Maria Casarès, une force solaire (1922-1996)

Maria Casarès dans le film Orphée de Jean Cocteau (1949) - Roger Corbeau
Maria Casarès dans le film Orphée de Jean Cocteau (1949) - Roger Corbeau
Maria Casarès dans le film Orphée de Jean Cocteau (1949) - Roger Corbeau
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Née en Galice en 1922, Maria Casarès a fui la Guerre d'Espagne pour Paris en 1936, avant d’entamer une carrière de comédienne. Muse des auteurs les plus prestigieux de l'époque, femme libre et actrice de rupture, elle laisse à jamais le souvenir de l'une des plus grandes tragédiennes françaises.

Avec
  • Johanna Silberstein Comédienne et responsable artistique de "La Maison Maria Casarès" depuis septembre 2016.
  • Dominique Marny Écrivain
  • Florence M.-Forsythe Comédienne, metteuse en scène, biographe de Maria Casarès
  • Ariane Dollfus Journaliste, écrivaine et biographe

Pour Maria Casarès, l’acteur est comme une sorte de canal, c’est l’image qu’elle donnait en disant que l’acteur était un peu comme le tonneau des Danaïdes, avec des flux et des reflux qui le traverse. Ce qu’elle cherchait au théâtre, c'était le mouvement de la vie constant, au creuset de la scène. Sur scène, tout vibrait autour d’elle, il y avait comme un halo. On avait l’impression de voir une œuvre d’art, elle se sculptait à l’intérieur d’elle-même. Florence Forsythe

Maria Casarès, née le 21 novembre 1922 à la Corogne, est non seulement une immense tragédienne, mais aussi une exilée qui aura dû fuir à 14 ans la guerre civile espagnole. En 1931, elle quitte sa Galice natale pour aller vivre à Madrid avec ses parents, son père Santiago Casares Quiroga venant d’être nommé ministre dans le gouvernement de la Seconde République espagnole. Alors que la guerre d’Espagne débute, les événements se précipitent, et Maria et sa mère doivent quitter Madrid pour la France, le 21 novembre 1936. Le lendemain la capitale tombe aux mains des franquistes. Les deux femmes sont accueillies à Paris par un couple de comédiens, l’actrice Colonna-Romano et Pierre Alcover. La jeune réfugiée entre dans la classe de Béatrix Dussane au Conservatoire National Supérieur d’Art dramatique de Paris. En 1942, elle est engagée au théâtre des Mathurins, dirigé alors par Marcel Herrand et Jean Marchat. C’est l’Occupation et au Mathurins, elle rencontre Albert Camus dont elle sera l’interprète. Leur passion connaîtra des épisodes de ruptures et de réconciliations, mais restera intact jusqu'à la mort de l’écrivain.

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Ce qui lie Albert Camus et Maria Casarès, c’est l’exil, c’est le théâtre et l’Espagne. Ensemble, ils vont vivre une très grande histoire d’amour. A la fin de sa vie, Maria Casarès ne cessera de parler de Camus, comme s’il était près d’elle et qu'elle se nimbait de sa présence. Ils sont tous les deux de grands Don Juan. Ils vivent sur l’instant, pour des raisons liées à l'urgence de vivre. Florence Forsythe

Maria Casarès est une actrice de rupture. Son énergie tellurique fascine, sa recherche au théâtre est incessante. Au cinéma, Maria tourne quatre films cultes : Les Enfants du Paradis de Marcel Carné, Les Dames du Bois de Boulogne de Robert Bresson, La Chartreuse de Parme de Christian Jaque. Jean Cocteau l’immortalise, le visage de la Mort du poète Orphée. 

Johanna Silberstein lit un extrait de l'ouvrage : "Maria Casarès : Une actrice de rupture" de Florence Forsythe aux éditions Actes Sud

1 min

Jean Cocteau voulait qu’elle ait un visage très lisse avec une poudre blanche pour son rôle de la Princesse dans "Orphée". Cette femme au physique extraordinaire, à la beauté ravageuse, et à la silhouette inouïe, était incroyablement énigmatique. Cocteau racontait qu’il ne lui a pas toujours dit ce qu’elle incarnait pour qu’elle l’apprenne peu à peu. Elle ne pouvait pas être mieux choisie pour ce rôle. Personne n’aurait pu mieux incarner la princesse qu’elle. Ils avaient cette liberté absolue l’un été l’autre, de faire qu’ils voulaient comme ils voulaient. Maria Casarès comprenait son âme poétique. Dominique Marny

