilà qui est contraire aux principes de la statistique.  

“Une comparaison exacte des chiffres aurait montré qu’il y a une diminution du nombre de tués plus faible depuis l’entrée en vigueur des 80 km/h que sur la période précédant l’entrée en vigueur de la mesure”, estime Jean-Luc Michaud, qui déplore “l’approximation” dans laquelle se situe la communication du gouvernement. “On est passé de 6,6 % de baisse au premier semestre 2018 à une baisse de 4,5 % au second semestre, par rapport à la même période en 2017.” Et le président du CIE d’en conclure : “Ce ne sont pas les chiffres qui sont en cause, mais bien l’interprétation qui en est faite. La délégation à la Sécurité routière reproche au CIE de baser ses réflexions sur des données partielles et non définitives, mais elle commet la même erreur dans son bilan d'étape livré le 28 janvier”. 

Le CIE déplore l'approximation dans la mesure de la vitesse moyenne effective

Encore que le CIE remette parfois en cause la véracité même des chiffres. Son président souligne ainsi que le le nombre officiel de 116 vies sauvées sur le seul réseau secondaire est supérieur au total officiel des 81 vies épargnées sur l’ensemble des réseaux routiers. Ce qui fait dire à Jean-Luc Michaud, non sans malice : “Si la DSR conclue qu’une partie fait plus que le tout, il est permis de s’interroger sur sa maîtrise des règles de la mathématique.” 

Ces contradictions font douter le CIE de la validité des méthodes employées par le gouvernement. Le rapporteur du CIE, l’économiste et ancien directeur adjoint de l’environnement à l’OCDE Rémy Prud’Homme ne peut s’empêcher de rappeler cette autre incohérence : “Dans sa communication, le gouvernement dit avoir constaté une baisse de la vitesse moyenne de 87 km/h à 83 km/h. Pourtant, l’observatoire de la vitesse moyenne la fixait à 82 km/h du temps de la limitation à 90 km/h (avec des variations de quelques kilomètres par heure). Et Jean-Luc Michaud d’enchaîner : “Le CIE ne conteste pas que le passage aux 80 km/h a probablement fait baisser la vitesse moyenne ; mais le gouvernement ne peut pas nous dire que la vitesse moyenne est passée de 82 km/h avant le 1er juillet à 87 km/h après.” Il y a fort à parier, au contraire, que ce chiffre est à la baisse.

Le CIE fait de cette incohérence un point clé du courrier qu'il a adressé au gouvernement. Car ce dernier prétend que c’est bien la baisse de la vitesse moyenne des véhicules qui sauve des vies. 

Le CIE réclame que soient pris en compte tous les facteurs de la mortalité routière 

La dernière critique n’a rien de propre à ce bilan d’étape présenté le 28 janvier. Comme d’autres avant lui, le CIE reproche à la DSR de vouloir expliquer l’économie de vies par la seule action des radars. Ainsi que le rappelle Didier Renoux, chargé de communication à la Fédération française des Motards en Colère (FFMC) et membre du CIE, “c’est passer sous silence et méconnaître l’influence sur la baisse de la mortalité des progrès accomplis par les véhicules et par les pneumatiques ; de la dégradation de l’état des routes ou, au contraire, de la suppression de certains points dangereux ; de la généralisation du port de la ceinture ou, au contraire, du fléau que constitue l’usage du téléphone au volant.”  

Il reste à voir combien de temps il faudra à la délégation à la Sécurité routière pour réagir à la liste des dix questions et incohérences soulevées par le CIE. Les membres de ce dernier répètent à qui veut bien les entendre qu’ils ne demandent rien mieux que de laisser de côté les questions de politique, pour se consacrer à établir des faits incontestables. Un premier geste de bonne volonté de la part du gouvernement consisterait à accorder au CIE (comme à tous ceux qui le réclament) l’accès plein et entier à la totalité des chiffres de la mortalité routière. Le CIE en a fait la demande officielle en septembre.

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