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La Ligue du LOL donne la nausée

Un groupe privé Facebook d’une trentaine de journalistes et communicants parisiens a harcelé pendant des années une série de personnes sur les réseaux sociaux, dont beaucoup de femmes et de membres de minorités. De graves accusations ressurgissent aujourd’hui

Ce week-end, la parole s'est libérée sur Twitter. — © Getty Images/Cultura RF
Ce week-end, la parole s'est libérée sur Twitter. — © Getty Images/Cultura RF

Deux journalistes de Libération, le pigiste régulier Vincent Glad et le chef du service web Alexandre Hervaud, ont déjà été «mis à pied à titre conservatoire» (le temps d’une enquête interne, précise le quotidien); une procédure de licenciement pour faute grave est ouverte contre David Doucet, rédacteur en chef des Inrockuptibles; le rédacteur en chef d’un site de porn web a démissionné de ses fonctions; l’animateur d’un podcast culinaire a été remercié et les noms de journalistes de Télérama, de Slate et d’autres sont cités.

Une ligue «au deuxième degré»

Un tombereau d’accusations graves chamboule depuis ce week-end le petit monde parisien de la presse et de la publicité, confronté à la publication des méfaits depuis 2009 d’un groupe de harceleurs sur le web, la «Ligue du LOL», des jeunes gens ambitieux, propres sur eux et agiles sur le Net, bons réseauteurs, dont beaucoup occupent aujourd’hui des postes à responsabilités. Et qui pendant des années ont moqué, poursuivi, pourchassé des jeunes journalistes femmes, des militantes féministes, des homosexuels, des blogueurs – la liste est longue – en utilisant des comptes twitter, pour la plupart sous pseudonyme.

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«LOL» – pour l’anglais «Laughing out loud», rire à gorge déployée: vous avez vu des milliers de fois ce petit acronyme si léger, à la fin d’un message, à la fin d’un tweet – «mais c’est pour rire, voyons, c’est une plaisanterie, prière de lire ceci au deuxième degré». La Ligue du LOL a été fondée en 2009 comme groupe Facebook privé par le pigiste de Libé Vincent Glad, mis en lumière par l’actualité récente pour être un des rares journalistes à s’être plongés dans les groupes Facebook des «gilets jaunes». Le groupe était privé, mais son activité sur Twitter, elle, publique, à une époque où le réseau comptait encore peu d’utilisateurs.

«L’objectif était de s’amuser, mais rapidement notre manière de s’amuser est devenue problématique et nous ne nous en rendions pas compte, reconnaît le journaliste aujourd’hui dans un long message sur Twitter. J’ai créé un monstre qui m’a totalement échappé. J’ai été pris dans ce groupe de mecs où on n’ose pas dire aux autres que non, on va trop loin. Ce serait passer pour un faible, un rabat-joie, un mec pas cool.» «La Ligue du LOL faisait surtout des blagues, qu’on ne pouvait pas faire en public, écrit sur Facebook le podcasteur Henry Michel, aussi membre du groupe. C’était brillant, c’était bête, il y avait ce côté observatoire des personnages de Twitter, on s’échangeait des liens, des photos, on se moquait des gens.» Comme l’écrit le site féministe Madmoizelle: «La Ligue du LOL, c’était un groupuscule de caïds blancs dans leur vingtaine qui avaient décidé de jouer les petits chefs du réseau.»

Des témoignages hallucinants

Photomontages pornos, canulars téléphoniques, insultes, menaces, grossièretés: les témoignages de victimes abondent depuis trois jours. Capucine Piot, blogueuse santé et beauté, a raconté sur Twitter comment un membre de ce groupe qu’elle fréquentait lui avait dit «qu’il avait le sida pour [lui] faire peur». On a fait croire à la youtubeuse Florence Porcel qu’elle passait un entretien de recrutement pour la télévision, et l’enregistrement a été mis en ligne (enregistrement supprimé ce week-end).

«Vous avez menacé des nanas de revenge porn, vous avez tweeté des photomontages pornos avec nos têtes dessus et aujourd’hui vous voudriez nous faire croire que ce n’était pas l’humiliation et la peur qui vous faisaient bander? que vous ne pensiez pas faire du mal? bullshit», attaque aussi la journaliste féministe Nora Bouazzouni.

Et maintenant? Le couvercle est ouvert, et la soupe promet d’être épaisse. Des ex-harceleurs ont supprimé leur compte. D’autres évoquent des erreurs de jeunesse, citent les stagiaires, disent avoir changé. «Je crois n’avoir nui professionnellement et socialement à personne», écrit Christophe Carron, membre de la Ligue du LOL et rédacteur en chef du site Slate. «Je crois avoir demandé à la personne avec qui je travaillais d’arrêter», écrit Johan Hufnagel, un de ses prédécesseurs. Ce lundi, un groupe interne au magazine Vice était rendu public, qui utilisait la messagerie Slack pour s’échanger informations et plaisanteries salaces. «Encore un secret de Polichinelle qui sort: «Les Darons» de Vice qui se moquaient et harcelaient leurs consœurs et collègues», a twitté la blogueuse Mélanie Wanga.

Sur les réseaux, beaucoup dénoncent surtout le manque d’empathie pour les victimes dans les messages d’explication des harceleurs. La loi votée cet été pénalise désormais le «cyberharcèlement en meute» ou «raid numérique», a rappelé Marlène Schiappa, la secrétaire d’Etat à l’égalité hommes-femmes. Utilisation de comptes anonymes, manque de réactivité des responsables des médias, suivisme, masculinisme: la boîte de Pandore est ouverte.