« Je trouve Bastille moche comme une agence de Pôle Emploi » : Rencontre avec l'artiste Claude Lévêque

Le plasticien Claude Lévêque célèbre les 350 ans de l’Opéra de Paris en installant un diadème lumineux à la Bastille et des pneus dorés au Palais Garnier. Propos recueillis par Eric Dahan.
« Je trouve Bastille moche comme une agence de Pôle Emploi »  Rencontre avec l'artiste Claude Lvêque
CC Commons / Wikimedia

« Ce n’est pas mon premier travail pour l’Opéra de Paris : j’ai scénographié le ballet MinEvent de Merce ­Cunningham, à Garnier en 2005, et le Siddharta d’Angelin Preljocaj, en 2010 à Bastille. J’ai également réalisé, en 2017, un petit film, Le Lac perdu, pour le site web de l’Opéra. Mais quand le directeur, Stéphane Lissner, m’a proposé les deux bâtiments pour le 350e anniversaire de la maison, j’ai été enchanté. Travailler avec les techniciens de l’opéra m’avait ouvert les yeux sur l’espace, l’onirisme, la magie des faux-semblants... J’ai vite conçu mon projet car ils ont un planning très chargé et je voulais bénéficier à nouveau de leur extraordinaire savoir-faire, ne pas être contraint de recourir à des gens de l’extérieur. J’ai d’abord pensé inter­ve­nir derrière la grande façade vitrée de Bastille, mais je n’ai rien trouvé d’assez fort pour capter l’attention des gens qui circulent tout autour de la place. Il faut dire qu’autant j’adore Garnier, dont l’archi­tec­ture raconte des choses sur l’art, le chant, la danse, à travers mille détails ornementaux, autant je trouve Bastille moche comme une agence de Pôle Emploi. Puis j’ai eu l’idée d’un diadème géant réalisé avec des barres un peu courbes à quatre facettes polymiroirs ornées d’ampoules-cabochons, comme dans les manèges. Cette couronne scintillante vient coiffer le toit de Bastille. Elle renvoie à l’univers du ballet féerique du type Lac des cygnes, mais elle se voit surtout de partout et de très loin. Pour Garnier, j’ai investi l’intérieur du bâtiment, mais les deux interventions sont liées et fonctionnent comme un parcours auquel j’ai donné le nom de Saturnales, en référence aux fêtes de la Rome antique. J’ai choisi de débuter par la Rotonde des abonnés : c’est par là qu’on entrait sous Napo­léon et c’est de là que partent aujour­d’hui les visites guidées – et je voulais que tout le monde profite de cette installation, pas seulement ceux qui vont au spectacle. J’ai remplacé la lumière blanche diffusée par les globes situés sous chaque arcade de cette rotonde par des ampoules bleues et j’ai entouré chacun de ces globes d’un anneau de Led, en référence aux anneaux de Saturne.

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Puis j’ai équipé tous les can­dé­labres éclairant la statue de la Pythie, sous le grand escalier, d’ampoules fuchsia, et j’ai décoré le bassin face à elle, d’un anneau de Led, comme s’il avait atterri à ses pieds. Cette débauche de lumière souligne tous les détails ornementaux. Enfin, j’ai installé, en haut des pilastres en marbre, deux pneus géants de 2,50 mètres de diamètre que nous avons réalisés en résine et recouverts de feuilles d’or. Ils peuvent paraître incongrus, mais ils rythment l’espace, répondent à l’architecture en s’y intégrant. Je n’y vois rien de provocateur, mais je sais qu’il y a toujours des esprits passéistes qui refusent, par principe, que l’on intervienne sur le patrimoine. Moi qui ai passé ma jeunesse dans les concerts punks les plus violents, je me souviens d’un spectacle Schubert, à l’Opéra-Comique, sur lequel ­Christian Boltanski avait travaillé : son intervention n’affectait ni la musique ni le chant, mais ça avait dégénéré en vraie émeute de hooligans au point que, même moi, j’ai pris peur. »

Cet article est paru dans le numéro 65 de Vanity Fair France.

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