Un petit club fermé de mecs branchés, parisiens, à "l'humour noir". Un groupe Facebook privé ayant fini par tisser sa toile en public, à coup de punchlines grinçantes et d'obsessions dérangeantes. La "ligue du LOL", fondée par Vincent Glad en 2009, a harcelé des femmes (beaucoup), des hommes (aussi), en raison de leurs idées, de leur physique et de leurs propos. Parfois en continu quand ce n'était pas en "raid", la plupart du temps en ligne, mais aussi par téléphone. Que d'options...

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Homophobes, profondément sexistes (comme l'a raconté en détail cette enquête de Numerama), certains membres de la petite bande hype a également pu sombrer dans l'antisémitisme. Alors que l'on apprenait lundi qu'en 2018 il y a eu une hausse de 74 % des actes antisémites, les traces laissées par des membres de la "ligue du LOL" sont d'autant plus nauséabondes.

Il y a d'abord les blagues - récurrentes - sur Adolf Hitler de Desgonzo, alias Stephen des Aulnois, rédacteur en chef du Tag Parfait [qui a supprimé son profil Twitter après les révélations]. Le tout dans la pure tradition des réseaux sociaux, le dictateur nazi étant devenu au fil du temps, un véritable mème d'internet.

"Tout cela aurait un sens si les camps avaient existé"

Mais, chez certains membres de la "ligue du LOL", cette fascination pour le nazisme explose les contours du virtuel. Depuis les révélations de Checknews, les victimes témoignant de leur harcèlement ont été nombreuses. Celles évoquant les attaques sexistes, homophobes, mais aussi antisémites. Le créateur du blog participatif "Megaconnard" en fait partie. En 2010, deux membres de la "ligue du LOL" font un montage de lui avec une étoile jaune.

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Le montage est publié une première fois, publiquement. Puis une deuxième fois, avec cette fois l'ajout tout aussi public d'un ami de "Megaconnard" dans les destinataires. Les victimes ont beau réagir, rien ne se passe : aucun article ne paraît sur le sujet, aucune excuse ne vient des harceleurs.

Sur le blog participatif, Laurence Guenoun, alors contributrice régulière, poste un billet d'humeur en réaction au montage, intitulé "y a deux types de personnes qui me gonflent". "C'est pas en brandissant une étoile jaune que tu vas attirer l'attention d'un juif, écrit-elle. Même si tu essayes de faire passer ton geste pour du second degré. Là, tu te rabaisses. Tu te ridiculises. Tu deviens minable. Tu deviens crétin. Tu fais preuve d'un manque de discernement qui peut gravement nuire à ta santé. Des milliers d'innocents ont été déportés et sont morts à cause de cette étoile... et toi ça te fait marrer... à bon entendeur, salut !"

Dans la longue liste de commentaires publiés sous l'article, on trouve un message négationniste de "Jesuisunblog", alias Renaud Loubert-Aledo, publicitaire et participant très actif à la "ligue du LOL" [mis à pied depuis les révélations]. "Tout cela aurait un sens si les camps de concentration avaient vraiment existé", écrit-il.

Jesuisunblog nie l'existence des camps de concentration.

Jesuisunblog nie l'existence des camps de concentration.

© / blog megaconnard

[Mise à jour le 18 février à 15h30 : Contacté par Renaud Loubert-Aledo, L'Express ajoute sa réaction à ce commentaire publié en novembre 2010. "Ce commentaire est abject. Ce montage est abject. Bien que je n'en sois pas l'auteur, le fait de l'avoir relayé il y a presque dix ans l'est tout autant. Vous dire que j'ai agi ainsi par provocation et méchanceté et que cela n'était pas sous-tendu par des convictions antisémites - qui n'ont jamais été les miennes - ne changera pas grand-chose. Parce que ce que véhiculaient objectivement ce montage et ce commentaire, c'était l'antisémitisme, et parce que la provocation et la méchanceté n'ont rien d'une excuse. Je le répète : je regrette profondément ces actes indélébiles et répugnants. J'en paie aujourd'hui les conséquences. Je demande pardon à celles et ceux qui en ont souffert et à celles et ceux qui, aujourd'hui, légitimement, en sont horrifiés. Je tiens également à dire que je ne suis aucunement impliqué, ni de près ni de loin : dans les immondes photomontages reçus par Laurence Guenoun, dans la création ou la gestion du compte Twitter @FoutLaMerde."]

Un autre commentaire, signé Stephen des Aulnois cette fois, dit "Desgonzo", affirme alors que le montage "n'a rien d'antisémite." " Mais non on peut pas être d'accord avec lui, tu comprends, il a fait un montage 'antisémite' qui n'a rien d'antisémite, juste con, pour la simple raison qu'il vise un mec qu'il n'aime pas, en mettant en avant ses origines. Je suis pas d'accord avec ce qu'il a fait, 'jesuisunblog' aussi, je l'ai dit à ce dernier d'ailleurs, plusieurs fois même."

Stephen Des Aulnois répond au billet d'humeur de Laurence Guenoun

Stephen Des Aulnois répond au billet d'humeur de Laurence Guenoun

© / blog megaconnard

L'un des auteurs du montage [Comic Sans MS qui, selon nos informations, serait Julien Verkest], lui, présente de drôles d'excuses. "Pour le montage avec l'étoile de Dadou, je tiens à m'excuser auprès de Megaconnard d'avoir mis l'avatar de son compte Twitter dessus, je ne pensais pas au début que c'était vraiment lui. [....] Par ailleurs je vous prie d'aller tous vous faire enculer."

