Erri De Luca : "J'ai l'impression de ne pas avoir été mon jeteur de dés"

Erri De Luca - @Francesca Mantovani
Erri De Luca - @Francesca Mantovani
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A l’occasion de la parution de son dernier livre « Le tour de l’oie », aux éditions Gallimard, l'écrivain évoque sa jeunesse et son militantisme absolu, lui empêchant toute vie privée, la valeur de la loyauté face aux actions commises, mais aussi son plaisir de lecteur et l'importance de la voix.

Avec
  • Erri De Luca Romancier, poète, dramaturge et traducteur italien.

Un soir d'orage, un homme lit le conte pour enfant Pinocchio. Dans la pénombre, une présence évanescente apparaît à ses côtés, elle évoque le profil du fils qu’il n’a jamais eu. 

Il imagine qu'il lui raconte sa vie, son enfance napolitaine, la nécessité de partir, l’engagement politique et, au fur et à mesure, la parole intime donne consistance à ce fils imaginaire. Le monologue va se transformer en un dialogue, au cours duquel un père et un fils se livrent sans merci.

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J’ai commencé à écrire une page sous forme de poésie, et le lendemain, j’ai commencé à recopier cette page et je me suis aperçu que je ne voulais pas aller à la ligne, je voulais la mettre en prose, et ça a déclenché le reste : une succession de souvenirs, de divagations, de passages à travers les cases de la vie, comme les cases du jeu de l’oie.

J’ai grandi à une époque où la jeunesse était en révolte, donc je n’ai fait qu’obéir à l’appel de cette jeunesse qui était déjà dans la rue. Puis, j’ai été ouvrier pendant une vingtaine d’années, une démarche que je n’avais pas programmée. Tout ce qui s’est produit ensuite, est venu d’un déplacement d’une case à l’autre, qui dépendait de ma liberté d’obéir à certains appels.

Je suis d’une génération engagée dans la lutte politique, nous étions une organisation révolutionnaire publique non clandestine, et le militantisme était si absorbant que l’idée de faire un fils, signifiait avoir une vie privée, or nous n’avions plus de vie privée. On voulait être des outils utiles, employés par le monde futur, mais pas des générateurs de monde futur.

La voix est la manifestation physique la plus importante, elle rend présentes des personnes qui ne sont pas en face de vous. En fait, la voix fait advenir les choses.

Je suis plus un lecteur qu’un écrivain. En tant qu’écrivain, je peux arriver à un sentiment de satisfaction par paresse. Quand je m’aperçois que je ne peux pas mieux écrire une page, alors je m’arrête, et j’éprouve un sentiment de satisfaction qui me permet de prendre congé. Alors qu’en tant que lecteur, j’ai la possibilité d’avoir des surprises, des sursauts de bonheur impensables quand j’écris.

Archives

Pinocchio, émission « Enfantines », France Culture, 2007

Borgès, émission « Entretien avec », France Culture, 1978

Références musicales

Juliette Gréco, La chanson des vieux amants 

Pino Masi, Lotta continua

De Pi Ja Ma, Family

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