Le siège de Vice Media à Venice, en Californie.

Le siège de Vice Media à Venice, en Californie.

AFP

La polémique qui secoue la presse depuis la parution d'un article de Libération sur la "ligue du LOL", la semaine dernière, n'en finit pas de libérer la parole dans les rédactions. Après avoir été harcelées par leurs confrères sur Twitter, les femmes journalistes, rejointes par des militantes et parfois des hommes, dénoncent les groupes de messagerie instantanées pratiquées en entreprise parfois dignes des pires confréries d'universités américaines. Y compris dans les rédactions qu'on imaginait progressistes, comme Vice, le pure-player qui se veut le plus cool de la génération Y...

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C'est ce que démontrent les témoignages exclusifs que l'Express a recueillis, et qui mettent en cause une dizaine de salariés et anciens salariés du web magazine Vice, accusés de graves dérives sexistes. Au point, pour deux d'entre eux, Rodolphe B. et Sébastien C., d'avoir été licenciés pour faute par la direction en juillet 2017, quelques semaines après la découverte des faits. Dans la lettre de licenciement adressée à l'un d'entre eux, il est précisé qu' "il apparaît en effet que vos collègues ont à subir quotidiennement des remarques désobligeantes et humiliantes, que ce soit sur la qualité de leur travail, le fait que ce soient des femmes ou parfois même sur leurs orientations sexuelles. Nous avons en ce sens reçu des témoignages particulièrement clairs et similaires qui, tous, démontrent que vous manifestez clairement, publiquement et de manière assumée une attitude méprisante à l'égard de vos collègues femmes allant jusqu'à les qualifier de "greluches" sur vos lieu et temps de travail".

Violente, salace, dégradante

C'est à l'été 2017, à l'arrivée d'une nouvelle équipe à la tête de Vice France que la directrice des ressources humaines a découvert le pot aux roses. Alors qu'elle recevait les femmes de la rédaction, toutes évoquaient une ambiance particulièrement violente, salace et dégradante. "J'ai entendu et encaissé beaucoup d'horreurs dites sur mes collègues femmes et hommes que je ne saurais citer en détail (....). J'étais comme figée. Rabaissée", témoigne l'une d'elle, 24 ans. Une autre: "A l'occasion de ces premiers échanges, de nombreuses salariées ont évoqué "une culture discriminante à l'égard des femmes et ont dénoncé des faits précis et les noms des salariés impliqués". Elles dénoncent les agissements d'une dizaine de leurs collègues masculins, présents depuis les débuts de Vice (2013), parfois en position hiérarchiquement supérieure, et regroupés dans un groupe de messagerie instantanée d'abord intitulé "Les darons", puis "Townhall". Le théâtre quotidien d'un déversement de propos sexistes et outranciers, d'insultes ("Coquine", "salopes", "souillées"). Le groupe compte sept personnes. Les plus actifs, Rodolphe B. (sous le pseudo d'Abubakr Glacial) et Sébastien C. semblent s'en donner à coeur joie. Une journaliste témoigne de ce qu'elle a pu observer sur l'écran que l'un des membres des "Darons" a laissé ouverte sur son ordinateur de bureau après avoir quitté son poste :

"Le 27 juin, sur le lieu de travail, pendant le temps de travail, moi et (une collègue) avons été exposées à une conversation groupée sur Gmail nommée Town Hall. Nous avons été bouleversées et profondément choquées du déferlement de haine, de racisme, de misogynie, d'homophobie qui s'y écrit. (Ils) insultent à longueur de journée nos collègues et mon équipe. Nos moindres faits et gestes y sont recensés et systématiquement tournés en dérision ou sur-sexualisés ! Nous avons fini par parler quand notre DRH, est entrée en poste alors que nous subissions des discriminations depuis des années"

Démasqués, la dizaine de membres des "Darons" semblent pourtant ne pas redouter grand chose. En témoigne les échanges qui ont eu lieu sur le groupe en juin 2017 alors que la nouvelle Direction recevait les premières plaintes d'agissements sexistes:

"- Alors (?) vient de me dire que la RH lui a fait un gros topo meuf harcelement etc..

- [envoi d'emojis revolvers]

- Du coup elle ne me parle plus

- Gros topo SALE PUTES

- Je sue les mecs

- Elle s'est rendu compte qu'en fait j'étais comme tous les hommes, un gros perv'

- Nan mais sérieux elle lui a donné des tips et tout ?

- Ça sent le roussi. Genre les tromblons vont en plus devenir des amazones

- Tant qu'elle lui donne pas un tasser

- On va se faire couper la teub"

Dans les mois qui ont suivi le départ de Rodolphe B. et Sébastien C., lorsque la direction de Vice a entamé des procédures de licenciement à l'égard de d'autres membres des Darons, des salariés ont dénoncé les violences managériales dont ils faisaient l'objet. Ironie de l'histoire : l'article est paru dans Libération, sous la plume notamment d'Alexandre Hervaud, membre de "La ligue du LOL".

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