Clermont 2019 : regardez “Pauline asservie”, de Charline Bourgeois-Tacquet, lauréat du Prix Télérama

En parallèle du Festival international du court métrage de Clermont-Ferrand, qui se terminait ce 9 février, “Télérama” vous dévoile neuf films courts réalisés par de nouveaux talents, présentés en sélection nationale. Aujourd’hui, “Pauline asservie”, de Charline Bourgeois-Tacquet, qui a reçu le prix Télérama et visible jusqu’au 11 février 20h.

Publié le 09 février 2019 à 19h32

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 01h02

«Il a 55 ans, il se fait chier dans son couple, il passe ses journées à travailler, et d’un coup y a une meuf trop belle de 30 ans qui se prend de passion pour lui. Ca va, y a pire ! » La « meuf trop belle », c'est Pauline, « asservie » à son amant qui n'a pas répondu à son texto depuis « avant-hier ». Une éternité. En week-end à la campagne avec Violette, sa meilleure amie, la jeune prof de lettres se perd en conjectures sur ce silence injustifié, injustifiable. Délicieuse comédie sur l'aliénation amoureuse et l'importance démesurée qu'y joue la technologie, ce court métrage – rohmérien et barthésien – séduit par la finesse de son écriture, à la fois ultra contemporaine et intimement lié à la tradition dix-septièmiste de la carte du tendre. Dans le rôle des petites filles modèles 2.0, y vibrionnent les deux actrices les plus charmantes du moment : Anaïs Demoustier et Sigrid Bouaziz. Jérémie Couston


Pauline asservie de Charline Bourgeois-Tacquet

Pauline asservie de Charline Bourgeois-Tacquet © ANNÉE ZÉRO

Qui êtes-vous ? (état civil, âge, signes particuliers)

Je suis Charline Bourgeois-Tacquet. Je viens d’avoir 33 ans. Je vis à Paris, mais je trouve que ça manque de campagne.

J’ai fait de longues études de lettres, j’ai travaillé pendant trois ans dans l’édition, chez Grasset, et puis j’ai tout quitté pour « faire du cinéma » – ce qui était mon désir depuis l’adolescence. Je n’ai pas appris à faire des films, j’ai commencé toute seule dans mon coin, sans producteur, en écrivant et réalisant des choses très courtes dans lesquelles je jouais. Je ne connaissais personne, j’ai travaillé avec des gens que j’avais rencontrés en passant des annonces sur internet, et ç’a été long, tout ça, ça a pris du temps. Il y a trois ans, j’ai réalisé un court métrage autoproduit de 15 minutes qui s’appelait Joujou et quand il a été prêt, je l’ai envoyé à plusieurs jeunes producteurs, en espérant que l’un d’entre eux l’aimerait. Tous m’ont rappelée, enthousiastes, et m’ont demandé si j’avais d’autres projets. J’avais justement un projet de long, qui leur a plu à tous, et je me suis trouvée dans cette situation improbable : devoir choisir entre plusieurs producteurs...

C’est comme ça que les portes se sont ouvertes. Entretemps, j’ai écrit Pauline asservie que Stéphane Demoustier chez Année zéro a eu envie de produire, et ç’a donc été ma première expérience de tournage « professionnel ».

Pourquoi ce court aujourd’hui ?

Depuis longtemps j’avais envie de faire quelque chose à partir des Fragments d’un discours amoureux de Roland Barthes. Après avoir vécu une histoire d’amour un peu décevante, avec quelqu’un qui ne cessait de se dérober et de me faire attendre, j’ai eu envie d’écrire une comédie sur l’aliénation amoureuse. J’avais aussi envie de me moquer de la place que prend dans nos vies le téléphone portable, de la manière dont un simple SMS peut nous rendre fous, en donnant lieu à de véritables délires interprétatifs. J’ai relu les Fragments, j’ai relevé tous les passages qui concernaient l’attente et l’obsession, et j’ai écrit le scénario de Pauline asservie, qui était au départ ponctué de phrases de Barthes. J’avais très envie que le texte soit présent physiquement dans l’image. Et puis au montage je me suis aperçue que c’était redondant par rapport aux séquences filmées, alors j’ai tout coupé.

