Après trois semaines de fermeture pour son grand nettoyage d’hiver, Nausicaá, l’aquarium de Boulogne-sur-Mer, a rouvert le 26 janvier. Avec un peu de chance, les visiteurs peuvent voir, derrière la baie vitrée de 100 mètres carrés, un requin-marteau (introduit début janvier dans l’aquarium) chasser au milieu de dizaines de milliers d’animaux, poissons-lunes et bancs de sardines. Mais personne ne sait qu’il s’agit en réalité d’un des deux survivants des trente requins-marteaux de l’établissement.
« On s’est autopiégés », confie Philippe Vallette, le directeur de Nausicaá, qui se serait bien passé de la polémique. Un comble pour cette institution qui défend et protège les animaux depuis près de trente ans.
Face à la mer du Nord, à l’entrée de la ville du Pas-de-Calais, Nausicaá a inauguré en mai son extension, un bassin spectaculaire, dont les dimensions équivalent à quatre piscines olympiques, reconstitue l’écosystème de la haute mer. En vedette de ce nouvel espace de 60 mètres de long et 35 mètres de large : les requins-marteaux. Ce prédateur à la tête en forme de T – une espèce menacée d’extinction – est l’attraction attendue de l’aquarium.
2,4 millions d’euros pour la réserve
Dès 2011, vingt jeunes issus d’une nurserie en Australie sont placés dans une réserve aquariologique à trois kilomètres de Nausicaá. C’est dans ce bassin de 600 000 litres d’eau que doivent grandir les futures stars d’à peine 60 centimètres. La note est salée : 2,4 millions d’euros pour l’aménagement de la réserve auquel il faut ajouter 652 750 euros pour les frais de capture (après autorisation de prélèvement en milieu naturel) et d’acheminement par avion-cargo, puis transport routier, soit près de 33 000 euros par squale.
Problème, un seul survit. « Un champignon latent propre à leur espèce les avait mis en état de faiblesse et ils s’attaquaient entre eux », explique Philippe Vallette. Le requin-marteau halicorne est parmi les espèces les plus difficiles à élever, expliquent les spécialistes. En avril 2018, avant sa réouverture après deux années de travaux, le plus grand aquarium d’Europe renouvelle néanmoins l’expérience et fait venir dix nouveaux bébés d’Australie. Une fois encore, c’est l’hécatombe : les prédateurs s’entre-tuent. Un seul requin-marteau, aujourd’hui en petite forme, a survécu.
« Si nous voulons des animaux en captivité, c’est aussi afin que les chercheurs puissent observer leur comportement. » Philippe Vallette, directeur de Nausicaá
La Fondation 30 millions d’amis est montée au créneau, dénonçant « cette débauche de vies animales aux seules fins de divertissement du public ». De son côté, la direction de Nausicaá ne cesse de rappeler que le Centre national de la mer est un outil éducatif et scientifique qui permet de sensibiliser le grand public aux problématiques liées à l’océan.
Lui-même océanographe, Philippe Vallette, s’explique : « Notre politique, c’est de passer par l’aquaculture ou par des animaux issus de post-larves [stade de développement situé après la larve et proche du stade juvénile] pour ne pas faire de prélèvement sur la nature et ne pas avoir d’impact sur l’environnement. Dans la nature, une femelle porte six cents à sept cents petits au cours de sa vie et le taux de survie d’un requin-marteau est de un pour deux cents ou trois cents. » Autrement dit, même s’ils étaient restés dans leur milieu naturel, les trente juvéniles étaient pratiquement tous condamnés.
Mission d’information
Nausicaá refuse donc de parler de fiasco mais évoque plutôt un processus de recherche. « Ce serait un échec si nous avions cinquante ans de recul sur la captivité de ces animaux, mais ce n’est pas le cas, insiste Philippe Vallette. Et, si nous voulons des animaux en captivité, c’est aussi afin que les chercheurs puissent observer leur comportement. »
Le centre national de la mer compte poursuivre sa mission d’information notamment autour des requins. Menacés par l’homme et la pêche, ce sont près de 100 millions de requins qui sont tués chaque année, soit un requin toutes les trois secondes. Le prédateur, dont on recense 500 espèces dans les mers du monde, joue un rôle fondamental dans l’équilibre de la vie océanique. Chaque année, l’établissement boulonnais lance donc des campagnes pour aider à financer des ONG et des études scientifiques. Nausicaá soutient ainsi la Fondation Malpelo, qui lutte contre la pêche illégale et la pêche aux ailerons de requins.
Avec ses 875 000 visiteurs depuis sa quatrième extension, en mai, et un chiffre d’affaires de 24 millions d’euros, Nausicaá a pu financer une expédition de marquage des requins-marteaux sur l’île de Malpelo, dans l’océan Pacifique, pour suivre et étudier les individus.
Et, pour mettre fin à la polémique autour de l’argent dépensé pour l’élevage des trente requins-marteaux, le centre aquatique rappelle qu’il s’agit d’argent privé. « On a remboursé toutes les sommes qui nous avaient été prêtées par la communauté d’agglomération du Boulonnais pendant les travaux d’agrandissement, tient à préciser Philippe Vallette. Nos bénéfices servent à réinvestir dans les expositions, à faire de l’éducation ou à financer la recherche. On ne redistribue pas de dividendes à nos actionnaires. » Fin de la polémique ?
Voir les contributions
Réutiliser ce contenu