► Pour la population haïtienne descend-elle dans la rue ?

Depuis une semaine, de nombreuses manifestations tournant parfois à l’émeute secouent l’ensemble du territoire de Haïti. Les manifestants, qui protestent contre le clientélisme et la corruption, organisent depuis le jeudi 7 février une opération baptisée « Pays lock ». Ils installent des barrières et des barricades afin de paralyser le pays, tout en réclamant la démission du gouvernement. L’action de blocage fonctionne. Le quotidien national Le Nouvelliste indiquait dès le mardi 11 février que de nombreuses pompes à essences n’étaient plus approvisionnées. Les urgences de l’hôpital général, mais aussi la dernière maternité ouverte de Port-au-Prince, la capitale, ont fermé leurs portes mercredi 13 février en raison de pénuries d’électricité, d’eau et d’oxygène.

Haïti se soulève contre la corruption

Cet embrasement intervient à la suite de la publication d’un rapport de la Cour Supérieure des Comptes (CSC) haïtienne après un audit réalisé sur des projets financés par des prêts effectués dans le cadre de l’alliance PetroCaribe. Cette alliance mise en place entre le Venezuela et Haïti en 2008 a permis de récolter 4 milliards de dollars (3,55 milliards d’euros) de fonds jusqu’en 2016.

►Que contient le rapport de la Cour Supérieure des Comptes ?

Le rapport conclut un audit effectué sur des projets suspects dans lesquels la Cour soupçonne des fraudes. Mais selon Frédéric Thomas, chargé d’étude au Centre tricontinental (CETRI), « seuls 10 % des quelque 400 projets ont pu être traités, car les administrations et les ministères visés ont traîné à remettre les documents demandés par la Cour ».

Le rapport incrimine une quinzaine d’anciens premiers ministres et ministres, ainsi que des sociétés dominicaines et haïtiennes. « Ils se sont servis de l’état d’urgence suite aux catastrophes naturelles pour contourner les appels d’offres et les contrôles », explique Frédéric Thomas. Le montant des détournements est estimé à près de 2,5 milliards de dollars, soit presque autant que la dette nationale.

L’actuel président haïtien, Jovenel Moïse, est lui aussi mis en cause. Deux de ses anciennes sociétés, Agritrans S.A et Comphener S.A, auraient bénéficié des fonds de PetroCaribe. La CSC souligne l’absence de contrats signés dans une subvention accordée pour la réfection de routes. « Durant sa campagne en 2016, le président Moïse avait fait beaucoup de promesses qu’il n’a pas tenu, notamment en matière de lutte contre la corruption, et cela s’est retourné contre lui ».

► Le bilan humain pourrait s’alourdir

Haïti est le pays le plus pauvre d’Amérique centrale, et la corruption y est endémique. Les révélations ont mis le feu aux poudres. En 2018, l’ONG Transparency International classait Haïti à la 161e place sur 180 dans son Indice de perception de la corruption. L’État est aussi miné par les violences. Pour Frédéric Thomas, « l’insécurité peut encore s’accroître avec les manifestations. Il faut espérer que le gouvernement ne poursuive pas une politique du pire en réprimant toute contestation ». En novembre 2018, le massacre de La Saline avait coûté la vie à 71 personnes et certains habitants avaient alors dénoncé une répression des autorités après les manifestations d’octobre 2018.

Malgré les contestations, il n’y a pas d’alternative crédible aux caciques politiques haïtiens. « C’est du côté de la jeunesse qu’il y a de l’espoir car il n’existe pas d’alternative crédible dans la sphère politique, conclut le chargé d’étude. Il faudra une dynamique de convergence des mouvements pour créer une base électorale solide et enfin développer les potentialités du pays. ».