Ce que j’ai vraiment aimé, avec ce film, cela a été de laisser libre cours à mon goût pour les dialogues, de travailler très précisément l’écriture, en imaginant que ce serait la langue qui donnerait son rythme et son énergie au film. C’était un petit défi : faire un film sur l’attente dans lequel il ne se passe rien, dans lequel le langage prend toute la place... mais sans ennuyer le spectateur.

Citez trois cinéastes ou trois films qui vous ont donné envie de faire du cinéma ?

A quatorze ans, j’ai vu Isabelle Huppert au théâtre dans Médée, j’ai été complètement éblouie et fascinée, et je me suis mise à voir tous les films dans lesquels elle avait joué (et allait jouer). Donc avant de citer un cinéaste, je cite une actrice qui m’a donné envie de faire du cinéma : Isabelle Huppert.

Et puis les films qui m’ont le plus marquée à cette époque et dont je continue d’avoir besoin pour vivre : La Femme d’à côté de François Truffaut, Ma Nuit chez Maud d’Eric Rohmer, qui est peut-être le film que j’ai le plus vu, avec Loulou de Maurice Pialat, un miracle de cinéma. Ensuite, deux films extrêmement libres et inventifs : Cléo de 5 à 7 d’Agnès Varda, et Mon oncle d’Amérique d’Alain Resnais. A quoi j’ajoute un film plus récent, incroyablement ludique, brouillant les frontières du réel et de la fiction, et qui m’a extraordinairement enthousiasmée : Pater d’Alain Cavalier.

C’est quoi votre profession, court métragiste ?

En général je dis plutôt que je « fais des films » sans préciser leur taille/durée/format. Mais il serait très exagéré, hélas, d’appeler ça une profession, parce que pour l’instant je suis loin d’en vivre, et je suis obligée de faire des trucs alimentaires à côté (dans l’édition) pour payer mon loyer.

Après le court, forcément le long ?

Oui ! J’espère ! Je suis en train de réécrire mon scénario de long métrage, sur les amours multiples et complexes d’une jeune femme, que jouera de nouveau Anaïs Demoustier. Et je peux vous dire que j’ai hâte de tourner... Mais ça ne signifie pas du tout que je ne reviendrai pas au court métrage. J’aime énormément le tournage, et aussi le montage, et je me vois mal attendre des siècles entre chaque film, c’est trop frustrant. Donc si j’ai la possibilité de tourner plus facilement des choses courtes, je le ferai sans hésiter.

Votre histoire avec Clermont ?

Pour moi Clermont-Ferrand c’est justement, avant tout, la ville de Ma nuit chez Maud... Je suis venue une fois au festival il y a cinq ou six ans, il y avait un monde fou, c’était un peu angoissant pour la claustrophobe/agoraphobe que je suis. Je me souviens d’avoir voulu traîner trois copines à une projection, quand on est arrivées il y avait trois kilomètres de queue, j’ai discrètement resquillé, je me suis retrouvée tout près de l’entrée, mais mes amies n’ont pas voulu me suivre, et elles étaient tellement fâchées contre mes mauvaises manières qu’elles m’ont fait renoncer à la séance.

Le meilleur court métrage de tous les temps ?

L’un de mes préférés, c’est L’amour existe, de Maurice Pialat. Un film très fort et très beau sur la banlieue au début des années 60, sur la vie des gens dans ce monde moderne d’après la guerre, et sur une forme de déshumanisation. Il est visible sur internet, et à mon avis, il faut le voir.

Le meilleur court métrage de ces dix dernières années ?

J’ai beaucoup aimé, il y a deux ou trois ans, Villeperdue, de Julien Gaspar-Oliveri.

 

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