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Matteo Renzi : "En Europe, il n'y a plus de leadership sauf en France"

Matteo Renzi
Plus jeune président du Conseil de l’histoire italienne, Matteo Renzi est nommé en 2014 avec l’image d’un réformateur. Deux ans plus tard, il démissionne : son référendum pour modifier la Constitution a échoué. Il est aujourd’hui sénateur. © Maria Laura Antonelli/AGF/SIPA
François de Labarre , Mis à jour le

Matteo Renzi, l’ancien président de centre gauche du Conseil italien dénonce l’incohérence politique de Salvini et Di Maio. Interview.

Paris Match. Pourquoi les Italiens s’en prennent-ils à la France ?
Matteo Renzi. Ce ne sont pas les Italiens mais le gouvernement populiste. Les rapports entre nos deux peuples frères, cousins, n’ont pas changé.

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Mais le discours anti-Macron fait gagner des voix…
Il était normal qu’une discussion s’amorce entre Salvini et Macron sur l’immigration. C’était déjà le cas avant. Je me souviens d’un déjeuner en juin 2015, à Milan, avec François Hollande. Nous nous entendions très bien et, pourtant, à cause d’un incident à Vintimille, le dialogue s’est révélé très difficile. Le dossier immigration a toujours fait débat. Cela s’est durci avec Salvini et Macron. Mais ce qui a changé, c’est la visite de Luigi Di Maio en France pour soutenir les gilets jaunes dans leur guerre civile. Là, on est sorti du contexte de confrontation politique et je dirais que l’Italie a marqué un but contre son camp !

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A lire : A 40 jours du Brexit, l'Europe en pleine crise

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N’assiste-t-on pas à une surenchère de Luigi Di Maio, chef du Mouvement 5 étoiles, en perte de vitesse par rapport à son allié de circonstance Matteo Salvini ?
Si, c’est vrai. Ils sont en concurrence. Dans un cas comme dans l’autre, les attaques contre Macron servent d’alibi pour masquer le blocage de l’économie italienne : une récession avec deux trimestres de croissance négative, la chute de la production industrielle de 5,5 % en un an. Pour les populistes, Macron est un bouc émissaire utile en temps de crise. Mon idée est que, paradoxalement, ils sont en train de lui offrir le poste de prochain leader européen...

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L’Italie traverse la crise démographique la plus grave depuis l’empire romain !

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N’y a-t-il pas une forme d’hypocrisie sur la question de l’immigration quand on sait que les gouvernements de gauche comme de droite, tant en France qu’en Italie, pratiquent des politiques assez semblables ?
Oui, et tout autant d’hypocrisie de la part de Salvini qui reproche à Macron de ne pas prendre sa part de migrants, mais qui s’allie avec le Hongrois Orban qui n’en accueille aucun ! Soyons sérieux. L’Italie traverse la crise démographique la plus grave depuis l’empire romain ! Nous sommes le pays qui enregistre le moins de naissances de toute l’Europe. Or, dans les vingt prochaines années, l’Afrique va passer de 1 milliard à 2,5 milliards d’habitants et le Nigeria de 173 millions à 450 millions. De quoi parle-t-on ? De 49 pauvres coincés sur un bateau ? Mon gouvernement a tout fait pour sauver ces 49 naufragés. Quand il y a eu des morts, fin 2015, j’ai mis 20 millions d’euros sur la table pour récupérer les corps, leur donner une sépulture. Je revendique cette décision, c’est la responsabilité d’un Etat civilisé. Il me paraît impensable de se laisser entraîner dans une polémique aussi banale que celle lancée par Salvini. Que doivent faire la France et l’Italie ? Arrêter de se faire la guerre et dire à Macron et à Mattarella [le président italien] d’aller en Afrique avec Angela Merkel pour y faire des investissements. Il manque une sensibilité africaine à la construction européenne. Historiquement, l’Italie a la possibilité de donner un coup de main. Comme le Plan d’action conjoint de La Valette, que j’ai initié en 2015 et qui est malheureusement suspendu. Salvini est populiste, il se fiche de résoudre les problèmes. Ce qui compte, pour lui, c’est d’avoir un like en plus sur Facebook. Quant à Luigi Di Maio, il ignore le b.a.-ba de la diplomatie. Si tu vas en France, tu appelles ton homologue. Tu ne vas pas voir les gilets jaunes pour les encourager à la guerre civile ! C’est de la folie !

