Sohel Ali est Bangladais. Il vit à Galatina et s’est impliqué dans le projet de culture de Gombo pour pouvoir partager ses connaissances concernant ce légume qu’il connaît bien. Crédit : P. Blettery
Sohel Ali est Bangladais. Il vit à Galatina et s’est impliqué dans le projet de culture de Gombo pour pouvoir partager ses connaissances concernant ce légume qu’il connaît bien. Crédit : P. Blettery

Dans l’Italie de Salvini, les migrants et demandeurs d’asile installés tentent tant bien que mal de s’intégrer. Dans la région des Pouilles, au sud du pays, ils trouvent souvent du travail dans le secteur agricole - qui emploie le plus de migrants. Bien souvent, au pays, ils cultivaient aussi la terre. Ils pensent ainsi apporter un savoir-faire et une expertise utiles aux agriculteurs italiens. Mais souvent, ce qui est censé être une source de revenu devient un vrai cauchemar : le sud de l’Italie fait en effet souvent la une des journaux pour des faits d’exploitation de migrants.

Sur la terre rouge des Pouilles poussent des oliviers centenaires et des tomates, deux des richesses qui font vivre la région. Mais les ouvriers manquent. Les jeunes Italiens ont quitté leur région dans les années 1950-1960 pour trouver du travail dans le nord du pays ou à l’étranger et la population est vieillissante. Ainsi, les milliers de migrants en situation irrégulière sont facilement embauchés dans les champs.

Là, nombre d'entre eux tombent dans les mailles de systèmes mafieux locaux : sans contrat de travail, ils représentent une proie facile des "caporali", sortes d’intermédiaires qui fournissent aux propriétaires terriens de la main d’oeuvre. Sous une température de 45°, payés à la cagette de fruits cueillis et non à l’heure. Les "caporali" n’hésitent pas non plus à ponctionner la maigre paie des migrants en déduisant le coût du transport pour aller travailler, la bouteille d’eau, le repas du midi, la recharge de téléphone portable, comme l’explique à InfoMigrants Bastien Fillon de l’association Diritti a Sud, basée dans la petite ville de Nardo. 

A la fin de la journée, malgré un nombre d’heures de travail conséquent, il leur reste 15 ou 20 euros seulement. S’ajoutent à cela des conditions de vie déplorables, dans des ghettos, sans électricité, sans eau potable. En août 2018, 16 ouvriers agricoles étrangers sont morts en 48 heures dans la région, entassés dans des fourgons qui les emmenaient travailler.

En 2018 16 000 bouteilles de sauce tomate ont t produites  Nardo Crdit  Patricia BletteryAgir contre l'agro-mafia

C’est pour dénoncer ce calvaire et agir que des associations comme "Diritti a Sud" à Nardo et "Solidaria" à Bari sont nées. Toutes deux ont décidé en 2015 de produire une sauce tomate "Sfruttazero" (littéralement : sans exploitation de main d’œuvre) afin de protéger les droits des personnes étrangères vivant sur le territoire, en garantissant des contrats de travail, une rémunération à l’heure comme l’exige la réglementation italienne et ainsi un accès à la protection sociale. 

Pour que le transport ne soit pas un coût supplémentaire pour les travailleurs saisonniers, la vingtaine de bénévoles de ces associations assure les trajets aller et retour vers les champs. Des pauses régulières sont prévues tout au long de la journée pour palier à la pénibilité du travail en période de chaleur. La collation du midi est offerte ainsi que le café et l’accès à l’eau fraîche. Et cette année, ces initiatives ont donné pas moins de 16 000 bouteilles de sauce tomate éthique.

Omar est Burkinabè. Cet été, il a récolté les tomates dans des conditions décentes, avec un contrat de travail grâce à Solidaria. Il est logé à la villa Roth à Bari et prend des cours le soir pour apprendre l'italien. L’association Solidaria milite aussi pour que les migrants soient logés dans la ville où ils travaillent et non en périphérie afin d'éviter la formation de ghettos. Elle a également mis en place des cours d’Italien pour les personnes qui le souhaitent, une priorité, selon elle, pour s’intégrer. Cette année, "Diritti a Sud" a pu faire 19 contrats de travail. Si à l’échelle du nombre de travailleurs saisonniers présents dans la région pour la récolte, ces quelques dizaines de contrats peuvent sembler dérisoires - rien que dans la ville de Nardo 200 ou 300 personnes étaient présentes cet été - la volonté de l’association est de faire passer un message politique contre "l’agro-mafia", pour le respect des droits humains des travailleurs, qu'ils soient étrangers ou italiens.

Gombo, le légume de l’intégration

Parfois, les migrants apportent également à la région leur propre savoir-faire agricole. Dans la campagne de Galatina, près de Nardo, toujours dans les Pouilles, chênes verts et oliviers encadrent une parcelle de plantations venues d’ailleurs. Antonio Spagnolo fait partie de l’équipe du SPRAR ( centre pour demandeurs d'asile et de réfugiés ) de Galatina. Cet Italien a décidé de se lancer dans la culture du gombo, ou okra, un légume traditionnel africain riche en vitamines.

Les graines de Gombo doivent germer en serre entre mars et avril Puis les premiers plants sont mis en terre en mai Crdit  Patricia BletteryAprès deux ans à cultiver des produits locaux comme les ‘rape’ ou la chicorée, il a eu envie de travailler avec les réfugiés sur des produits typiques africains : “Ces jeunes sont les nouveaux citoyens de Galatina, alors on se doit de les impliquer dans un projet qui leur ressemble, qui les motive. Le Gombo est un légume qu’ils connaissent bien. Il est présent en Asie, en Afrique et il a des vertus médicinales incroyables... Un fabricant de glace artisanale a même décidé de tester notre produit pour voir s’il peut en faire une glace", explique-t-il à InfoMigrants.

Sohel Ali qui vient du Bangladesh est venu ce matin-là surveiller les plants de Gombo, leur exposition, la présence de mauvaises herbes, le taux d’humidité du sol. Le travail de la terre, il connaît bien. Chez lui, il travaillait aussi dans les champs. Il est fier de pouvoir apporter ses connaissances sur ce légume exotique qu’il consommait au Bangladesh.

Produire mieux, c’est le credo d’Antonio Spagnolo qui a à cœur de donner un sens nouveau à l’agriculture de la région : "ici c’est la culture de la tomate qui est prépondérante. Mais elle suit les règles du marché mondial avec des prix imposés qui se répercutent tout en bas de l’échelle, sur les paysans et donc sur les migrants qui sont une main d’oeuvre bon marché. Il faut réfléchir à ce que peuvent nous apporter ces gens, comment ensemble, nous pouvons inverser la dynamique. Je pense que c’est en produisant des produits avec une valeur ajoutée que l’on peut s’en sortir. En visant l’excellence, en apportant une main d’oeuvre qualifiée”. 

L’expérience menée avec le gombo s’étend désormais à la mangue et à l’avocat, deux autres fruits exotiques sur lesquels mise Antonio Spagnolo. Mais pour le moment, c’est comme pizzaiolo que Sohel Ali s’apprête à gagner sa vie. Il reste encore du chemin à parcourir avant que l’expérience ne devienne une opportunité économique pour les paysans du coin, qu’ils soient migrants ou Italiens.

 

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