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Les raisons de la mobilisation de la jeunesse de Taïwan

Depuis plusieurs semaines, des étudiants occupent le Parlement  pour protester contre une tentative de passer en force un pacte d'ouverture mutuelle du secteur des services avec la Chine.

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Publié le 28 mars 2014 à 12h24, modifié le 28 mars 2014 à 14h42

Temps de Lecture 4 min.

Des étudiants manifestent devant le parlement taïwanais, jeudi 27 mars à Taipei.

A Taipei, les étudiants occupent depuis le 18 mars le parlement taïwanais pour protester contre la tentative du Kouomintang (KMT), le parti actuellement au pouvoir, de passer en force un pacte d’ouverture mutuelle du secteur des services avec la Chine. Stéphane Corcuff, spécialiste de la géopolitique taïwanaise au CEFC (Centre d’études françaises sur la Chine contemporaine) et directeur de son antenne à Taipei, décrypte pour Le Monde cet évènement inédit, qui révèle le malaise ressenti face à la puissance grandissante de la Chine. 

 

Que révèle cette mobilisation de la jeunesse taïwanaise ?

 

Stéphane Corcuff : Les étudiants se mobilisent contre des procédés de négociation qu’ils considèrent comme opaques et porteurs de risques pour la société taïwanaise. Derrière ce malaise, il y a la triple question de leur liberté, de leur souveraineté et de leur identité face à l’irrédentisme chinois. Jusqu’ici, le Kouomintang restait le parti qui, par son contrôle les leviers du pouvoir et pour des raisons historiques, pilotait la réponse de Taïwan face à la Chine. Une grande partie de la population taïwanaise le considérait comme le plus apte à résister aux pressions chinoises.

 

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Mais un nombre croissant de gens craignent que la Chine gagne une force d’influence considérable grâce à cet accord économique — jusqu’à dicter sa politique au président taïwanais Ma Ying-jeou, pensent-ils. On en arrive aujourd’hui à ce soupçon que Ma veuille « vendre Taïwan à la Chine », qu’on a vu s'exprimer dans différents slogans. De son côté, le Kouomintang considère qu’il fait tout pour préserver la souveraineté taïwanaise tout en permettant à Taïwan de tirer profit de la croissance chinoise. Le fait est que le KMT s’est arrogé un monopole sur les relations entre les deux rives, à l’abri de toute consultation avec la société civile ou les autres parties.

Pourtant, Taïwan a des atouts, son économie est plus sophistiquée que celle de la Chine... Pourquoi ces craintes?

 

Il faut se rappeler que les Taïwanais sont isolés diplomatiquement, qu’ils n’ont aucune voix dans les instances internationales. Le fait que la guerre soit improbable, en dépit de capacités militaires chinoises croissantes, n’est pas forcément pour rassurer les Taïwanais.  En effet, la Chine n’ayant renoncé à aucun de ses objectifs de réunification, ils se disent qu’elle y parviendra par les moyens de l’économie, et avec l’aide du KMT. Avec des économies liées et un avantage militaire incontestable, les Chinois peuvent au moindre prétexte pousser Taïwan à entamer des discussions politiques, c'est-à-dire un processus d’unification.

 

La Chine peut certes être extrêmement flexible sur le modèle d’unification qu’elle est capable d’accepter. Selon le principe « un pays, deux systèmes » proposé en 1980 par la Chine, Taïwan peut tout garder : son système politique, sa justice, et même sa force armée. Mais ce qui le rend inacceptable pour les Taïwanais, c'est de perdre leurs affaires étrangères, et leur nom de République de Chine. Ce modèle, pensé pour Taïwan, a été utilisé en partie pour Hongkong. Or, la question est : est-il viable tant que la Chine n’est pas une démocratie ? La consécration pour Pékin, ce serait la disparition de la République de Chine – et le pouvoir chinois est intransigeant sur ce point. Il est ironique de remarquer que dans les manifestations, il y a beaucoup de drapeaux de la République de Chine, car même pour les indépendantistes, c’est le seul outil de souveraineté qu’ils ont.

 

Le Kouomintang est accusé de faire le jeu du Parti communiste chinois (PCC), qui était son ennemi juré. Qu’est-ce qui a changé au KMT, avec Ma Ying-jeou ?

 

Sous la présidence indépendantiste de Chen Shui-bian (DPP, 2000-2008), l’ordre des ennemis du KMT s’est renversé : on a pris acte que le PCC n’était plus l’ennemi d’antan, et la lutte contre les indépendantistes est devenue la priorité. Ce changement à lieu en 2005, avec la visite en Chine du président honoraire du KMT, Lien Chan. On a donc un changement de paradigme : sous Ma Ying-jeou, qui devient président du parti en 2005, le KMT va officialiser un nouveau regard sur la Chine et faire du PCC un allié. Lien Chan avait écrit dans un ouvrage de 2004 qu’il espérait une réunification sous la bannière de la République de Chine : c’est passé inaperçu, car le KMT semblait s’être recentré sur Taïwan lors de la décennie précédente.

 

En réalité, il y a eu un processus de re-continentalisation du KMTc'est-à-dire l’attribution de postes clés aux enfants des continentaux venus avecTchang Kaï-chek. En quelque sorte, le KMT a fait le pari que la Chine allait changer, et qu’à terme toute ouverture politique entraînerait une mutation du PCC. Un pouvoir chinois bien disposé vis-à-vis du KMT a plusieurs avantages : le premier, la défense les intérêts de Taïwan. Le second, l’ambition de pouvoir participer, un jour, à des élections en Chine. Le KMT de Ma semble nourrir ce rêve de revenir en Chine dans une configuration bipartite au côté du PCC ou du produit de son éventuelle mutation. Alors qu’il est très impopulaire à Taïwan, Ma Ying-jeou rêve à l’évidence de ce qui lui donnerait une stature historique : rencontrer Xi Jinping et être celui qui aura débloqué le conflit du détroit de Taïwan.

 

Lire aussi (édition abonnés) : A Taipei, la « révolution des tournesols » révèle le malaise des jeunes face à Pékin

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