Paris : des réseaux chinois de blanchiment d’argent exploitent le boum du luxe à la française

Spécialisées dans l’achat et la revente de produits de luxes, ces organisations parviennent à blanchir des centaines de millions d’euros par an.

 Les clients chinois se pressent dans les magasins de luxe. Certains en profitent pour écouler les produits en Chine où ils coûtent deux fois plus cher. (Illustration)
Les clients chinois se pressent dans les magasins de luxe. Certains en profitent pour écouler les produits en Chine où ils coûtent deux fois plus cher. (Illustration) LP/Olivier Lejeune

    Le luxe à la française fascine les jeunes Chinois de la classe moyenne. C'est tellement vrai qu'en région parisienne des organisations occultes profitent de la revente de vêtements et d'articles de maroquinerie pour blanchir de l'argent provenant de fraudes fiscales, du proxénétisme ou du trafic de drogue. Les enquêteurs du deuxième district de police judiciaire de Paris viennent de mettre à bas, à l'automne dernier, un réseau fort d'au moins six hommes et femmes d'origine chinoise, âgés de 30 et 40 ans, qui entre 2017 et 2018, a fait circuler plus de cinq millions d'euros entre la France et la Chine, sans payer un centime de taxe.

    Durant le mois d'août, une lettre anonyme arrive sur les bureaux de la police. Elle dénonce les activités d'un trio qui achète des sacs Louis Vuitton dans les grands magasins parisiens avant de les revendre beaucoup plus cher en Chine. « Ils emploient des intermédiaires venus avec des visas de tourisme qui se présentent avec une copie de passeport. Les employés des magasins ne sont pas surpris car les touristes chinois ont recours à cette pratique par peur d'être volés, précise le courrier. Les intermédiaires sont rémunérés par le montant de la détaxe et parfois même bénéficient d'un billet aller-retour ».

    Le corbeau explique que trois femmes achètent la marchandise dans les grands magasins, prennent les commandes de sacs de luxe et assurent la livraison en Chine. Quatre autres complices émargeraient grâce à la conversion d'euros en yuans, ainsi qu'en achat et la revente au noir de tickets-restaurants.

    Les enquêteurs mettent sous surveillance un étudiant de 30 ans, une artiste de 34 ans et une secrétaire de 32 ans. Les forces de l'ordre constatent qu'ils circulent entre le secteur des grossistes en textile d'Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), les grands magasins parisiens et fréquentent un appartement de la rue Joubert (Paris IXe) qui leur sert de bureaux.

    70 000 euros de produits de luxe dans un appartement

    Leur méthode fonctionne en deux temps. Pour le blanchiment, deux commerçants, qui veulent éviter de déclarer leur revenu aux impôts, leur fournissent de l'argent liquide qui les embarrasse. Les blanchisseurs virent cette somme, d'un compte chinois occulte à celui des commerçants qui se trouve aussi en Chine. Les malfaiteurs prennent au passage une commission sur la conversion des Euros en Yuans. Pour écouler les billets, le réseau achète en masse des sacs et des vêtements de luxe Louis Vuitton, Chanel, Gucci… Autant de produits qui sont revendus avec un bénéfice en Chine où ils valent deux fois plus chers.

    Le 9 octobre dernier l'étudiant est interpellé devant chez lui à Paris, avec un sac contenant 32 000 €. L'artiste est surprise dans l'appartement de la rue Joubert alors qu'elle prend des photos de la marchandise qu'elle comptait envoyer par voie postale. Les fonctionnaires mettent la main sur 1500 € en liquide et 70 000 € de produits de luxe.

    Sur l'ordinateur allumé, les policiers trouvent des ébauches de faux passeports. Le duo est placé en garde à vue dans les locaux de la PJ rue Louis-Blanc. L'étudiant passe aux aveux. Il assure qu'il a intégré, il y a deux ans, cette affaire gérée par deux femmes. L'artiste et une autre. Il minimise ses revenus qu'il estime à 80 000 € par an et assure qu'il commençait à trafiquer seul. L'artiste se fait d'abord passer pour une petite main avant de reconnaître un rôle un peu plus actif dans la coordination. Le duo a été mis en examen dans la foulée avant d'être remis en liberté sous contrôle judiciaire. Une troisième femme suspecte a été arrêtée un peu plus tard. Elle a aussi tenté de minimiser leur rôle et l'ampleur de leurs revenus. La dernière, sur le point d'accoucher et les deux commerçants seront convoqués plus tard devant la justice.