Maria Casarès sur scène, dans la pièce Mère Courage de Brecht en 1969 à Bobino
Maria Casarès sur scène, dans la pièce Mère Courage de Brecht en 1969 à Bobino
- André Perlstein

Auparavant, Maria Casarès aura été l’Amoureuse des Épiphanies d’Henri Pichette aux côtés de Gérard Philipe. Après un passage éclair à la Comédie-Française, Jean Vilar lui propose le rôle de Lady Macbeth pour le 8ème Festival d’Avignon et elle entre dans la troupe du T.N.P. Electron libre, Maria Casarès est sollicitée par les créateurs de la modernité et de l’avant-garde : Maurice Béjart lui écrit le ballet Nuit Obscure pour la cour d’Honneur du Palais des papes en 1968. Casarès est La Mère dans Les Paravents de Jean Genet. A une période où le brechtisme revisité par les tenants de la distanciation gagne du terrain sur la scène française, « la Casarès », tout à la fois, crée des engouements ou irrite mais dans tous les cas, poursuit ses explorations théâtrales auprès des metteurs en scène de la modernité, parmi lesquels l’argentin Jorge Lavelli. Patrice Chéreau la fait jouer et Bernard-Marie Koltès écrira pour le théâtre après l'avoir vu dans Médée

Quand je vois Maria Casarès dans "Lady MacBeth", il se passe quelque chose d’unique, l’essence même de la tragédie. Elle nous apprend que la tragédie, c’est accéder à la vérité. Elle disait que la tragédie, c’est dénouer le songe bourgeois. Quand elle entrait en scène, elle brisait les codes du théâtre bourgeois et montrait une autre représentation de l’humain. Olivier Py

Maria Casarès évoque son tempérament "tragique" au micro d'Yvonne Taquet dans l'émission Avant-première du 19 septembre 1990 sur France Culture

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En 1976, après la mort de Franco, Maria retourne pour la première fois à Madrid pour jouer une pièce de Rafael Alberti. De retour en France, elle épousera André Schlesser qui lui donne la nationalité française tout en gardant son statut de réfugiée espagnole. Elle rédige ses mémoires sous le titre Résidente privilégiée. Maria Casarès monstre de théâtre et actrice iconoclaste ne cesse de vivre ardemment et en toute liberté la grande aventure du théâtre, passant du théâtre de La Colline au Centre Dramatique National de Gennevilliers où Bernard Sobel crée pour elle Hécube d’Euripide qui lui vaut son Molière ; Bruno Bayen la met en scène dans Elle de Genet et elle retrouvera Sobel dans une version du Roi Lear. Épuisée, elle continue sans relâche, signe un nouveau contrat au théâtre de la Colline. C’est dans la nuit du 22 novembre 1996 qu’elle s’éteint dans sa Maison de la Vergne en Charente, devenue aujourd’hui la Maison Maria Casarès.

Bernard-Marie Koltès parle de son arrivée au théâtre grâce à Maria Casarès, dans Le Bon Plaisir sur France Culture en 1986

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  • Avec : Florence M.-Forsythe, biographe et amie de Maria Casarès ; Dominique Marny, petite nièce de Jean Cocteau ; Ariane Dollfus : biographe de Maurice Béjart ; Olivier Py, Directeur du Festival d'Avignon ; Merci à Johanna Silberstein, directrice de la maison Maria Casarès, textes lus par Nada Strancar. 

Pour aller plus loin 

Site officiel de la Maison Maria Casarès, située en Charente, au Domaine de La Vergne.

Maria Casarès ou le théâtre à l’épreuve, Revue d'Histoire du Théâtre, n° 277, 2018.

1958 : Maria Casarès évoque le tournage des Dames du bois de Boulogne, film de Robert Bresson, pour l’émission Gros Plan : à voir sur le site de l’INA.

Entretien avec Maria Casarès à propos du festival d'Avignon réalisé en juillet 1985 : à voir sur le site de l’INA.

Les confins au centre du monde : entretien avec Maria Casarès à propos de son rôle de Cécile dans Quai Ouest de Bernard-Marie Koltès, à lire dans le numéro 35-36 d’Alternatives théâtrales.

Quelques lettres extraites de la correspondance entre Maria Casarès et Albert Camus, en ligne sur le site de la Fondation La Poste. 

  • Un documentaire de Myriam Gilhot, réalisé par Lionel Quantin. Prise de son : Yann Fressy, mixage : Claude Niort. Archives INA : Anne Brulant, et recherches Internet : Annelise Signoret. 

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