En arrachant les premières feuilles, ils sentent leurs mains enfler, se couvrir d’ampoules. Les Vénézuéliens maudissent leur sort. Ils n’auraient jamais imaginé qu’en fuyant leur pays en crise, ils échoueraient dans les plantations de coca de Colombie.
Des milliers de migrants de l’ancienne puissance pétrolière en sont réduits à survivre comme « raspachines » (« gratteurs » de coca), de l’autre côté de la frontière, sous le joug de strictes règles régissant les territoires des narco-plantations. Ouvriers, chauffeurs de taxi, pêcheurs, vendeurs sont devenus cueilleurs de la matière première de la cocaïne, activité illégale dont jusque-là ils avaient à peine entendu parler, et qui les mine physiquement, moralement.
Le pire ce sont les mains, selon Eduar. Il y a deux ans, ce jeune de 23 ans, père de deux bébés, a migré de Guarico, au Venezuela. Il y travaillait comme mototaxi jusqu’au jour où l’hyperinflation a consumé les derniers billets qu’il « gardait dans un pot ». Il a franchi la frontière jusqu’au Catatumbo, dans le département Norte de Santander. D’abord, il a gagné sa vie comme maçon. Le travail était dur mais pas aussi épuisant et douloureux que les journées de dix heures dans les champs, sous un soleil de plomb ou des orages de grêle comme il n’en n’avait jamais vus. Mais le « problème, ce sont les mains », répète-t-il, en retirant les bandes de tissu rouge qui lui servent de gants : ses paumes et ses doigts sont martyrisés. « Quand on saisit l’arbuste, (les ampoules) saignent. Ça fait peur et on ne veut pas y retourner », explique-t-il.