    Arrêté en flag au Bon Marché avec cinq faux passeports chinois

    Autre histoire qui illustre bien ces réseaux de blanchiment. « Ravioly Becky » et son ami Mr « Wu » pensaient avoir trouvé la poule aux œufs d'or dans la capitale du luxe. Mais la sagacité de la vendeuse du « Bon marché » a tout gâché. Ce chinois de 32 ans et sa compatriote de 36 ans ont été mis en examen en novembre dernier pour faux, usage de faux et escroquerie.

    Il est 14 heures, le 9 novembre dernier, lorsque ce Chinois achète un sac à main au magasin « Le Bon Marché » du septième arrondissement de Paris. La vendeuse du stand Louis Vuitton lui demande son passeport car la maison d'articles de luxe a édicté une règle pour limiter la fraude : les chinois n'ont le droit d'acheter que deux sacs par passeport. Et celui de Mr Wu est un faux. Il est arrêté par les agents de sécurité du magasin qui découvrent au total cinq faux passeports dans son sac.

    L'acheteur suspect est placé en garde à vue au commissariat d'arrondissement. Les policiers découvrent lors de sa fouille, de nombreux tickets d'achat de produits de luxe : Chanel, Gucci, Louis Vuitton, seize cartes bancaires et environ 3000 € en liquide. Cet homme arrivé au mois d'octobre pour visiter le pays explique qu'il s'était fait faire de faux passeports en Chine pour pouvoir acheter des sacs et des articles de luxe pour sa famille et ses proches. Il loge chez une connaissance qui vit dans un appartement du XIVe arrondissement.

    Le 10 novembre, les forces de l'ordre mènent une perquisition dans ce trois-pièces de la rue Gazan, loué par Ping*, une femme qui est installée en France depuis plusieurs mois. Au chômage avec un enfant en bas âge, elle assure qu'elle vit de l'aide de sa famille et fait « des achats ». Les enquêteurs y découvrent quinze faux passeports, dont douze portent la photo de Mr Wu, 1500 €, des boîtes Louis Vuitton. D'autres faux passeports au nom d'une autre femme portent le nom de la locataire. Les policiers mettent aussi la main sur 37 tickets-restaurants à 10 € provenant de sociétés différentes.

    Ping rejoint son locataire en garde à vue à l'hôtel de police. Elle ne répond pas aux questions gênantes. Son locataire passe aux aveux en tentant de se faire passer pour un touriste. Mais c'est son téléphone et l'examen des applications « Wechat » et « Alipay », une messagerie et l'équivalent de paypal, qui sont plus explicites. Il est en relation avec un donneur d'ordre : une certaine « Ravioly Becky », qui n'est autre que Ping. Ils s'échangent des messages pour assurer des livraisons de sacs et ils encaissent et envoient des virements de 5000 et 10 000 €. Ils ont, tous deux, été remis en liberté sous contrôle judiciaire après leur passage dans le bureau d'un juge d'instruction parisien.

    En Chine, des produits Louis Vuitton revendus deux fois plus cher

    En 2018, les Chinois ont acheté 32 % des articles de luxe produits dans le monde. Maroquinerie, parfums, vêtements, Louis Vuitton, Prada, Gucci, Dior, Chaumet, Yves Sain-Laurent, Chanel sont très prisés par la classe moyenne aisée. La marque phare de la richesse chinoise est certainement Louis Vuitton. « C'est beau, c'est simple et solide », explique une professeur de psychologie de Canton qui s'est fait récemment ce petit plaisir en achetant un sac à main.

    Mais en terre du milieu, les produits de luxe coûtent environ 21 % plus chers que dans le reste du monde. Et pour les sacs estampillés « LV », ils coûtent 50 % plus chers qu'en France. C'est pour cette simple raison que des centaines de « Daigou », acheteuses en chinois, viennent à Paris pour chercher ces produits et les revendre sous le manteau dans leur pays, esquivant ainsi les taxes de leur gouvernement. La police française estime que ces réseaux blanchissent par ce moyen des centaines millions d'euros.