Le message de réponse de Comic Sans MS

Le message de réponse de Comic Sans MS

© / /blog Megaconnard

Un "acharnement thérapeutique"

Laurence Guenoun, jointe par L'Express, reçoit, dans la foulée de son article, des montages antisémites mais aussi des images pornographiques, qu'elle a relayées sur Twitter. Pour elle, l'antisémitisme de certains membres de la "ligue du LOL" était une obsession parmi d'autres. "Ils s'en prenaient à la première 'aspérité' visible, en tout cas, ce qu'ils considéraient en être une : être une femme, être petit chauve, bedonnant, juif. Ils pensaient alors qu'il y avait une faille et qu'en mettant le doigt dedans, elle serait douloureuse." À l'époque très active sur Twitter, Laurence Guenoun voit bon nombre de ses amis visés par des insultes. Pour elle, cette assiduité dans le harcèlement a tout d'un "acharnement thérapeutique", plaisante-t-elle. "C'était digne du souci psychiatrique obsessionnel. Je me souviens de 'blagounettes' dans les commentaires du type, 'Il faut que j'aille signer la pétition contre la loi Gayssot [une loi signée en 1990 visant à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe]. Vraiment très drôle", ironise notre interlocutrice.

Martin Médus, ancien candidat de Secret Story, voit un photomontage qui lui est destiné, signé "lapin blanc" (alias Guillaume Livolsi), circuler en 2012. On y voit le jeune homme torse nu recouvert d'une croix gammée. Sur le coup, le blogueur, de mère juive, est choqué.

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"J'ai reçu des montages aussi graves plusieurs fois. Comme j'avais un blog qui exposait ma vie privée, j'avais énormément de commentaires négatifs, explique-t-il à L'Express. Parfois il était difficile de voir la frontière entre ceux qui étaient anodins, et ceux qui venaient de mecs plus armés et plus agressifs..." Martin Médus demande à l'auteur du montage pourquoi il s'en prend à lui. Pourquoi il le recouvre d'un symbole nazi, lui qui est pourtant juif. "Il m'a dit qu'il aimait faire souffrir les gens. J'avais beau avoir du recul, c'était ultra-violent." Vivant aux États-Unis, il compte porter plainte contre son harceleur quand il reviendra, prochainement, en France.

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Au sujet de son billet de blog destiné à répondre au '"montage de l'étoile jaune", Laurence Guenoun se remémore : "Mon article d'humeur visait à me foutre gentiment de leur gueule et d'être un peu sarcastique. Deux heures après la parution, ils se sont déchaînés. C'étaient des gens très prévisibles, finalement. Moi j'avais déjà 39 ans, je n'en étais pas à mes premières armes. J'ai fait des captures d'écran." Sa plainte, déposée en décembre 2010, reste sans suite. "Je pense qu'au-delà de la religion juive, ils avaient une obsession pour eux-mêmes. Ils étaient obsédés par leur aura, leur pouvoir de destruction et de nuisance. Quand je pense à leurs excuses bidon, ça me fait doucement rire."

"Ces mecs, ce sont des malades !"

Au téléphone, Guy Birenbaum, contacté par L'Express, se pose encore plein de questions. Pourquoi avait-il oublié jusqu'à présent qu'il avait lui aussi été pris pour cible par la "ligue du LOL" ? Et pourquoi, sur le site Pearltrees, où Vincent Glad avait créé un "Équipe Wikipédia du LOL", une lettre antisémite, reçue par le journaliste d'Europe 1 il y a de nombreuses, années, est-elle épinglée ?

"Je ne sais même pas si le Pearltree, je l'avais vu à l'époque. Pourquoi ont-ils eu envie de ranger cette lettre antisémite dans leur joujou ? C'est une question intéressante, réfléchit-il. J'aimerais savoir, j'aimerais qu'ils me le disent."

Depuis plusieurs jours, ils sont nombreux à présenter leurs excuses à Guy Birenbaum via message privé, "en rampant", note-t-il. "Mais je suis très en colère. Je ne boirai pas de café avec eux. Pendant ma carrière, j'en ai pris plein la gueule sur l'antisémitisme notamment. Ces mecs, ce sont des malades !" Quand il pense à ces journalistes qu'il a parfois rencontrés, Guy Birenbaum ne dissimule pas son amertume. "J'ai contribué à les faire connaître, on les invitait avec Daniel Schneidermann... Et voilà que derrière, ils nous éclatent la gueule !" Le profil Twitter @Foutlamerde, géré par six ou sept personnes de la "ligue du LOL", s'en est effectivement pris à de multiples reprises à Guy Birenbaum. "C'était toujours anonymement. Je ne savais pas que c'était eux. J'avais 47 ans, j'étais bien gentil, bien con."

Foutlamerde s'en prenait régulièrement à Guy Birenbaum

Foutlamerde s'en prenait régulièrement à Guy Birenbaum

© / Twitter

"Me concernant, il y avait aussi beaucoup de profils Twitter qui fleurissaient à mon nom, alors que ce n'était pas moi. Quand je pense que j'ai alors demandé de l'aide à l'un d'entre eux ! Et Vincent Glad, j'ai déjeuné avec lui quand il est devenu chroniqueur au Grand Journal pour lui donner des conseils, lui dire que la télé, c'est difficile. Quelle blague !" Guy Birenbaum, stupéfait par les méfaits de la "ligue du LOL", relativise. "Mais tout ça, ce n'est rien en rapport à ce qu'ont pu vivre des femmes harcelées. On ne peut pas laisser passer des trucs comme ça."

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