Reportage

Elections au Nigeria : «Nous avons le choix entre deux diables»

Si le parcours des deux principaux candidats à la présidentielle fait douter sur leur capacité à renouveler la vie politique nigériane, l'incertitude du scrutin atteste de l'enracinement de la démocratie. Les élections, qui devaient se tenir ce samedi, ont été repoussées in extremis d'une semaine.
par Jasmin Lavoie correspondance  à Lagos
publié le 16 février 2019 à 9h53
(mis à jour le 16 février 2019 à 10h00)

La clôture de sécurité est sur le point de céder. A l'intérieur du stade Teslim Balogun de Lagos le samedi 9 février, l'excitation est à son comble à l'approche l'élection présidentielle, qui devait initialement se tenir ce samedi 16 février. Après quatre heures de discours interminables tenus par des politiciens locaux, sous un soleil tapant, les milliers de supporteurs entassés sur le terre-plein vont enfin apercevoir celui pour qui ils sont venus: Muhammadu Buhari.

Le président nigérian sortant, 76 ans, s'approche du podium. L'homme, mince, mesure près de 2 mètres et porte comme toujours la tenue traditionnelle du nord du pays – une tunique et un chapeau. Dans un soudain mouvement, la foule converge vers la scène. Les policiers retiennent de leur mieux les barrières métalliques et contiennent les partisans, dont plusieurs ont un balai à la main pour symboliser la lutte contre la corruption qu'affirme mener l'APC (All Progressives Congress), son parti. Ceux du premier rang hurlent de douleur, coincés. Les autres, plus loin, hurlent de joie. Et voilà que le chef de l'Etat prend la parole.

Beaucoup se sont déplacés parce qu’ils ont été payés pour le faire

«Nous avons fait des progrès énormes en matière de sécurité, d'économie, et de lutte [contre] la corruption. Je vous assure qu'on va maintenir le cap.» Un discours de… deux minutes cinquante-neuf secondes. Puis les haut-parleurs crachent l'hymne national nigérian. Aussitôt, la dernière note a-t-elle résonné dans le stade que le Président remonte dans sa limousine, stationnée au bas de la scène. Des centaines de partisans se ruent vers le cortège, faisant tomber pour de bon les clôtures au passage. Ils suivront la voiture jusqu'à sa sortie du stade. Le scénario était prévisible. L'ancien dictateur militaire (1984-1985), élu pour une première fois en 2015, n'a rien d'un tribun et n'a pas la réputation de s'éterniser dans ses discours. «Je suis venu ici parce que je crois que Buhari est le seul à pouvoir lutter contre la corruption, et je voulais faire partie de la foule», explique Savage Absul Cafar. Mais beaucoup se sont déplacés uniquement parce qu'ils ont été payés pour le faire, ou pour le riz et la viande distribués gratuitement.

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A une dizaine de kilomètres de là, trois jours plus tard (mardi 12 février), au Tafawa Balewa Square, le même show aux allures de concert rock précède l'entrée en scène d'Atiku Abubakar, 72 ans, principal candidat de l'opposition. Le leader du PDP (Peoples Democratic Party), plus petit que son adversaire mais beaucoup plus corpulent, a lui aussi revêtu les vêtements traditionnels du Nord. «Je ne suis pas comme le parti au pouvoir. Quand je fais une promesse, je la respecte», lance-t-il aux dizaines de milliers de personnes qui l'acclament. Dans la foule, Francis Ochei n'est pas dupe. Il sait que l'homme d'affaires, qui a été vice-président de 1999 à 2007, a la réputation d'être l'un des hommes politiques les plus corrompus du Nigeria. Mais il estime que son candidat est «le moins pire» des deux: «Nous avons le choix entre deux diables. Mais au moins, Atiku Abubakar va créer plus d'emplois.»

«Seul Dieu peut m’aider en ce moment, pas les hommes politiques»

Les artères principales de la capitale économique du pays sont tapissées des pancartes électorales du PDP (rouge, verte et blanche) mais surtout de l'APC (verte, turquoise, rouge et blanche). Pourtant, dans la rue, les discussions tournent rarement autour des élections de samedi. «Quand j'ouvre le journal et que je vois le mot "politique", je tourne la page», commente Sadique Matthew, 23 ans. Ses préoccupations sont plus économiques que politiques. Il ambitionne de suivre une formation d'ingénieur civil, mais il n'a pas l'argent pour financer ses études. «Seul Dieu peut m'aider en ce moment, pas les hommes politiques», ajoute-t-il.

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Sur les 180 millions d'électeurs au Nigeria, seulement 84 millions se sont inscrits sur les listes pour voter. Semilore Adeosun, un jeune blogueur et organisateur d'évènements à Lagos, ne votera ni pour Buhari ni pour Atiku. «Les deux ont été au pouvoir et ils n'ont rien fait de bon pour améliorer mon sort, explique-t-il. Ils n'ont pas d'impact sur ma vie et rien ne va changer.»

Même si ces élections suscitent peu d'enthousiasme, elles permettront au Nigeria d'atteindre un autre jalon dans son chemin vers la «maturité démocratique», pense Damiola Olawuyi, consultant dans une firme privée de Lagos: «C'est l'élection la plus juste et serrée que j'ai vue dans ma vie. Si jamais le pouvoir change de main à l'issue du vote, ça voudra dire qu'on aura progressé.»

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