Gérard Mordillat
French writer Gerard Mordillat poses for a photograph on June 30, 2015 in Paris. The end of August and September mark the start of the new literary season in France, with some 600 books being published, and among them Mordillat's latest novel "La Brigade du Rire" (The Laughter Brigade). AFP PHOTO / JOEL SAGET / AFP / JOEL SAGET

Gérard Mordillat.

AFP/JOEL SAGET

Alors qu'il vient de redonner vie sur Arte à Lucie Baud, première femme syndicaliste, incarnée par l'actrice Virginie Ledoyen dans son film Mélancolie ouvrière, le cinéaste et romancier Gérard Mordillat publie Ces femmes-là, fresque épique à travers une multitude de destins individuels. Petite introspection stylisée.

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L'Express : Votre nouveau roman commence un jour de printemps, à l'approche des Jeux olympiques de 2024, dans un pays qui ressemble fort à la France. Votre style serait-il celui d'un récit d'anticipation ?

Gérard Mordillat : J'ai une conviction profondément ancrée : la fiction marche toujours un pas en avant sur l'histoire. Mais je me considère comme un écrivain réaliste, car la réalité me dérange et me perturbe, et mon style s'appuie sur une structure narrative classique. L'action du roman Ces femmes-là se déroule autour de l'événement central du livre, une manifestation dans la rue. Il y a avant, pendant et après, qui forment les trois parties du récit : l'attente, le moment où tout se noue, et les conséquences sur chaque personnage. J'essaie de restituer la dynamique complexe d'un mouvement.

Une écriture savante, qui prend les apparences de la simplicité ?

Le modèle qui m'inspire quand j'écris, c'est la poésie en prose. Le rythme est essentiel, il m'anime et fait bouger mes personnages. L'action se déroule au rythme de la phrase, j'espère que le lecteur ressent ce tempo. Un mot de trop, un verbe mal placé, et tout peut se casser la figure. Il faut une attention délicate et précise au rythme. Comme disait Giacometti, à qui on reprochait de faire des sculptures trop maigres, "j'enlève tout ce qui n'est pas nécessaire".

Dans vos romans, comme Xenia ou Ce que savait Jennie, vous accordez toujours une grande place aux personnages féminins...

Il y a une part féminine puissante en moi. Tout au long de ma vie, mes amitiés littéraires étaient des femmes. J'étais lié à Geneviève Serreau, première traductrice du théâtre de Bertolt Brecht, à Béatrix Beck, sur qui j'ai fait un film, à Christiane Rochefort, Marguerite Duras ou Nathalie Sarraute, aujourd'hui à Annie Ernaux. Que des femmes écrivains ! La place des femmes dans notre société est encore considérée comme secondaire, et cela m'est insupportable. J'admire le courage humble et éclatant des femmes.

Ce qui rejoint votre style engagé ?

Je n'ai aucun engagement partisan, mais je reste fidèle à la sensibilité ouvrière de mes origines. J'ai été ouvrier imprimeur, et je ne peux pas être indifférent à ce qui se passe en France aujourd'hui. On ne se sent jamais assez révolté devant les injustices et les crimes commis, ici ou ailleurs. Dans cette immense douleur qui habite le monde, je veux m'associer à ces combats, surtout auprès de ceux qui sont le moins soutenus. De la violence du harcèlement à l'inégalité salariale, la condescendance vis-à-vis des plus faibles m'insupporte.

Le style de votre écriture varie-t-il, du roman au film, comme la série télévisée Corpus Christi, sur les origines du christianisme, qui a rencontré un large succès, avec 4 millions de téléspectateurs ?

Aucune séparation entre la littérature ou le cinéma, les deux sont indissociables. Comme disait Mallarmé, sur la danse et la musique, elles s'allumaient pour lui de feux réciproques. Pour les deux arts, je me pose les mêmes questions de scansion et d'assonance, quand je tourne et quand j'écris. Et j'ai le même souci, dans les deux cas, d'aller le plus loin dans l'économie apparente de moyens. Mon dernier film pour Arte essaie de saisir la chose la plus simple possible, qui sera la plus forte possible, par son économie même.

L'écrivain et cinéaste publie Ces femmes-là, éd. Albin Michel, 380 p., 21,50 ¤.

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