Écho de presse

La controversée « méthode » d'Émile Coué, pionnier de la pensée positive

le 01/11/2021 par Pierre Ancery
le 13/02/2019 par Pierre Ancery - modifié le 01/11/2021
Le docteur Emile Coué (en bas à droite) en Amérique, agence Rol, 1923 - source : Gallica-BnF
Le docteur Emile Coué (en bas à droite) en Amérique, agence Rol, 1923 - source : Gallica-BnF

Dans les années 1920 et 30, La Maîtrise de soi-même par l'autosuggestion consciente d'Emile Coué devient un best-seller international. Dans la presse française, la méthode Coué suscite l'enthousiasme des uns et les sarcasmes des autres, sceptiques devant ses bienfaits miraculeux.

L'expression « méthode Coué » est aujourd'hui passée dans le langage courant, désignant une tentative d'auto-persuasion teintée de naïveté et d'une forme de déni du réel. Mais la « méthode » en question a une origine très sérieuse : inventée par un psychologue et pharmacien né à Troyes, le docteur Emile Coué (1857-1926), elle eut un immense succès dans l'entre-deux guerres.

 

La méthode élaborée par Coué dès les années 1900 repose entièrement sur l'autosuggestion consciente. Estimant que c'est l'imagination plutôt que la volonté qui régit nos actes, le psychologue préconise d'agir sur la première en se répétant la même idée sans arrêt, jusqu'à ce que celle-ci devienne réelle. Par exemple : « Tous les jours, à tout point de vue, je vais de mieux en mieux ».

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Si la « méthode » aura dans l'entre-deux guerres un succès fulgurant à l'étranger (et en particulier aux Etats-Unis), elle va d'abord se faire connaître en France. En 1920, un article la concernant paraît dans La Petite Gironde, sous le titre « Une curieuse méthode de guérison » :

« Il y a à Nancy un savant, M. Émile Coué, qui suivit les travaux de feu Liébault, le père de la doctrine de la suggestion, l'un des maîtres de la fameuse “école de Nancy”, qui opposa ses théories à celles de feu Charcot.

 

Émile Coué, depuis quarante ans, n’a cessé de s’occuper de cette question pour amener ses contemporains à cultiver l'auto-suggestion. Après des expériences innombrables sur des milliers de sujets et avoir écarté ce qui pouvait sembler équivoque et charlatanesque, Émile Coué est parvenu à établir l'action du subconscient dans les cas organiques et par là à guérir des maux douloureux, parfois réputés incurables. »

Lorsque paraît peu après l'ouvrage de Coué La Maîtrise de soi-même par l'autosuggestion consciente, l'agitation médiatique est considérable. L'Homme libre, en septembre 1921, en publie des extraits :

« La neurasthénie, le bégaiement, les phobies, la kleptomanie, certaines paralysies, etc., [...] ne sont autre chose que le résultat d'une autosuggestion inconsciente, c'est-à-dire le résultat de l'action de l'inconscient sur l'être physique ou moral [...].

 

Isolez-vous dans une chambre, asseyez-vous dans un fauteuil, fermez les yeux pour éviter toute distraction, et pensez uniquement pendant quelques instants : “Telle chose est en train de disparaître”, “telle chose est en train de venir”.

 

Si vous vous êtes fait réellement de l'autosuggestion, c'est-à-dire si votre inconscient a fait sienne l'idée que vous lui avez offerte, vous êtes tout étonné de voir se produire la chose que vous avez pensée. »

Mais en ce début des années 1920, alors que le livre s'arrache comme des petits pains et qu'Émile Coué reçoit 15 à 20 000 patients par an, beaucoup de journaux se montrent sarcastiques. C'est le cas du Figaro en 1922 qui propose ironiquement d'appliquer la solution-miracle du bon docteur au peuple dans son entier :

« Comment le pharmacien de Nancy n'est-il pas encore ministre ? L'auto-suggestion serait fort utile aux peuples de l'Europe. Persuadez les Français qu'ils sont les plus heureux des hommes, faites-en autant pour tous les peuples, aucun ne jalousera son voisin, et la paix perpétuelle sera enfin établie.

 

La question sociale ne serait pas moins facile à résoudre... »

Le Journal, quant à lui, se moque ouvertement des prétentions du psychologue nancéen, accusé à demi-mot de charlatanisme :

« Êtes-vous souffrant? Répétez avec conviction (il n'y a que la foi qui sauve) :

– Ça passe, ça passe, ça passe.

Et votre mal passera.

 

Ne vous plaignez pas d'insomnies persistantes. Dites-vous plutôt en vous couchant :

– Ah ! comme je vais bien dormir !