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J’ai perdu le référendum en décembre 2016, peut-être aussi à cause de ce vent de populisme

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On a l’impression que les leaders italiens qui vont dans le sens de Bruxelles sont condamnés à perdre. C’était le cas de Mario Monti, par exemple…
Je ne suis pas d’accord. Je me suis souvent disputé avec Mario Monti à ce sujet. Une partie des Italiens s’estime incapable de mener des réformes et préfère s’en remettre aux autorités de Bruxelles. De mon côté, j’ai toujours pensé qu’il était possible de changer l’Europe. On ne peut pas laisser ce thème aux populistes, qui ne veulent pas d’elle. Voyez le parti 5 étoiles : il siège à côté de Nigel Farage, l’artisan du Brexit. Jusqu’à il y a six mois, Matteo Salvini siégeait à côté de Marine Le Pen. Je me refuse à croire que nous avons seulement le choix entre, d’un côté, les technocrates à la Monti (qui, au Sénat, n’a pas voté contre le gouvernement Salvini-Di Maio mais s’est seulement abstenu…) et, de l’autre, les populistes à la Di Maio. Il existe une troisième voie et j’espère que Macron saura l’incarner.

Il y a tout de même une lame de fond en Europe, un mouvement des peuples contre les élites. Ce même mouvement qui, en décembre 2016, a poussé les Italiens à dire “non” à votre référendum.
Le phénomène est plus vaste encore. Jusqu’en juin 2016, les sondages donnaient 70 % de “oui” au référendum. Soudain, les Anglais votent le Brexit, puis arrive la victoire de Trump, en novembre. En décembre, le “non” au référendum l’emporte en Italie. Mon objectif était d’avoir un gouvernement qui puisse tenir cinq ans comme chez vous. Un système qui, comme votre Ve République, permet à celui qui gouverne, quelles que soient ses difficultés, de pouvoir décider du futur de son pays. J’ai perdu le référendum en décembre 2016, peut-être aussi à cause de ce vent de populisme.

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J’apprécie beaucoup ce que fait Macron avec le grand débat national. Je reste persuadé qu’il sera l’homme fort de 2019

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L’élément déclencheur en Europe est-il, selon vous, l’élection de Donald Trump ?
C’est un vent mondial qui résulte de beaucoup de facteurs différents. La résonance des réseaux sociaux fait croire aux gens qu’ils peuvent se passer des intermédiaires professionnels de l’information, et facilite la diffusion de fake news. Ce ne sont pas elles qui déterminent la victoire ou la défaite d’un camp, mais elles jouent un rôle. Enfin, les réseaux sociaux amènent la conviction que tout le monde se vaut. Voyez Luigi Di Maio qui parle de la tradition “millénaire” de la démocratie en France… Quelqu’un devrait lui expliquer que les Bourbons n’ont jamais été élus par personne !

Comment sortir de cette “vague populiste” ?
Il faut revenir aux fondamentaux : tout reprendre en main en partant de l’éducation, de la culture, de nos valeurs. J’apprécie beaucoup ce que fait Macron avec le grand débat national. Je reste persuadé qu’il sera l’homme fort de 2019. L’Italie a disparu de la scène européenne. Même sur le Venezuela , ses gouvernants ne sont pas parvenus à se mettre d’accord : Salvini soutient Guaido et Di Maio soutient Maduro. La Pologne, qui avait Donald Tusk, est populiste. L’Allemagne a une Angela Merkel affaiblie. Le Royaume-Uni, avec son David Cameron flamboyant, s’est perdu dans le Brexit. Le gouvernement espagnol de mon ami Pedro Sanchez s’appuie sur une coalition. Les grands pays n’ont plus de leadership. Sauf la France...

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Entre les vandales et le gouvernement, je serai toujours du côté du gouvernement

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On peut voir Macron comme le “dernier des Mohicans” et donner raison à l’Américain Steve Bannon, pour qui l’Union européenne est finie…
Bannon ne connaît pas l’Europe. Ses prophéties vont à l’encontre des réalités mathématiques. Des formations populistes tiennent une partie importante de l’Italie, de la Pologne, mais elles ne sont majoritaires ni en France ni en Allemagne.

Est-ce que cela sera toujours le cas après les prochaines élections européennes ?
Elles n’auront pas de majorité, c’est une certitude.

Que pensez-vous des gilets jaunes ?
L’image que l’on retient, ce sont les barricades et des voitures brûlées. Entre les vandales et le gouvernement, je serai toujours du côté du gouvernement. On peut discuter. Mais je reste du côté de celui qui a été élu par le peuple, pas de celui qui utilise la violence et porte atteinte à la démocratie. 

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