Et vous ne tarderez pas à ronfler comme un bienheureux. Si vous êtes constipé... Mais il est inutile de citer d'autres cas où l'autosuggestion doit, selon M. Émile Coué, vous permettre de dicter vos conditions à votre organisme.

 

Ce pharmacien quelque peu sorcier traite d'ailleurs lui-même les faibles, les timorés, les découragés, les pessimistes. Il dit au paralytique : “Lève-toi et marche !” Et sa foi dans le miracle est telle qu'il la communique au malade et que celui-ci, jetant ses béquilles, se met à danser la scottish espagnole [...].

 

Il ordonne à ses malades de guérir et plus vite que ça. Cela doit réussir tout au moins pour les malades imaginaires dont le nombre a singulièrement augmenté depuis Molière. »

Les dessins humoristiques fleurissent, comme ici dans L'Œuvre en 1923 (comme le souligne l'historien Hervé Guillemain, l'expression « à la Coué » désigne alors la politique française de réparations dans la Ruhr) :

Pourtant, la presse est loin d'être unanime sur le sujet. Beaucoup de journalistes prennent ainsi fort au sérieux la méthode, à l'instar du Radical, qui écrit en 1923 :

« On a commencé par blaguer M. Coué qui guérit les gens à l'aide d'une petite phrase bien simple : Je vais mieux, beaucoup mieux, je vais chaque jour de mieux en mieux. Évidemment, si les poitrinaires et les cancéreux n'avaient plus qu'à répéter sans y penser le “Je vais mieux” de M. Coué pour être transfigurés, il y aurait de quoi crier au miracle et traiter M. Coué de sorcier.

 

Mais sans avoir réussi des cures aussi merveilleuses, M. Coué a tout de même très sensiblement amélioré la santé d'un grand nombre de malades. Or, il n'est ni médecin ni magicien, il récuse formellement tout pouvoir personnel mystérieux, il prétend modestement que sa découverte consiste à faire avec ordre et méthode ce que nous faisons du matin au soir d'une façon empirique et désordonnée. »

La Lanterne abonde dans ce sens, elle aussi, en 1924 :

« Des gens sérieux et bien portants n'hésitent pas à laisser tomber le mot dédaigneux, définitif : charlatanisme. C'est bien vite dit. L'injure est facile mais ne prouve rien. Les seules personnes vraiment qualifiées pour apprécier les résultats de la méthode Coué, ne sont-ce pas les malades qui l'ont appliquée ? [...]

 

Et si le “charlatan”, avec des semblants de remèdes, réussit à guérir son client, que peut nous faire, et même combien nous parait vaine, la science du médecin qui demeure sans résultat ? […]

 

Au fond, toutes les formes de guérison sont bonnes dès qu'elles réussissent. Mieux vaut vivre sans la permission de la Faculté que mourir en conformité de ses décrets. »

Lorsqu'il meurt en 1926, Emile Coué est présenté par nombre de publications comme un grand savant (qui pour plusieurs journaux de l'époque a l'avantage, contrairement à Freud, d'être Français !). Le Matin écrit :

« Depuis trente ans d'inlassable labeur, M. Coué, père de la doctrine à laquelle il avait attaché son nom, s'était adonné d'une façon entièrement désintéressée à sa belle œuvre humanitaire. et l'on ne compte plus les guérisons qu'il avait obtenues.

 

Ce savant modeste et bon avait ainsi acquis une réputation mondiale ces dernières années, il avait fait avec succès des tournées de conférences dans plusieurs pays, notamment l'Angleterre et les États-Unis, où il avait fondé, comme à Paris, des instituts psychologiques.

 

C'est un grand philanthrope qui disparaît. »

Dans les années 1930, la méthode Coué continue d'être utilisée par des dizaines de milliers de personnes dans le monde. L'expression, elle, devient connue de tous et se retrouve dans de nombreux articles de l'époque, par exemple ici, en 1938, alors que la guerre menace, pour dénoncer l'angélisme de ceux qui croient au pacifisme d'Hitler :

« M. Hitler a solennellement abandonné l'Alsace à la France. Les amateurs d'illusions, fervents de la méthode Coué et pour lesquels “la chèvre de M. Séguin voulait la guerre en résistant au loup”, se tournent vers les voisins sceptiques et vigilants.

 

Vous voyez bien ! Il a promis. »

Après la Seconde Guerre mondiale, la diffusion de la psychanalyse rendra désuète la méthode Coué. Celle-ci aura néanmoins été pionnière dans le courant dit de la « pensée positive », qui fait aujourd'hui florès dans les librairies – elle-même étant, à son tour, critiquée par beaucoup de psychologues.

 

 

Hervé Guillemain, Autoguérison et minimalisme thérapeutique dans la France des années 1920, Revue d'anthropologie des connaissances, 2013, article disponible sur Cairn.info